Leslie et Philippe GonçalvesGraines de bâtisseurs

Ce couple d’architectes, résolument engagé, la quarantaine tout juste passée, poursuit une utopie : construire des bâtiments plus résilients et plus respectueux. Un changement de paradigme que pourrait accélérer la crise du Covid-19.

Il y a ceux qui rêvent du monde d’après, ceux qui en parlent, et ceux qui le construisent, à l’image de Leslie et Philippe Gonçalves, un couple d’architectes, à la tête de l’agence Seuil Architecture. Les deux quadras, ont affronté, en compagnie de leurs deux enfants, Tess et Esteban, durant les deux mois de confinement, « un brutal coup d’arrêt des chantiers mais encore des projets engagés portés par notre cabinet ». Une mise en pause, qui les a incités alors que « beaucoup de gens semblaient un peu perdus », à rédiger une tribune diffusée sur le site de l’agence et reprise depuis sur Linkedin, sous la forme d’une longue lettre adressée à leurs enfants et datée de 2035, pour expliquer qu’un autre monde est possible, qu’il est même déjà en train d’éclore. De fait, écrivent Leslie et Philippe Gonçalves, les architectes ont « un rôle à jouer », dans « la transition écologique et sociale, pour recréer des écosystèmes favorisant la densification, l’échange d’énergies, d’informations, de matières avec le vivant. »

Utopistes ? Pas tant que ça. Leslie Gonçalves est diplômée de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts en arts plastiques et de l’École nationale supérieure d’architecture comme son mari. Attirée par le design et l’architecture d’intérieur, elle a hérité d’un père brocanteur et poète et d’un grand-père ancien élève des Beaux-arts lui aussi, une sensibilité artistique qui s’est transmise jusqu’à sa fille. De son côté, Philippe Gonçalves, fils d’un maçon portugais, petit-fils d’un tailleur de pierre, a su dès l’âge de cinq ans qu’il serait architecte. L’un et l’autre étudiants à Toulouse, c’est la coupe du monde de foot, pour laquelle ils travaillent tous les deux à l’époque, qui les a rapprochés. Le temps que Leslie Gonçalves termine ses études à rallonge, en 2007, ils créent leur propre agence. Littéralement « de leurs mains », se souvient Leslie : « on a commencé par faire ce qu’on savait faire, c’est-à-dire qu’on a bâti notre agence, construit tous les outils et précéder la commande. Exactement l’inverse de ce qu’il faut faire, c’est-à-dire aller se présenter aux clients, faire son portfolio et ensuite chercher des locaux ! »

Comme tous les jeunes architectes qui s’installent, le couple fait « un peu d’individuel, puis des petits équipements et du logement collectif », mais a la chance dès 2008 d’engranger une très grosse commande d’une centaine de logements. Depuis l’agence a élargi son champ d’action au tertiaire, la réhabilitation, l’industriel, les groupes scolaires…

En 2013, c’est le virage. Le couple reçoit « une commande d’un immeuble d’habitats participatifs pour loger 17 familles. Ça nous a complément bouleversé. On a coconstruit le projet avec les futurs habitants qui nous ont beaucoup appris, à la fois sur le plan de la sociocratie, de l’entraide intergénérationnelle, à travers une écoute très forte. Avec des projets comme ceux-là, on aime plus nos clients que nos projets ! » Architecture bioclimatique, services et usages partagés, maîtrise des coûts, le projet d’Abricoop vaut au couple une mention lors des Prix Architecture Occitanie 2019 et la même année un coup de cœur du Off du DD (Objectif final frugalité du développement durable), une sélection de projets dans plusieurs grandes villes françaises qui vise à distinguer « les réalisations écoresponsables et novatrices dans le bâtiment, l’aménagement et le paysage. »

« On a pris énormément de plaisir à faire ce projet, se souvient la jeune architecte, et c’est ce bonheur qu’on recherche aujourd’hui dans tous nos projets, sachant que le métier d’architecte est un métier très difficile, très contraint, avec de nombreuses normes, des problématiques financières très fortes. L’idée, c’est de créer le bonheur à l’agence et avec nos clients. »

