« Faute de matière première, nous refusons des chantiers »

Alors que la crise sanitaire se poursuit, une nouvelle crise économique surgit malgré des carnets de commandes pleins. En cause, une pénurie de matériaux induite par une sur- exportation des produits français et européens, provoquant une hausse des cours.

«Aujourd’hui, mon carnet de commandes est plein à un an et je fais déjà des devis pour dans deux ans. Il y a beaucoup de demandes et pourtant nous ne pouvons pas faire le travail faute de matériaux, à tel point qu’on refuse des chantiers », témoigne Jean-Yves Rousseau. Ce chef d’entreprise, à la tête de L’Art du toit qu’il a créé en périphérie de Dijon, fait aujourd’hui face à une pénurie de matériaux, notamment sur le bois. « C’est un phénomène à double tranchant, puisque comme il y a pénurie, il y a aussi une hausse sans aucune mesure de tous les matériaux, du bois aux isolants en passant par les panneaux, avoisinant en moyenne les 25 %, explique-t-il. Sauf que demain, nous ne pourrons par retranscrire ces augmentations de coûts sur les particuliers ni sur les marchés publics et privés ». Pour illustrer ses propos, Jean-Yves Rousseau prend l’exemple d’un marché qu’il avait obtenu mais qu’il ne pourra pas signer. « Il faudrait changer 1.500 mètres carrés de plancher. J’ai fait l’Europe entière pour trouver du bois et je n’ai pas trouvé de produit avant juillet. Or, la réception est fixée au 30 mai… Un marché à 250.000 euros qu’on ne prendra finalement pas faute de matière première. » Face à la pénurie et pour diminuer les délais d’approvisionnement la possibilité d’avoir des stocks pourrait être envisagée. « Or, qui dit stockage dit trésorerie. Sauf qu’avec la crise sanitaire, bon nombre d’entreprises ont dû prendre un PGE et aujourd’hui, elles n’ont plus les moyens de reprendre un emprunt. Nous sommes à flux tendu depuis déjà 12 à 15 mois… »

PÉNURIE ET HAUSSE DES PRIX À L’EXPORT

Si ces matériaux, à l’image des panneaux, des isolants ou encore du métal, sont aujourd’hui fabriqués en France, les professionnels de la construction accusent une pénurie face à une hausse de l’exportation. « Lorsque le Président Trump a mis en place sa taxe, se fracturant avec le Premier ministre canadien Justin Trudeau, les États-Unis ont perdu leur accord avec le Canada sur l’importation de bois et sont donc venus se fournir en Europe, achetant à n’importe quel prix, au comptant. Face à cela, les producteurs préfèrent privilégier ces consommateurs par rapport à des entreprises françaises qui ne paient pas le même prix », concède Jean-Yves Rousseau. Ce dernier explique d’ailleurs que pour que la hausse du coût des matières premières ne se ressente pas sur le devis final, à la charge du client, qu’il soit particulier, public ou privé, il l’absorbe en diminuant le taux de main d’œuvre, « à condition qu’on trouve des solutions sur le chantier pour gagner du temps. Mais ça ne va pas pouvoir durer indéfiniment, surtout face à la vitesse à laquelle les prix augmentent ».

Un autre phénomène induit aussi cette pénurie, comme le détaille Jean-Yves Rousseau : « Au début de la crise sanitaire, l’État a encouragé certains industriels, notamment des producteurs de produits de sous-toiture, à arrêter leur chaîne pour ne faire plus que du tissu pour les masques. Sauf que face à la rentabilité de ce nouveau marché, ils n’ont toujours pas redémarré leur activité initiale ».

