Gros trou d’air pour les industriels

Bruno Bergoend, président de l’UIMM MP-Occitanie, senior vice- président des programmes Airbus et ATR chez Safran.

Alors qu’ils dépendent fortement de l’industrie aéronautique, de l’automobile et du bâtiment, des secteurs très impactés, les industriels de la branche métallurgie font le dos rond. Mais jusqu’à quand ? Les explications de Bruno Bergoend, président de l’UIMM MP-Occitanie.

Six semaines après le début du confinement, quelle est la situation économique des entreprises de la métallurgie en Occitanie ?

L’UIMM représente en Occitanie 4000 entreprises et 110000 salariés, soit la moitié de l’effectif industriel salarié de la région. L’industrie est, en Occitanie, dépendante de quelques grands secteurs dont l’aéronautique et le spatial. La santé de nombre d’entreprises de l’UIMM dépend donc de ce secteur. D’autres travaillent pour l’automobile ou le bâtiment. Ce dernier vient tout juste de redémarrer : les entreprises qui travaillent pour ce secteur ont donc pour l’instant peu d’activité. Il en est de même pour celles qui travaillent pour le secteur de l’automobile. Ce dernier ne fait, lui aussi, que redémarrer, sachant que les concessionnaires n’ont pas rouvert. On ne peut pas faire beaucoup de production tant que les véhicules ne sont pas à la vente. L’industrie aéronautique, elle, ne s’est jamais vraiment arrêtée. Il y a eu un arrêt de production de deux semaines en mars. Et depuis l’activité a repris à une petite échelle. Au global, 50 % des entreprises ont repris des activités, mais elles sont loin du mode nominal, sachant que les plans de production d’Airbus ont largement baissé.

Les entreprises de la branche ont-elles recours au chômage partiel ? Et comment évaluent-elles les pertes de chiffre d’affaires ?

Les industries de la métallurgie ont massivement recours à ce dispositif depuis la mi-avril réellement. Près de 40 % des salariés sont aujourd’hui en activité partielle, tandis que le télétravail concerne 20 à 25 % des collaborateurs. S’agissant des pertes de chiffre d’affaires, pour toutes les entreprises qui travaillent dans l’aéronautique, on évalue cette perte à 30 % ou 40 % sur l’année. Sachant que les effectifs et les investissements ont été prévus pour faire ces 40 %, les besoins de trésorerie vont mathématiquement augmenter. Il faut savoir qu’après l’annonce du confinement, de nombreuses TPE et PME se sont arrêtées du jour au lendemain. La baisse de chiffre d’affaires sur le mois a pu atteindre 80 % ou 100 % suivant les entreprises, sachant que parmi les 4 000 entreprises de la métallurgie, 70 % sont des TPE-PME.

Ces entreprises ont-elles également sollicité les Prêts garantis par l’État (PGE) ?

Oui, l’ensemble des TPE-PME et des ETI, soit 80% de nos adhérents, a fait appel au dispositif. L’UIMM les a accompagnées dans leurs démarches et je n’ai pas d’exemple d’entreprise que nous ayons dû aider après s’être vue refuser un prêt. Nous avons été plutôt bien traités à travers ces mécanismes, qui n’ont cependant rien de magiques. À savoir qu’il s’agit de prêts qu’il faudra rembourser et si l’activité ne redémarre pas ou d’une façon réduite, ça sera d’autant plus difficile.

Comment s’est organisée l’UIMM pour répondre aux sollicitations de ses adhérents ?

Depuis un mois et demi, nous fonctionnons en cellule de crise. Nous avons une équipe de huit juristes qui conseillent nos adhérents à propos de la mise en place du chômage partiel, de la mise en œuvre du guide des bonnes pratiques relatif aux mesures de prévention et pour l’obtention des PGE. Nous recevons ainsi une centaine d’appels par jour de la part de nos adhérents.

Certains d’entre eux craignent-ils de ne pas survivre à la crise ?

C’est un petit peu tôt pour le dire. Mais on ne peut pas imaginer qu’on s’en sorte indemne. En Occitanie, du fait de notre grande dépendance vis-à-vis de l’aéronautique, cette baisse d’activité risque de durer jusqu’en 2021. Les analystes pensent en effet que les vols domestiques en France et en Europe ne reviendront à leur niveau de 2019 qu’au premier semestre 2022 et pour le trafic international à la fin 2023. Ce qui veut dire que 2020 et 2021 seront des années sacrifiées s’agissant des plans de production. Les compagnies ne volant pas ou ne faisant redémarrer les vols que très doucement, les niveaux de commandes d’avions seront très bas. Ces baisses d’activité de 30 ou 40% vont donc se maintenir sur les deux ans qui viennent. En conséquence, on ne peut pas imaginer que toutes nos structures puissent survivre à cela. Il y aura certainement des défaillances. Les entreprises vont rationaliser leurs process. Il y aura aussi sans doute des regroupements, des acquisitions, etc.

L’aéronautique sera même, sans doute, un des derniers secteurs à revenir au monde d’avant.

On prévoit donc effectivement des défaillances et nous travaillons avec les tribunaux de commerce pour les anticiper. Cependant à ce jour, c’est encore trop tôt. Les problèmes de trésorerie sont aujourd’hui gommés grâce aux PGE qui ont été pour la plupart acceptés. On ne les verra qu’en milieu d’année prochaine lorsqu’il faudra commencer à rembourser les prêts et que l’activité ne sera pas repartie. C’est là que nous aurons le plus de soucis et que nous devrons aider nos adhérents.

S’agissant du monde d’après, pensez-vous que la donnée écologique peut avoir une influence sur la décroissance du trafic aérien et sur l’activité de vos entreprises ?

