Entreprise, pandémie et sémantique

Par Olivier Bernard, Enseignant honoraire de l’Université (UFR Droit et Science Politique), Conseil en sémantique relationnelle et professionnelle, auteur d’ouvrages
sur la sémantique et son impact sur les comportements.

On peut se demander s’il existe un lien entre la pandémie que nous traversons, les entreprises qui souffrent et la sémantique qui peut (un peu) l’éclairer ? Ce lien existe et nous préoccupe quotidiennement, il s’agit de « la crise » tant sanitaire qu’économique. La sémantique permet de l’expliciter car la pandémie est souffrance mais les entreprises peuvent en profiter pour développer différemment les liens commerciaux et humains.

Les médias portent une lourde responsabilité tant le choix des termes a hissé une infection très sérieuse au rang de catastrophe : la « crise » est devenue anxiogène, omniprésente, modifiant les rapports et les relations sociales, allant jusqu’à mettre à mal la psychologie des citoyens…

Il faut réaliser l’impact des mots sur l’esprit de chaque individu (consommateurs ou employés), l’influence sur le collectif et les modifications comportementales induites.

La situation actuelle banalise et impose un vocabulaire nouveau car le coronavirus est entré en force dans notre lexique, comme toujours la sémantique est le reflet des situations rencontrées et reste un excellent moyen de coller à l’immédiateté (retenons que l’étymologie est « la science du Vrai», « έτύμο » = « vérité » et « λογος » = « science »).

Les mots employés, au-delà de donner aux informations leur vraie valeur, les transforment et peuvent déclencher peur, suspicion, déprime voire délation et le tout dans une ambiance délétère.

Les changements de sens via l’emploi des mots (la sémasiologie) sont souvent dangereux et manipulateurs car nous en sommes les récepteurs puis les relais.

La situation est grave, mais faut-il toujours n’en parler que de façon terrifiante en négligeant les efforts entrepris et les réactions créatives des entreprises ? Il ne s’agit pas de minimiser ce que nous vivons mais simplement d’étudier sémantiquement les changements de vocabulaire et leur impact sur les comportements.

Pensons aux citoyens et particulièrement aux enfants qui sur toutes les ondes depuis des mois entendent résonner un vocabulaire militaire au son de bruits de bottes : « guerre », « état de guerre », « masque », « rationnement », « zone à risque », « pénurie », « combattant de première ligne », « héros », « victimes » jusqu’à des termes renvoyant à des moments cruels de l’Histoire « dénonciation », « dépistage », « délation » et à l’occupation « attestation », « contrôles renforcés ».

Les journalistes présentent la Covid-19 comme une « tragédie » au sens des trois unités de nos études classiques : unité de temps, « les confinements », unité de lieu « Restez chez vous !» et enfin unité d’action « ralentir le coronavirus ».

Un autre aspect très critiquable : l’emploi de « distanciation sociale » au lieu de « distanciation physique » ou « distanciation spatiale », ce qui suggère une stigmatisation des acteurs des entreprises, ces courageux qui se battent alors que la population reste terrée (voire « atterrée »). Cette mal nommée « distanciation sociale » évite certes la propagation du virus mais a aussi son corollaire : accentuer la solitude et briser les avantages apportés par les interactions humaines.

Le vocabulaire politique est involontairement connoté « Restez chez vous ! » rappelle les slogans de l’extrême droite qui scande « On est chez nous !» dans une volonté d’exclusion, on est là bien loin du management participatif qui vise à dépasser les antagonismes.

La contribution involontaire via les noms : le juge suprême qui régulièrement annonce le verdict se nomme « Salomon » mais aussi un chercheur souvent décrié « Raoult » dont un lointain parent en 1878 énonçait la « loi de Raoult » qui sonne comme contemporaine à nos oreilles : « La solution est la température idéale pour que la pression soit proportionnelle aux pressions des constituants ».

Le rapport au temps lui aussi a changé : la quarantaine qui n’est qu’une quatorzaine est maintenant réduite à une « septaine ». Le premier confinement a duré le temps du carême et on ne sait pas encore la durée de l’actuel.

Tout ceci montre que cette « pandémie planétaire » (belle tautologie pléonastique) nous indique que le choix des mots n’est jamais innocent et dévoile ce que nous sommes, au point même qu’on peut penser que ce n’est pas nous qui choisissons nos mots mais qu’au contraire ce sont les mots qui nous choisissent en s’imposant en fonction des situations et des enjeux…

Contrairement au sens habituel du terme « positif », il faut réaliser qu’être « testé positif » c’est avoir récupéré un virus dangereux, je ne vois rien de très « positif » dans cette infection et tout se complique quand on entend qu’un « test faussement négatif » est finalement « positif » !

Bien des mots connus mais peu employés sont maintenant devenus communs : « temps d’incubation », « immunité collective » », « relocalisations économiques et sanitaires », « État providence », « chômage partiel», « circuits courts », « économie circulaire », « lutte contre l’illectronisme »…

Un petit clin d’œil ironique dans ce regard sémantique : on reconnait un « expert » au fait qu’il ne sait rien et n’a rien à dire, ce qui ne l’empêche pas de parler et un « politique » au fait qu’il sait mais ne peut rien dire, ce qui d’ailleurs ne l’empêche pas de rester longtemps à l’antenne… Revenons à la « crise » pour appliquer un regard étymologique. Le grec krisis (« κρισις ») a comme sens « moment périlleux et décisif » et comporte, à l’instar de l’idéogramme chinois une face de « risque » et une face « d’opportunité ». Tout moment de péril insuffle chez les entrepreneurs une créativité professionnelle qui permet de « faire lien » avec les employés comme avec les clients.

Cette crise a été l’occasion d’une riche mobilisation de la créativité pour tenter de minimiser l’impact économique. On peut lister bien des aspects que TPE et PME ont choisi ou accéléré : développement des services en ligne, accent sur les produits locaux, appui sur le numérique, Click & Collect, télétravail, livraison à domicile, drive, téléconsultation, publicité géolocalisée, balises de référencement…

Tout ceci prouve que la « crise » provoque une synergie entre la volonté de survie et l’intelligence réunies au service de la réussite de l’entreprise ! Grace aux dirigeants, cadres et employés la route vers la relance se dégage et les citoyens consommateurs vous remercient ! Applaudissons les soignants qui sauvent nos vies et les employeurs qui sauvent nos emplois !