Frédéric CarréEngagé volontaire

Alors que le secteur est durement frappé par la crise du Covid-19, le nouveau président de la Fédération française du Bâtiment d’Occitanie exhorte les maîtres d’ouvrage à relancer l’activité.

«Nous n’avons pas besoin d’aides. Nous voulons du travail ! » Frédéric Carré, qui a pris en juin la présidence de la Fédération française du bâtiment (FFB) pour la région Occitanie, le martèle au fil de l’entretien : les entreprises qu’il représente sont « les grandes oubliées des plans de soutien » mis en place par le gouvernement pour contrer les effets délétères de la crise sanitaire. Or pour assurer la relance du secteur, il faut « une politique d’investissements volontariste sans délai », affirme-t-il.

La crise du Covid-19 est en effet un nouveau coup de massue pour les entreprises du secteur qui commençaient enfin à relever la tête. « On sort d’une décennie de crise (celle des subprimes, NDLR) durant laquelle le bâtiment et les TP ont beaucoup souffert, où les trésoreries ont été mises à mal parce que moins d’activité, moins de volumes », détaille-t-il.
Des prix qui s’effondrent, des phénomènes de concurrence déloyale qui se développent : « c’était ça, la crise, se souvient- il, un cercle infernal. L’impact sur le volume a eu un impact sur les prix qui a eu un impact sur les effectifs, avec 1 200 emplois perdus en Occitanie. Les entreprises, du moins celles qui ont survécu, puisque le BTP représentait 30 % des procédures collectives devant les tribunaux de commerce, commençaient à aller mieux, à retrouver du chiffre d’affaires. Et puis le Coronavirus est arrivé ». Son secteur, assure-t-il, est rentré dans cette nouvelle crise « affaibli. »

Du jour au lendemain, la pandémie a stoppé tous les chantiers, « un arrêt brutal », se souvient le Toulousain. « Nous ne voulions pas envoyer nos salariés sur les chantiers sans être garant de leur sécurité », explique celui qui est aujourd’hui à la tête d’un groupe de six sociétés qui réalise un chiffre d’affaires consolidé de 30 M€ pour un effectif de 200 personnes.

Titulaire d’un diplôme universitaire de technologie en génie civil de l’IUT Paul Sabatier complété par une formation en stratégie financière à l’Institut français de gestion (IFG) puis une formation en management, Frédéric Carré a racheté en 2004 l’entreprise de métallerie familiale éponyme fondée par son père en 1973, « parce que je ne voulais pas qu’il me la donne, assure-t-il. J’ai toujours eu envie de faire ça ! Depuis mon plus jeune âge, je suivais les conducteurs de travaux. J’ai toujours travaillé l’été dans l’entreprise familiale ».

Le groupe qu’il dirige aujourd’hui est spécialisé dans la métallerie, la menuiserie aluminium et le traitement de surface, et réalise des chantiers un peu partout entre Bordeaux et Toulouse. « Nous travaillons également beaucoup sur Montpellier, poursuit Frédéric Carré. Je suis d’ailleurs en train de chercher une entreprise à racheter dans le secteur pour vraiment asseoir mon activité sur les trois métropoles. » Cette stratégie de développement et de repositionnement sur des marchés de plus en plus gros paie : « Le groupe Carré a un bon carnet de commandes. Je suis donc serein pour mon entreprise pour les deux années qui viennent », assure le dirigeant.

Hélas, deux mois après le début du déconfinement, toutes les entreprises ne peuvent pas en dire autant. Après l’arrêt des chantiers, il a fallu en effet batailler ferme afin « d’obtenir l’activité partielle, se souvient- il, car pendant les premières semaines, le bâtiment ne figurait pas parmi les bénéficiaires du dispositif. Cela a donc été une période assez délicate avec un danger de vie et de mort pour nos entreprises. »

Avec la publication, le 2 avril, du guide de préconisations des mesures de sécurité sanitaire par l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), pour les entreprises du secteur, une deuxième phase a débuté, à peine un peu moins compliquée que la première. « Le ministère du Travail voulait nous faire reprendre le plus vite possible le travail sur les chantiers parce que lorsque les entreprises du BTP sont à l’arrêt, cela fait mal à l’économie du pays. On a donc majoritairement repris, avant même le déconfinement. Le gouvernement et les préfectures nous pressaient de reprendre l’activité alors que nous ne disposions pas encore de masques. Nous avons fait preuve de responsabilité en privilégiant la sécurité de nos salariés et repris l’activité lorsque nous les avons reçus. »