Il est certain qu’à court terme, le premier réflexe des entreprises, dans l’urgence, est de limiter les investissements ou de les réduire à zéro, y compris certains développements R & D. Mais à moyen et long terme, la feuille de route de l’aéronautique sur la décarbonisation est soutenue par les grands avionneurs, et cela à l’échelle mondiale. Nous subissons un arrêt temporaire qui nous conduit à nous resserrer sur l’essentiel. Le problème est d’imaginer ce que seront les vols du futur.

Or, dans les entreprises, on a testé le télétravail, les visioconférences. Des habitudes ont été prises, même si cela ne remplace pas la présence physique. On va certainement continuer à utiliser tous les outils modernes pour moins avoir à voyager, notamment sur le marché domestique. Cela aura un impact sur les vols. Les compagnies aériennes vont de facto réduire les lignes qui n’étaient pas rentables, et se concentrer sur les celles qui ont un potentiel, tout en accueillant au moins dans les premiers temps moins de passagers. On ne prendra peut-être pas dans les années qui viennent aussi facilement l’avion qu’auparavant. Prenez l’exemple de la navette entre Paris et Toulouse : on regardera d’abord si on ne peut pas faire une visioconférence avant de se déplacer, ne serait-ce que pour des raisons économiques. Il y aura forcément un avant et un après qui va nous amener à repenser nos façons de travailler.

S’agissant de l’avion décarboné, on va continuer à travailler dessus, même si le chemin est très long. Ce n’est, du reste, pas tant l’avion qui pose problème que le moteur. S’agira-t-il d’une motorisation électrique, hybride ou bien de l’hydrogène ? Les technologies sont encore à l’état de R & D, mais d’ici deux ans, je pense que les briques technologiques seront validées et nous saurons vers quoi il est possible d’aller pour les avions des années 2030 et nous pourrons alors accélérer pour remplacer les avions d’aujourd’hui. Il est clair qu’on ne va pas redévelopper des avions avec les concepts et les technologies d’aujourd’hui. Ça c’est fini.

Sur le plan industriel, tout n’est donc pas encore défini et sur ce point, nous attendons de l’État et de l’Europe qu’ils travaillent avec les industriels aéronautiques pour aider les bureaux d’étude des grands constructeurs aéronautiques à redémarrer leur activité autour de ces projets en leur redonnant une feuille de route et ce sera forcément en prenant en compte les aspects décarbonés. On le voit bien dans les plans d’aide que l’État met en place pour des entreprises comme Air France. Il leur demande de ne pas abandonner cette piste. Cela fait partie de leur engagement et ce sera pareil pour l’automobile.

Qu’en est-il d’un plan de sauvetage de l’aéronautique ?

Le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) a mis en place une commission de surveillance de la supply chain. La vigilance est donc forte pour que ces sociétés soient traitées au mieux compte tenu des baisses attendues de chiffre d’affaires. C’est-à-dire essayer d’en atténuer les impacts en s’assurant que les entreprises conservent un minimum d’activité, en harmonisant les baisses de charge ; et assurer les flux de trésorerie, et ne pas ajouter de la crise à la crise, en retardant les paiements. Il s’agit aussi de faire en sorte que les PMI et ETI qui travaillent à l’international puissent bénéficier d’une couverture par la Coface pour continuer d’exporter tout en étant payées, etc. Tout est fait pour protéger les trésoreries.

La commission a aussi en charge de se pencher sur les possibilités de réindustrialisation ou de relocalisation mais il s’agit de solutions de long terme. Néanmoins, il ne faut pas rêver : l’industrie aéronautique est un marché mondial, il faut aussi produire sur place.

Cette crise ne va-t-elle pas encourager les industriels de la métallurgie à diversifier leurs activités ?

Nos TPE, PME et ETI sont souvent très diversifiées. Cependant, plus vous êtes gros, plus vous êtes spécialisés. Les Tiers 1, ceux qui se trouvent dans le premier cercle, se sont diversifiés par rapport à des avionneurs ou des constructeurs automobiles mondiaux. On ne voit pas très bien comment ces gros peuvent se diversifier sauf à travailler dans les nouvelles technologies environnementales et la décarbonisation. La diversification est plutôt un sujet pour les petites et moyennes entreprises et l’UIMM doit les aider à y travailler. On ne peut pas imaginer les majors se diversifier du jour au lendemain. Du reste, le marché aéronautique, comme celui de l’automobile ou celui du ferroviaire ont encore de très beaux jours devant eux !

Même diminués de 30 à 40 %, les plans de production d’Airbus, de Dassault ou d’autres, restent une importante activité économique. Certes, on a été habitué à mieux, mais il faut positiver. Cette industrie va se révolutionner grâce aux nouvelles technologies environnementales. Par ailleurs, le domaine militaire, même s’il n’est pas sur la même échelle, reste fort. C’est surtout l’aviation commerciale qui connait des difficultés à long terme et l’automobile parce que les concessions sont fermées. Mais ces marchés vont repartir. Ils ne sont pas négligeables et pas à négliger non plus. Nous restons optimistes. C’est vrai qu’à court terme il faut passer ce difficile cap. Tous ne le passeront pas. Il faut les aider au mieux.

Que se passera-t-il le 11 mai ?

Nous serons encore à des niveaux d’activité très partiels, avec sans doute entre 40 et 50 % des effectifs en dehors des entreprises. Nous aurons encore largement recours au télétravail et au chômage partiel, sachant que beaucoup de nos entreprises ont fait des demandes d’activité partielle jusqu’à la fin de l’année. Nos adhérents et leurs salariés doivent s’approprier le guide des bonnes pratiques selon une courbe d’apprentissage et de mise en œuvre entre mi mai et fin juin. Ce n’est qu’en septembre que nous serons vraiment habitués à travailler avec.