Si le développement de projets d’habitat participatif constitue un virage dans l’activité de Leslie et Philippe Gonçalves, cela n’a rien de surprenant. Les ex-étudiants ont fait de nombreux voyages durant leur parcours dans le supérieur, en Europe, en Afrique du Nord, au Brésil ou encore en Uruguay, qui les ont amenés, entre autres, « à travailler sur l’habitat participatif populaire et social ». À Montevideo, notamment, ils ont longuement échangé avec des responsables de la Fucvam, une fédération de coopératives d’habitants uruguayenne, qui depuis les années 60 a construit de nombreuses habitations, comme une alternative à la pénurie de logements. « Nous avons rencontré des gens exceptionnels, visité des chantiers, appris beaucoup sur le mode d’organisation de ces coopératives », se souvient Leslie Gonçalves.

Depuis le « très riche » projet d’Abricoop, l’agence pousse toujours plus loin la démarche de co-conception participative et la recherche de solutions écologiques. Elle travaille notamment sur le projet Wood’Art du promoteur Icade qui vise la réalisation, dans la Zac de la Cartoucherie, d’un immeuble à usage mixte de 10 étages intégrant 76 % de bois, mais aussi sur la rénovation d’un lycée à Montauban qui associe la terre crue, le bois et la paille. Des matériaux dont l’agence a su tirer tout le potentiel lors de la construction de la nouvelle usine de l’entreprise Aerem à Pujaudran. Une construction qui illustre aussi son « approche centrée sur les besoins et utilisations des occupants » puisque c’est au fil de nombreux ateliers avec les responsables et les salariés, que le projet a émergé pour correspondre au mieux à leurs attentes. Évolutive, la nouvelle usine intègre, outre des panneaux photovoltaïques et de la géothermie, une enveloppe faite de caissons de bois remplis de paille. Un projet qui a valu au couple de remporter trois prix nationaux et qui démontre « que l’on peut concevoir des bâtiments à la fois durables, sobres, écologiques et respecter une viabilité économique forte », pointe Leslie Gonçalves. Car, alors que les dommages causés partout dans le monde par la surexploitation du sable doivent conduire à limiter l’usage du béton – bientôt « un matériau rare » –, la jeune femme l’assure : ces matériaux renouvelables ou de réemploi seront demain « la norme », pour peu qu’on « réapprenne à les connaître ».

Selon les deux professionnels, la période actuelle pourrait bien constituer le point de bascule, de nombreux acteurs de l’acte de construire, dont des collectivités, prenant conscience de la nécessité de « re-naturer » les espaces urbains, d’équilibrer plus vertueusement le territoire. « Avec du recul, il nous semble inconséquent que pendant près d’un siècle, la croissance du PIB ait guidé notre économie, nous menant au bord du précipice, écrivent en 2035, Leslie et Philippe Gonçalves, à la fin de leur lettre. La refondation de nos sociétés après la crise sanitaire du Covid-19 a conduit les États à réviser l’économie sur la base du bien-être. Les gouvernements ont mis à profit ce bouillonnement démocratique pour changer de paradigme et instaurer une “prospérité équilibrée*”, bâtissant “une stratégie où nous [avons retrouvé] le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent faire face aux crises**” ». Utopistes ou prophètes ?

*La théorie du donut, Kate Raworth Plon, 2017

**Extrait d’une allocution d’Emmanuel Macron du 13 avril 2020

Parcours

1977 Naissance de Philippe à Valence d’Agen
1978 Naissance de Leslie à Grasse
1995-2001 Philippe intègre l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse et devient architecte DPLG
1997-2003 Leslie obtient un diplôme national d’arts plastiques à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Toulouse
2003-2006 Leslie rejoint l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse et devient architecte DPLG
2007 Leslie et Philippe Gonçalves fondent leur agence, Seuil Architecture
2019 Seuil Architecture remporte, avec le projet de l’usine Aerem, un prix, dans la catégorie Bas Carbone, à l’occasion du concours international Green Solution Award organisé par Construction21