Il a fêté ses 70 ans le mois dernier et ne cesse de s’émerveiller des plaisirs de la cuisine, constamment renouvelés. Les restaurants ont beau avoir tiré le rideau, le chroniqueur gastronomique Gilles Pudlowski, Messin d’origine et toujours actif sur son blog, s’enthousiasme à l’approche des fêtes. En prévision d’une reprise d’activité qui finira bien par devenir réalité, il nous ouvre même son carnet d’adresses. Allez, à table !
De partout, des voix s’élèvent pour dénoncer le fait qu’avec les confinements, c’est la culture que l’on assassine. Dans cette culture, vous intégrez également lagastronomie?
« Bien sûr. Tout cela forme un ensemble. C’est aussi absurde de décréter que les librairies ne sont pas essentielles que de le faire avec les restaurants. Guy Savoye l’a très bien dit : s’il avait dû respecter les règles de distanciation entre les tables, il aurait fallu qu’il ajoute des couverts dans son restaurant ! Un certain nombre d’établissements ont en effet plus de place que ce que prévoit le protocole sanitaire. Il y a certes des endroits trop petits, trop serrés, mais jeter la faute sur l’ensemble des restaurants, sans distinction, c’est une bêtise. Je crois d’ailleurs que le gouvernement est un peu perdu sur le sujet. »
Vous avez eu envie de monter au créneau ?
« Non, mais sur mon blog(1) j’ai une rubrique intitulée “Chuchotis du lundi”, qui est la plus lue, dans laquelle je me fais l’écho des prises de position de gens comme Philippe Etchebest, Michel Sarran, Jean-Louis Malard ou Stéphane Jégo. Ce sont les porte-paroles d’une profession aujourd’hui menacée. Tous ces gens sont sur la sellette. »
Vous avez peur pour eux ?
« J’ai peur pour tout le monde, oui. Ce que l’on dit depuis le départ, c’est que 30 à 40 % des restaurants vont devoir mettre la clé sous la porte. Privés de revenus, nombreux sont ceux qui ne parviennent plus à payer leur loyer. »
Pour quels types de restaurants êtes-vous le plus inquiet ?
« Ceux créés récemment, qu’il s’agisse d’ailleurs de gens connus ou pas connus. Je pense à Jean-François Piège et Hélène Darroze, par exemple : il y a six mois (dans une interview à “Paris-Match”, ndlr), ils ont fait savoir que leur situation financière était dans une posture catastrophique. Ils ont des emprunts, ils ont renouvelé leur propre maison, ils en ont racheté d’autres… »
Voilà 45 ans que vous fréquentez quotidiennement les restaurants. Qu’est-ce qui vous manque le plus dans la période de privations qui est la nôtre ? Le partage ?
« La joie de vivre ! Hier midi (cet entretien a été réalisé le 11 décembre, ndlr), j’ai eu la chance de déjeuner dans un restaurant. J’étais seul avec le patron, dans une petite arrière-salle… Il nous a été servi ce qui est proposé en click and collect. Mais bon sang… un restaurant vide, c’est sinistre ! Et des gens qui ne peuvent plus se rendre au restaurant, ce n’est pas drôle non plus. Si la France perd ses restaurants, elle perd sa joie de vivre. Il faut se rendre compte qu’il y a une déprime générale, un tas de monde se pose des questions sur son devenir. Dans “Le Figaro” de ce matin, j’ai même lu un article évoquant une possible recrudescence de suicides après le déconfinement. La période des fêtes est habituellement propice au sentiment de solitude chez ceux qui se trouvent dans la mouise, mais là, en plus, de nombreuses personnes ont perdu leurs entreprises ou vont les perdre… M. Castex a beau s’excuser à la télévision, on est en train de perdre une bonne partie de l’esprit français à travers cette crise. »
Revenons sur ces 45 ans de carrière. Il n’y a jamais de lassitude à se remettre encore et encore à table ?
«Non! Non, non, non! J’ai la chance d’aimer ce que je fais. Je n’étais pas programmé pour devenir chroniqueur gastronomique, je suis tombé là-dedans tout à fait par hasard comme Obélix tombe dans la marmite. Mon hobby est devenu mon boulot. Comment pourrait-il y avoir une lassitude ? »
Qu’est-ce qui continue de vous enchanter chaque jour ?
« La rencontre avec les gens, la découverte… Je ne me lasse pas de me laisser surprendre… À midi, par exemple, on m’a livré un repas en provenance d’un restaurant, En Bas (dans le 17e arrondissement de Paris, ndlr), que je ne connaissais absolument pas. Saumon gravlax, chou farci avec pied de cochon, truffe et foie gras, sablé aux poires avec mousse à la fève tonka, et un blanc de Roussette, cépage altesse… En pensant à vous, j’ai terminé avec une mirabelle de Rozelieures de M. Hubert Grallet… Sur Instagram, j’ai d’ailleurs posté que la meilleure manière de supporter le confinement et de lutter contre le coronavirus, c’était de boire un petit coup de mirabelle et de relire “Un homme libre”, de Maurice Barrès, qui est un de mes livres de chevet… Il y a toujours des leçons à prendre. »
Justement, sur votre blog, vous faites part d’expériences de livraison à domicile. Parce que, malgré le confinement, le chroniqueur gastronomique doit poursuivre l’entraînement comme le ferait un sportif ?