POUR UNE STRATÉGIE DE PROTECTIONNISME

« Si nous prenons le problème à bras le corps dès aujourd’hui, il reste difficile d’imaginer un retour à la normale avant six mois, dans le meilleur des cas. Les prix du fret n’aident pas non plus et tout cela désorganise les marchés, augmente les prix et engendre une pénurie de matériaux », souligne Geoffroy Sécula, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises de Côte-d’Or (CPME 21). Face à ce constat, l’organisation patronale souhaite qu’il y ait une prise de conscience au niveau local, tout en alertant les pouvoirs publics sur la situation. « Nous demandons notamment à ce que ceux qui lancent des marchés publics prennent en compte qu’aujourd’hui, les délais de réalisation doivent s’allonger pour tenir compte des délais d’approvisionnement plus longs. Il ne faudrait pas que nos entreprises locales subissent une double peine en se voyant pénalisées en cas de retard », explique-t-il. « Il serait quand même bon d’essayer de favoriser les entreprises locales et l’économie régionale avant d’aller exporter en dehors de l’Europe, martèle Jean-Yves Rousseau. Il faudrait maintenant que l’État stoppe l’hémorragie en bloquant les hausses pour permettre aux entreprises françaises de travailler et ainsi relancer l’économie ». « Le problème des hausses, poursuit Geoffroy Sécula, c’est qu’il y a toujours un temps de décalage entre les formules de révision. Sans oublier que certains marchés sont sur un prix fixe, auquel cas, la hausse qu’ils prennent sur les matériaux, c’est de la marge en moins pour faire l’affaire, avec des carnets de commandes qui se portent globalement correctement. Il faut donc effectivement qu’ils aient la possibilité de répercuter ces hausses, ou en tout cas que ceux qui répondent à ces marchés puissent aussi avoir leur mot à dire pour que les formules de révision soient suffisamment en corrélation avec le marché ». Enfin, la CPME milite aussi pour qu’il y ait, au niveau de l’État, une véritable stratégie de protectionnisme des approvisionnements en encadrant les secteurs où les acteurs ne sont pas suffisamment nombreux et en facilitant l’accès à ces matériaux aux entreprises françaises. Une mesure déjà évoquée lors de la crise sanitaire et qui reste d’actualité avec cette nouvelle crise économique.

La CPME renforce ses relations avec les collectivités

Lundi 12 avril, François Sauvadet a reçu la Confédération des petites et moyennes entreprises de Côte-d’Or (CPME 21) au Conseil départemental de la Côte-d’Or, pour présenter son budget pour l’année 2021, ainsi que le plan de soutien du département aux PME du territoire. « Nous avons travaillé à la mise à jour de la charte signée en 2010 par la CPME, la FRTP, la Capeb, l’U2P, la FFB, l’ordre des architectes et le Medef, avec le Conseil départemental, et depuis mise à jour en 2014 et 2018 », explique Geoffroy Sécula, président de la CPME 21. Entre autres propositions soumises au Conseil départemental, la désignation d’un point de contact permanent pour les entreprises pour poser toutes les questions liées aux marchés, sans rupture de l’assistance, ou encore l’engagement de la part de la collectivité à privilégier les procédures en corps d’état séparés ou, le cas échéant, de favoriser les groupements d’opérateurs économiques en rallongeant le délai de réponse. « En matière de critères, nous avons mis en avant les notions d’entreprises de proximité, ainsi que des heures de formation réalisées au sein de nos entreprises et nous avons aussi demandé la présentation du Schéma de promotion des achats publics socialement responsables (Spaser), s’il était réalisé par la collectivité. » Enfin, la CPME souhaite la mise en place de comités d’experts sectoriels professionnels, qui se réuniraient tous les trois mois pour déterminer les critères d’offre anormalement basse et apporter une meilleure adéquation entre les prescriptions techniques du besoin et l’offre des entreprises, ainsi qu’un comité de suivi qui, lui, se réunirait deux fois par an afin de mieux mesurer l’efficacité du dispositif. « Cette rencontre a aussi été l’occasion d’échanger autour des besoins en matière d’équipements numériques à disposition dans les communes pour faciliter la communication avec les entreprises. Nous avons aussi évoqué le sujet des métiers en tension, ainsi que l’idée d’organiser une journée annuelle du territoire pour créer de l’émulation autour des marchés publics », complète-t-il.

Une CPME 21 toujours attentive

Entre autres actualités, la CPME 21 salue la création d’un prêt participatif (décret du 26 mars), qui permet aux PME et ETI dont le chiffre d’affaires est supérieur à deux millions d’euros de souscrire un prêt de huit ans avec un différé de quatre ans, avec des taux compris entre 4 % et 6 %. « Un outil intéressant pour les PME, à condition qu’il soit, au même titre que le PGE, assimilé à du quasi fonds propre et non à de l’endettement classique. » Enfin, la CPME reste attentive et active au niveau national sur le plan qui concerne les indépendants et qui est en train d’être mis en place.