Fonctionnaires, salariés, une même éthique ?

Pierre Esplugas-Labatut

Pierre Esplugas-Labatut, professeur de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole.

Cycle de conférences sur les transformations de la fonction publique
Par Par Pierre Esplugas-Labatut, professeur de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole

La loi de « transformation de la fonction publique » du 6 août 2019 se veut exemplaire en matière d’exemplarité. Cette dernière se justifie logiquement par la nature particulière des activités de service public poursuivant un but d’intérêt général assumées par les agents publics distinctes d’activités privées poursuivant un intérêt particulier assumées par des salariés. La présente loi est pourtant ambiguë quant à l’essence de la mission que doit assumer un agent public. Elle encourage en effet la mobilité et les « allers-retours » entre secteurs public et privé comme si le modèle était bien ce dernier. Dans le même temps, la loi agit comme si la fonction publique était un « laboratoire social » et devait montrer le chemin en matière d’éthique. C’est à ce titre que le rapprochement par ailleurs opéré par cette loi avec les salariés touche ses limites. Ceux-ci ne sont certes pas exonérés d’être assujettis à une éthique mais cette dernière dépend finalement des acteurs au sein de l’entreprise que sont la direction et les salariés.

L’exemplarité dans la fonction publique est définie objectivement par la loi et comporte en réalité deux volets: l’un peut s’apprécier individuellement par le comportement que l’on attend des agents, l’autre collectivement par la conception que l’on se fait de la fonction publique comme structure prise dans son ensemble.

L’EXEMPLARITÉ DES AGENTS PUBLICS

S’agissant tout d’abord des agents, on se souvient de la citation d’Hauriou qui clamait que le fonctionnaire est un « citoyen spécial » car il remplit une mission particulière de service public qui le conduit à avoir un comportement irréprochable. En ce sens, les différents statuts généraux en vigueur ainsi que la jurisprudence ont toujours posé des obligations à la charge des agents publics. Il y aurait ainsi une sorte d’effet « boule de neige » qui consisterait, au fil du temps et des réformes, à élever le degré d’exigence vis- à-vis des agents dans l’exercice des fonctions, et parfois même en dehors. Le présent texte fait donc à son tour grossir la boule de neige qui descend la pente en constituant une étape supplémentaire, mais sans doute non définitive, dans la recherche d’une meilleure éthique des agents.

En particulier, il est ainsi adopté un dispositif original de contrôle de la pratique dite du « pantouflage », c’est-à-dire à l’égard d’agents qui en l’occurrence créent ou reprennent une entreprise ou quittent de manière définitive ou temporaire le secteur public pour le secteur privé. Ce contrôle est dédoublé en étant, d’une part, concentré et exercé par la « Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) » pour des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient ; il est, d’autre part, déconcentré pour les autres agents en étant exercé par l’autorité hiérarchique après avis du « référent déontologue ».

Concernant leur mise en œuvre pratique, ce type de processus n’est pas sans engendrer une bureaucratisation supplémentaire. Alors que le reproche pouvait être fait aux dispositifs jusque-là en vigueur d’être peu efficients, l’avenir dira si l’actuel le sera en pratique davantage. Au risque d’être à rebours de l’esprit du temps, on peut cependant se demander si la recherche d’une toujours plus grande exigence de moralité n’est pas excessive. Les agents seraient exposés à une surenchère de rigueur tandis que ce champ serait quelque peu délaissé pour les salariés du secteur privé. L’obligation faite aux plus importantes collectivités publiques de publier annuellement sur leur site internet la liste des dix rémunérations les plus élevées des agents relevant de leur périmètre nous semble conduire à les livrer de manière démagogique en pâture à l’opinion publique et leurs collègues.

L’EXEMPLARITÉ DE LA STRUCTURE DE LA FONCTION PUBLIQUE

S’agissant ensuite de la structure de la fonction publique, l’exemplarité voulue par la présente loi est aussi le reflet de son époque en voulant lutter contre toute forme de discrimination. La réponse donnée par ce texte fait appel à la technique des discriminations positives. Celle-ci est certes révolutionnaire au regard d’une conception formelle et universaliste du principe d’égalité mais est en réalité aujourd’hui bien entrée dans les mœurs.

Les femmes ont ainsi déjà bénéficié dans la fonction publique de ce type de discrimination. Sans entrer à ce stade dans le détail des mesures mises en œuvres, l’actuel texte prolonge différentes mesures déjà en vigueur visant ainsi à garantir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Un dispositif de signalement est donc prévu s’agissant d’actes de violences sexuelles, harcèlement et agissements sexistes. En revanche, à rebours d’un mouvement général visant à durcir les dispositifs de discrimination positive, certains assouplissements ont été institués concernant le respect des obligations de nominations équilibrées entre les sexes.

Les dispositifs habituels de discriminations positives s’appliquent encore aux personnes en situation de handicap. Le présent texte renforce le principe affirmé dans le statut général en vue de garantir une égalité de traitement en faveur des personnes en situation de handicap. Toutefois, les « aménagements raisonnables » prévus en faveur de ces personnels étaient jusqu’à présent essentiellement centrés sur leur recrutement, moins sur la progression dans leur carrière. Sans de nouveau présenter au fond les mesures instituées, l’objectif vers lequel tend la loi de transformation de la fonction publique est précisément que les employeurs publics prennent des mesures pour que les « travailleurs (sic) en situation de handicap » disposent de parcours de carrière équivalent à ceux des autres agents. Sans réellement « transformer » la fonction publique, la loi éponyme du 6 août 2019 constitue néanmoins au final une étape marquante distinguant en matière d’éthique les agents publics des salariés.

Le Centre de droit des affaires et l’Institut Maurice Hauriou, deux laboratoires de recherches de l’université Toulouse 1 Capitole, organisent un cycle de conférences ouvert à tous sur thème : « les transformations de la fonction publique : tous travailleurs ? ». La dernière de ces conférences aura lieu le 21 janvier de 17 heures à 19 heures dans la salle du doyen Gabriel Marty à l’Arsenal. Renseignements et inscriptions : ifr@ut-capitole.fr