Forfait-jours : un suivi scrupuleux du temps de travail s’impose

Me Daniel MINGAUD

Par Me Daniel Mingaud, avocat à la cour, spécialiste en droit du travail

Régulièrement dans ces colonnes, il est décrypté la jurisprudence de la Cour de cassation qui contrôle strictement (pour ne pas dire sévèrement) la validité des conventions de forfait-jours annuel. Rappelons que ce dispositif vise les salariés jouissant d’une autonomie avérée, et pour lesquels l’employeur doit s’assurer régulièrement :

– que leur charge de travail est raisonnable et bien répartie dans le temps,

– et de la bonne articulation entre leur activité professionnelle et leur vie personnelle.

Pour ce faire, l’employeur doit s’appuyer sur un accord collectif dont les stipulations (sur les conventions de forfait- jours) assurent la garantie du respect des durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. Autrement dit, l’accord collectif doit prévoir le suivi effectif et régulier du temps de travail des salariés sous peine de nullité, comme vient d’en faire les frais un employeur dans un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. soc., 6 nov. 2019, n° 18-19.752).

L’affaire concernait un salarié occupant les fonctions de directeur général au sein de l’association Noël Paindavoine (ça ne s’invente pas !). Celui-ci, après son licenciement pour faute grave, a réclamé le paiement d’heures supplémentaires en invoquant la nullité de la convention collective des organismes gestionnaires des foyers et services pour jeunes travailleurs (du 16 juillet 2003, et de l’avenant n° 2 du 21 octobre 2004). Pour ce salarié, les dispositions conventionnelles en question étaient insuffisantes, quand bien même elles stipulaient notamment que l’employeur devait :

– mener à bien un entretien au cours duquel était examiné sa charge de travail l’année de conclusion de la convention de forfait-jours,

– examiner l’amplitude de la journée d’activité et la charge de travail du cadre lors de l’entretien professionnel annuel pour les années suivantes,

– et conserver pendant cinq ans le décompte mensuel des jours travaillés et des jours de repos établis par le salarié, et visés par sa hiérarchie. Le salarié estimait pourtant que ces dernières dispositions n’étaient pas suffisantes, en l’absence de modalités de décompte des journées ou demi-journées travaillées et de mise en place d’un entretien individuel à ce titre. Saisie de cette affaire, la cour d’appel de Reims, reprenant l’argumentation de l’employeur, n’a pas suivi le raisonnement du salarié, jugé de mauvaise foi. Les juges rémois ont considéré en effet qu’en tant que directeur chargé de s’assurer du respect de la réglementation sociale par l’association, le salarié ne pouvait pas contester le respect des règles dont il avait lui-même la charge de leur conformité.

La Cour de cassation a, pour sa part, cassé l’arrêt de la cour d’appel en donnant raison au salarié. Selon elle, tout d’abord, peu importaient les fonctions de directeur occupées au sein de l’association, le demandeur, comme tout salarié, était bien fondé à contester la convention individuelle de forfait-jours. Par ailleurs, toujours selon la haute cour, les dispositions de la convention et de l’accord collectif étaient nulles dès lors qu’elles ne prévoyaient pas « un suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis, permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ».

En d’autres termes, et de façon très explicite, la Cour de cassation rappelle que pour les accords collectifs conclus avant la loi Travail du 8 août 2016, toute convention individuelle de forfait en jours doit garantir le respect des durées maximales de travail et des temps de repos au moyen du suivi de la charge de travail du salarié et de la bonne répartition de cette charge (Cass.soc. 14/02/2015, n° 13-20891). Notons cependant que depuis l’entrée en vigueur de la loi Travail du 8 août 2016, l’employeur peut remédier à l’absence de dispositions sur le suivi de la charge de travail du salarié dans l’accord collectif qui met en place le forfait-jours : il doit, pour cela, établir un document de contrôle des journées et demi-journées travaillées, pour s’assurer que la charge de travail est bien compatible avec le respect des temps de repos et organiser un entretien une fois par an avec le salarié, en examinant la validité de l’accord collectif. Rappelons enfin que la nullité de la convention de forfait-jours est lourde de conséquences financières pour l’employeur avec le paiement d’heures supplémentaires, et potentiellement l’indemnité de travail dissimulé. Sans jeu de mot aucun, l’association Noël Paindavoine va devoir assumer ces étrennes avant l’heure.