Audrey GirmensFemme de tech

La directrice générale d’Inforsud Technologies ambitionne de faire de la PME aveyronnaise une des 15 premières ESN d’Occitanie.

Inforsud est une sorte d’ovni dans le paysage régional des entreprises de services du numérique (ESN). Elle a en effet pour particularité d’avoir une banque pour actionnaire unique. Cette filiale du Crédit Agricole Nord Midi-Pyrénées, qui emploie 63 personnes et réalise 6,5 M€ de chiffre d’affaires annuel, a de fait été créée il y a 35 ans « pour aider les PME et les collectivités à intégrer l’informatique dans leur structure », explique sa directrice générale Audrey Girmens. Une volonté que traduisait le nom d’origine Inforsud Diffusion, transformé l’an dernier, progrès oblige, en Inforsud Technologies. Depuis effectivement, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts : on n’assemble plus des PC chez Inforsud, mais la philosophie est restée la même : « on ne parle plus d’informatique, mais de transformation digitale, de numérisation, de dématérialisation », poursuit-elle. Services managés, infrastructures, cloud, cybersécurité, gestion et paie, développement d’applications : l’entreprise installée depuis l’origine à Bozouls, près de Rodez dans l’Aveyron, a aujourd’hui tout d’une grande. Jusqu’à l’ambition : celle d’entrer d’ici 2023 dans le top 15 des ESN régionales en doublant son chiffre d’affaires. Un objectif que la PME s’est donné dans le cadre de son nouveau plan stratégique à cinq ans adopté l’an dernier mais que la crise sanitaire et économique l’a conduit à différer… un peu. « Cette année, nous allons réaliser le même chiffre d’affaires que l’an passé, alors que nous prévoyions une croissance de 10 à 15 %. Cela va donc nous prendre un ou deux ans de plus pour atteindre le top 15 », reconnaît la dirigeante. C’est qu’au fin fond de l’Aveyron, comme à Albi et Toulouse où l’entreprise est également implantée, le Covid a aussi fait des ravages, avec jusqu’à « 50 % d’activité en moins sur la période », pour l’ENS aveyronnaise.

Pour atteindre les objectifs ambitieux qu’elle s’est fixés, Audrey Girmens compte sur la conquête de nouveaux marchés, notamment dans le segment des ETI où elle est encore peu présente – de fait, l’ESN réalise 10 % de son chiffre d’affaires auprès des ETI contre 50 % auprès des PME et 40 % auprès des collectivités. Un « marché de niche » pour l’instant qu’elle espère séduire avec ses solutions de gestion et son expertise en cybersécurité quand ce n’est pas le développement de nouvelles applications notamment dans le domaine de l’internet des objets. Depuis une dizaine d’années, Inforsud conçoit en effet à la demande de ses clients des solutions métiers. « C’est à chaque fois du sur-mesure », reconnaît la quadra.

C’est à peu près à cette époque qu’Audrey Girmens a rejoint Inforsud. Mais avant de découvrir le Trou de Bozouls, cette native de Perpignan, qui a grandi à Montpellier entre un père douanier à la Grande Motte et une mère assistance maternelle, a fait un long détour par Paris. « Dans la famille, je suis la première à avoir eu mon Bac », s’amuse-t-elle. C’est son prof d’économie qui, au lycée, lui suggère de « postuler à la prépa ENS Cachan à Montpellier. Mais je me suis vite rendu compte que mon niveau ne me permettrait pas d’intégrer l’école normale supérieure. Du coup, j’ai préparé le concours de l’Institut national des Télécommunications », creuset des cadres de France Télécom à l’époque.

Là voilà qui rejoint à Évry ce qui est devenu l’Institut Mines-Télécom Business School, une école de commerce couplée à une école d’ingénieurs. En dernière année, elle se spécialise dans l’ingénierie des systèmes d’information. « Je n’avais jamais pensé faire de l’informatique avant, cela ne me faisait pas rêver, avoue-t-elle. Et puis en entrant dans l’école, j’ai découvert un milieu et comme cela m’a plu, j’y suis restée. »

Diplômée en 1999, elle trouve difficilement un stage. À la veille du tant redouté « bug de l’an 2000 », les entreprises sont « en mode panique ». « Elles cherchaient des informaticiens mais pas forcément des stagiaires informaticiens ! » Elle postule à l’ancienne, envoie quantité de CV et de lettres manuscrites, obtient peu de réponse : « soit que je ne frappais pas aux bonnes portes, soit je n’avais pas forcément les codes pour trouver les bons mots-clés. » Elle finit par trouver une place dans une SSII de 20 collaborateurs avec « un super maître de stage ». « J’y suis restée pendant 10 ans ! » Embauchée au poste de développeur Lotus Notes (un logiciel utilisé pour créer des intranets), elle effectue des missions de plus ou moins longue durée pour des clients comme la Cogema, la Société Générale ou SFR, et prend du grade, devenant chef de projet junior puis senior. Devenue aussi maman, à son retour en 2004et à sa demande, elle obtient un poste de commerciale. « J’avais fait un peu le tour du sujet », explique-t-elle. Elle développe une spécialité en cybersécurité, après avoir suivi une formation à l’École militaire relative à la sécurité des entreprises. « Cela allait de la sécurité des bâtiments à la cybersécurité en passant par la gestion d’une prise d’otages, etc. », se souvient-elle. Elle travaille pour de grands comptes tels EADS Astium aujourd’hui Airbus Defence & Space), la Gendarmerie nationale…