« Il y a de cela, oui. Il y a aussi un service rendu au lecteur. Le blog, ce sont trois posts par jour, à 6 h, midi, et 20 h, il faut donc avoir des propositions. Et montrer que même si les restaurants sont fermés, il continue d’y avoir un service rendu. Prenez l’exemple de Plappevignes, le salon du vin de Plappeville : il y a toujours beaucoup de monde, et parmi eux des traiteurs, des gens qui travaillent très bien. Ils sont la preuve que l’on peut très bien manger sans forcément être au restaurant. Donc je l’écris. La livraison, actuellement, c’est aussi une manière d’être solidaire. Les restaurateurs font des efforts pour affronter la période. De mon côté, quand je photographie les plats qui me sont apportés, j’essaie de faire aussi bien qu’eux au restaurant. Bref, c’est une solidarité. Car si le restaurateur est dans la m…, je le suis aussi. S’il est au chômage, à mon tour je serai au chômage technique. »
Un Pudlowski confiné, c’est un Pudlowski qui se met davantage aux fourneaux ?
« Par la force des choses. Au four ou au micro-ondes… Hier, c’était le micro-ondes. Avant-hier, c’était le four. J’ai reçu un repas incroyable du Clarence, qui est avec le chef Christophe Pelé l’un des meilleurs restaurants de Paris. Il y avait notamment un filet de bœuf Wellington, c’est-à-dire un filet de bœuf en croûte, farci de foie gras, avec un peu de lard. Il faut le glisser au four entre 180 et 220 °C, le garder entre 18 et 22 minutes, et même si le boulot de pâtissier a été fait auparavant, il convient, à réception, d’assurer un petit travail de finition et de dressage. »
Le plat « feel good » que vous avez plaisir à concocter en ce moment ?
« Tout bête : spaghettis tomate, avec une sauce aillée. Avec un peu de piment d’Espelette que j’ajoute, j’adore ! Vous prenez de très bons spaghettis, une très bonne huile d’olive, des tomates concassées en provenance de bocaux, l’ail doit être haché finement et revenu dans la poêle, et vous faites quelque chose de superbe ! Un soir, j’ai également suivi une
recette de mon collègue François-Régis Gaudry (animateur de l’émission “On va déguster”, le dimanche sur France Inter, ndlr) : les spaghettis à la puttanesca, inventée paraît-il par des prostituées de Naples. Il y a des câpres et des anchois fondus dans la tomate. C’est absolument dé-li-cieux. Cela demande un peu d’attention, mais c’est très facile à faire. »
Vous évoquez des recettes simples, là, mais faites-nous saliver : cette année, quelle aura été votre expérience la plus mémorable ?
« Vous me posez une colle, il y en a eu plusieurs… J’ai fait des repas formidables, mais je citerais un plat de Stéphanie Le Quellec, une cheffe à Paris avec deux étoiles. Elle réalise une tarte au foie gras et au porto, et c’est présenté en amuse-gueule. En amuse-gueule, vous imaginez ! Je signale qu’elle fait du click and collect dans la France entière… »
Stéphanie Le Quellec n’a même pas 40 ans… Est-ce à dire qu’en France, la relève est assurée ?
« Bien sûr ! Il y a un renouvellement formidable. Nous sommes dans un temps où chacun a été l’élève de X, Y ou Z. Ce n’est plus le no man’s land des années 1980 où parfois certains arrivaient sans que l’on sache ce qu’ils allaient faire… Il y a de plus en plus de jeunes talents, et ce dans toutes les régions. J’ai l’impression que l’on n’a jamais aussi bien mangé en France qu’aujourd’hui. »
Les fêtes sont proches. Votre plat star des réveillons ?
« Le foie gras, bien entendu. J’ai la chance chaque année, le 31 décembre, d’avoir à table un foie gras d’oie de l’Auberge de l’Ill, à Illhaeusern (Haut-Rhin), légèrement macéré au porto, avec beaucoup de finesse. À Metz, Éric Humbert propose également un très bon foie gras. Il peut aussi y avoir une volaille. J’aime beaucoup la recette des 40 gousses d’ail. Dans une cocotte en fonte, vous déposez la volaille, les gousses épluchées, débarrassées de leur germe, vous laissez cuire durant 45 minutes à feu mi-vif, mi-doux, et l’ail va parfumer la viande… Des choses simples.
Mais comme le disait Joël Robuchon : “Ce n’est pas facile de faire simple.” Moi, je n’aime pas les choses trop chichiteuses ou la décoration pour la décoration. »
Et le plat de Noël qui aussitôt vous replonge en enfance ?