Depuis, les entreprises se sont adaptées, elles ont intégré les mesures barrières. Mais les difficultés ne sont pas pour autant résolues. « Le problème aujourd’hui se situe sur la réouverture des chantiers en mode dégradé. En effet, tous les plannings se prolongent du fait que la coactivité n’est pas tolérée, chaque corps de métiers passant l’un après l’autre sur les chantiers. Les plannings étant décalés, du coup la situation est terrible actuellement : nous avons 100 % de nos effectifs mais nous ne pouvons pas facturer tout ce que nous avions en prévision. Je pense que nous allons perdre sur l’année entre 20 et 25 % de chiffre d’affaires. Parce que sur trois mois, nous avons facturé zéro et sur trois autres, on facturera 50 % de ce qui aurait dû être facturé. Sachant que l’activité partielle est terminée, la reprise en mode dégradé va faire perdre de l’argent aux entreprises. »

Pour pouvoir faire face à ces besoins de trésorerie, beaucoup d’entreprises ont eu recours aux Prêts garantis par l’État. Mais, prévient le président de la FFB d’Occitanie : « attention à ce qui va se passer au dernier trimestre ! Parce que lorsqu’une entreprise souscrit un prêt à hauteur de 20 % de son chiffre d’affaires, et qu’elle fait en moyenne entre 1 et 2 % de résultats par an, si elle doit le rembourser en cinq ans, cela ne fonctionnera pas. L’État doit se poser des questions sur la façon de structurer cette dette, la lisser ou la faire remonter en haut de bilan… »

Alors pour éviter les faillites en cascade, « il faut travailler avec vigueur sur la relance de l’activité, affirme Frédéric Carré. Les entreprises du bâtiment ne demandent pas d’aides. D’ailleurs, nous n’avons pas eu d’aides. Le PGE n’est pas une aide. Le report de charges non plus. Le bâtiment et les travaux publics sont même les grands oubliés alors qu’on a subi la crise beaucoup plus durement que plein d’autres secteurs d’activité. Mais de manière générale, ce ne sont pas des aides dont nous avons besoin, mais de travail. Or, avec la démographie que connaît la région Occitanie, on a besoin de logements, d’équipements publics et ça, c’est facile à relancer. »

Encore faut-il ne pas tarder. « On compte sur les élus, confirme le dirigeant. Il faut un plan de relance pour la filière qui constitue le 3e secteur économique dans la région, avec 15 Mds€ de chiffre d’affaires, 70 000 entreprises, 150 000 emplois. Si on n’a pas de travail, ça va être la catastrophe, entraînant des destructions d’emploi. L’État a joué le jeu dans l’accompagnement, ce qui fait qu’aujourd’hui il n’y a pas de dépôt de bilan. Mais lorsque les échéances vont s’enclencher s’il n’y a pas de travail, on n’y arrivera pas. »

Relancer le bâtiment pour éviter la casse sociale, voire absorber une partie des emplois perdus dans l’industrie, c’est ce qu’imagine aussi Frédéric Carré. « On se doute que sur le plan de l’emploi, dans le secteur aéronautique et spatial, cela va être terrible dans notre région. Alors que nous avons des besoins dans le bâtiment. Or, avec l’aide de la Région, il peut y avoir des formations accélérées, adaptées, pour qu’on puisse employer des salariés de l’industrie dans nos métiers… »

La formation, l’attractivité constituent du reste les axes majeurs du mandat de Frédéric Carré à la tête de la FFB régionale. « L’idée est de valoriser nos métiers à travers de nouveaux axes : l’innovation, le numérique, la réglementation environnementale, l’économie circulaire, la RSE, le lean construction, etc. Ces sujets étaient déjà dans l’air du temps mais avec la crise sanitaire, il faut accélérer le mouvement. »

Une bataille de longue haleine pour celui qui, déjà élu à la CCI de Haute-Garonne et de région, vice-président du Medef Haute-Garonne, a pris en septembre la présidence de l’entreprise sociale pour l’habitat (ESH) Promologis, qui gère un patrimoine de quelque 28000 logements locatifs et produit chaque année près de 1 600 logements. « Je veux passer la barre des 2 000 logements. C’était mon plan de campagne : construire plus parce que nous avons des besoins. On maintiendra nos objectifs malgré le Covid, parce que ces besoins demeurent. » Depuis son arrivée à la tête de la FFB d’Occitanie, ce dernier a également intégré le comité exécutif de la fédération nationale. Chargé par Olivier Salleron, son nouveau président, de développer le réseau des adhérents, il devra trouver un peu de temps dans son planning pour cette nouvelle mission. Une simple question d’organisation pour ce bourreau de travail, qui enchaîne trois demi-journées en une. Et si on lui demande si cet emploi du temps chargé lui laisse du temps à soi, « je suis passionné par mon métier et mes activités, assure-t-il, c’est là que je passe du temps pour moi!»

Parcours

1974 Naissance à Toulouse
2004 Rachat de la société Carré
2006 Rachat d’Artel
2008 Création de Carré Aluminium
2012 Prend la présidence de la Fédération du bâtiment et des travaux publics de Haute-Garonne
2018 Rachat de Roynel Bordeaux
2019 Prend la présidence de Promologis
2020 Prend la présidence de la Fédération régionale du bâtiment et intègre le comité exécutif de la FFB où il se voit confier la charge de développer le réseau