En 2009, fin de la vie parisienne. Audrey Girmens et son mari, lui aussi originaire de Montpellier, rencontré en prépa, désirent revenir dans le sud. « Paris c’est bien, mais avec un enfant c’est moins rigolo. » Lui, universitaire, a trouvé un poste à Rodez. « J’ai pris le pari de le suivre et j’ai trouvé un poste de responsable infogérance à Inforsud Diffusion. »
À l’époque, s’amuse-t-elle, « il n’y avait que des hommes ». « Mais il se trouve que Simon Bretin, l’ancien DG, n’avait pas du tout d’a priori ni d’appréhension homme-femme. Il ne s’est pas posé ce type de question ». Des hommes au final « accueillants puisqu’une jeune femme arrivant de Paris, connaissant bien les plages de Montpellier, ne pouvait pas connaître la neige de l’Aveyron, ils se sont donc fort bien occupés de mon accueil ! Ça s’est très bien passé. Et puis, j’avais un passé suffisamment technique pour rassurer ces messieurs sur mes capacités. »

Au fil des ans, la nouvelle recrue endosse de plus en plus de responsabilités, jusqu’à ce qu’en 2015 Simon Bretin décide de partir et que se pose « la question de son remplacement. On a travaillé ensemble et, avec l’accord de l’actionnaire, j’ai pris le poste. Ça s’est fait dans la continuité. »

Depuis les équipes d’Inforsud se sont-elles un peu plus féminisées ? « J’aimerais vous dire oui, mais la réponse est non ! admet-elle. Comme dans beaucoup de structures, on trouve beaucoup plus de filles dans les fonctions commerce, marketing, dans les services transverses. Au sein de nos équipes techniques, j’ai trois collaboratrices sur un effectif de 50… » Au point qu’Audrey Girmens milite dans une association de lutte contre l’exclusion, Face Aveyron, et va régulièrement dans les collèges et les lycées expliquer aux jeunes filles que « non, les informaticiens ne sont pas de gros geeks boutonneux, derrière des écrans, qui ne voient personne et ne prennent jamais de douche ! Parce qu’elles ont cette image-là ! » La dirigeante implique aussi ses collaboratrices, parce qu’explique-t-elle, « l’enjeu est de leur montrer qu’il n’y a pas que le paramédical, le commerce ou le marketing dans la vie. Dans nos métiers, il y a de l’emploi, des super salaires et c’est dommage qu’elles passent à côté de cette occasion. Elles manquent cependant de références et de figures médiatiques dans ces domaines. Elles peuvent citer plein de garçons ou de dirigeants d’entreprises informatiques mais citer une fille, c’est compliqué. » Et si elles ont l’image d’un métier très isolé, sans interaction, sans vie sociale, « elles n’ont pas l’impression non plus que cela peut sauver le monde. C’est l’autre pendant de leur réflexion. Si elles sont attirées par les carrières médico-sociales, c’est pour être utile, faire des choses concrètes pour la planète. Alors je leur explique, que c’est le cas aussi dans l’informatique : on peut travailler avec des laboratoires de recherche pour créer de nouveaux médicaments par exemple, ou bien travailler sur le développement des connexions internet dans les endroits isolés, en Afrique. On peut donc aussi sauver le monde en faisant de l’informatique ! »

Malgré cette mobilisation, Audrey Girmens n’est pas certaine que les choses avancent. « Je suis assez sensible à ces questions, même si je n’ai jamais subi de discrimination ou de remarque particulièrement sexiste sur l’ensemble de mon parcours. Mais cela m’interroge qu’on ne soit pas plus nombreuses dans ces métiers. On le voit quand on est sur nos plateaux, qu’on va chez les clients ou d’autres prestataires. Selon les statistiques, au lycée, en formation scientifique, il y a autant de filles que de garçons, mais dans les écoles d’ingénieurs ou dans les formations très scientifiques, il n’y a plus que 10 % de filles. Ça pose question. J’essaie donc de les sensibiliser en parlant aussi d’intelligence artificielle et des biais que peuvent introduire les développeurs, en essayant de prendre des exemples rigolos, comme les passages en caisse. On en a beaucoup parlé lorsqu’Amazon a développé ses boutiques dotées de caisses automatiques. Un informaticien, sans à-propos particulier, peut introduire un biais et faire qu’une dame passe moins vite qu’un monsieur dans ces caisses automatiques. Cela les interpelle un peu. Mais je trouve que cela n’avance pas assez vite. Il reste beaucoup à faire, mais ça commence dès la petite enfance. » 

Parcours

1976 Naissance à Perpignan
1999 Diplômée de l’Institut Mines-Télécom Business School
2009 Entre à Inforsud Diffusion au poste de responsable infogérance
2016 Devient directrice générale d’Inforsud Diffusion
2019 L’ESN se dote d’un nouveau plan stratégique à cinq ans et devient Inforsud Technologies