« J’évoquerais à nouveau la volaille mais votre question me fait surtout penser à ce que nous préparait mon père, qui était un excellent cuisinier, le dimanche soir : des escalopes de veau à la poêle avec de l’ail sauté dans du beurre… Cette odeur… La même odeur persillée qu’avec les escargots, vous voyez ? Mon frère et moi, on était les rois du monde devant nos assiettes. »
Vous revenez régulièrement à Metz, où vous êtes né. Quel est votre regard sur le dynamisme de la ville en matière de gastronomie ?
« Il y a une floraison de bonnes tables. Je regrette bien sûr la perte de la dernière étoile avec Christophe Dufossé (anciennement aux manettes du Magasin aux vivres, le restaurant adossé à La Citadelle, ndlr). Je devais d’ailleurs tester La Réserve, qui lui a succédé, mais c’est le premier déplacement que j’ai été obligé d’annuler après le reconfinement. Il y a nombre d’adresses sympathiques à Metz. Je pense à La Popote, en face de l’église Sainte- Thérèse, avec un décor de vieux bistrot à la française, une âme, des plats d’antan tels que la tête de veau, le tartare au couteau ; je pense à Terroirs de Lorraine, de Michel Roth, qui participe de cette même envie ; je pense à La Grange de Condé, à Condé-Northen, de Jean-Marie Visilit, où l’on mange de vieux plats lorrains comme les cuisses de grenouilles à la mode de Boulay, le cochon de lait rôti à la broche ; et un endroit que j’adore, Les Trois Capitaines à Malroy, avec les quenelles de brochet, le parfait aux mirabel- les… Des tas de choses superbes. »
Terminons par un questionnaire…
La première adresse où se ruer à la réouverture des restaurants ?
« La Réserve, justement. J’ai envie d’aller à Metz pour voir ce que donne La Citadelle aujourd’hui. Sur le papier, ça me tente. Je sais qu’ils sont portés sur le régional ; or, je ne viens pas à Metz pour manger de la bouillabaisse ou à Quimper pour manger de la quiche lorraine. »
Une adresse pour un premier rendez-vous amoureux ?
« Le Grand Restaurant, en face de chez Éric Humbert… Cette rue du Grand Cerf, tout de même ! Juste à côté il y a un formidable fromager (la fromagerie du Grand Cerf, dirigée par Céline et Jonathan Zydko, ndlr). Le Grand Restaurant, c’est un endroit intimiste. Et Éric Maire sait travailler le produit. Son carpaccio de saint-jacques aux truffes, d’accord, ce n’est pas lorrain, mais c’est la meilleure saint-jacques, la meilleure truffe, la meilleure huile d’olive. Il sait que lorsqu’on travaille les bons produits, c’est forcément bon. Il y a aussi le restaurant Derrière, plein de charme, avec de la brocante, une décoration romantique. »
Pour déjeuner vite fait, mais très bien fait ?
« J’aimais bien la brasserie Flo, à deux pas de la gare, en bas du café des Arts où je jouais au flipper lorsque j’étais petit. Cela remonte… On pouvait y manger de bonnes huîtres, une bonne choucroute, une bonne grillade… Avec un décor de boiseries et des luminaires des années 1930 ayant beaucoup de caractère. »
Pour un repas de famille ?
« J’aurais choisi À la ville de Lyon. Malheureusement, notre ami Georges Viklovszki a vendu (en 2019, ndlr)… Un endroit que j’appréciais énormément. Je citerais donc Les Trois Capitaines, à Malroy. Un rapport qualité-prix formidable. Je me souviens y avoir emmené Jean-François Kahn (journaliste et homme de presse, avec qui Gilles Pudlowski a fait ses premières armes, ndlr) lors du festival de livre de Metz et nous avons été enchantés. La cuisine d’un garçon qui connaît son boulot… »
Et pour célébrer le réveillon de Nouvel an entre copains… en 2021 ?
« On va chez ce bon gros géant de Jean-Marie Visilit, à côté de Northen. J’y reviens. Les cuisses de grenouille à la mode de Boulay dans leur sauce à l’estragon, personne ne les fait… Une côte de bœuf énorme avec sa sauce choron, cette béarnaise tomatée… Un soufflé à la mirabelle qui tient la route… Et puis, il va vous trouver de ces bouteilles ! »
Que faut-il vous souhaiter pour 2021 ?
« Des restaurants ouverts ! Des restaurants ouverts, parce que ce sera l’assurance de belles trouvailles. »
Propos recueillis par Pierre Théobald (la Semaine)
DISTINGUÉ PAR L’ACADÉMIE NATIONALE DE METZ
Reconfinement oblige, la cérémonie n’a pu se dérouler. Partie remise. Gilles Pudlowski, 70 ans, ancien chroniqueur gastronomique notamment pour Le Quotidien de Paris, Les Nouvelles littéraires, Paris-Match et Le Point (durant près de 30 ans), devait recevoir, début novembre, le prix Chabot-Didon des mains des membres de l’Académie nationale de Metz.
Ce prix, décerné tous les deux ans, salue « une personnalité ou une association dont le renom et les activités honorent notre région », indique l’Académie.