Eneapharm, ou l’art de faire passer la pilule

Cette année, Eneapharm a été distinguée lors de la 21e édition du concours de l’innovation i-Lab organisé par le ministère de la Recherche et Bpifrance. (Droits réservés)

Cette start-up pharmaceutique développe une solution capable de réduire le nombre de médicaments ingérés par les malades du pancréas.

Lorsqu’il travaillait encore au sein de sa précédente entreprise, Oralance, Karim Ioualalen s’était aperçu combien le passage de l’estomac, « qui est un milieu très acide », est un moment périlleux pour nombre de médicaments, car ils peuvent y être détruits avant même d’avoir eu le temps d’agir complètement.

Spécialiste de l’administration des médicaments par voie orale, le chercheur, qui œuvrait alors au développement d’un anti-ulcéreux, tombe alors un jour « sur un article qui parlait des enfants atteints de mucoviscidose, et qui sont obligés de prendre une grande quantité de gélules – 23 minimum par jour, et jusqu’à 40 ! » Pourquoi autant ? « Les enzymes qui étaient administrées par voie orale, et qui leur permettent de digérer les aliments, étaient elles aussi détruites lors de leur passage dans l’estomac, explique Karim Ioualalen. D’où la nécessité d’en absorber en quantité astronomique », afin qu’un maximum d’entre elles arrivent à faire effet. Mais il y a un autre problème : souvent, lorsqu’elles sont contenues en gélules, celles-ci mettent du temps à se dissoudre, de sorte que les enzymes n’agissent enfin que bien plus bas, au niveau du côlon… or, « libérer des enzymes à cet endroit est si peu naturel pour le corps que cela risque d’attaquer le tube digestif, au point d’entraîner des occlusions intestinales irréversibles ».

C’est pourquoi, en 2016, Karim Ioualalen a-t-il décidé de créer, avec l’un de ses collègues d’Oralance, Christophe Raynal, Eneapharm. Une start-up hébergée par Prologue Biotech à Labège, afin de commercialiser « un moyen de libérer ces enzymes dans le haut du tube digestif, là où se situe le pancréas, et de manière rapide pour que le patient ait le temps de digérer tranquillement ses aliments ». La solution : « plutôt que de l’enrobage comme avec des dragées ou du plastique de gélule, nous avons travaillé sur des excipients sous forme de cristaux », qui se dissolvent plus rapidement. Et Karim Ioualalen de souligner que, si sa solution pharmaceutique a été développée à l’origine pour les patients souffrant de mucoviscidose, celle-ci, en cela qu’elle vise « l’insuffisance pancréatique exocrine, peut délivrer des enzymes qui sont mises à mal par d’autres maladies comme le cancer du pancréas, la maladie de Crohn ou l’alcoolisme ».

PLUSIEURS CENTAINES DE MILLIERS DE PATIENTS CONCERNÉS

« Nous avons mis deux ans à faire mûrir notre technologie et à faire des essais, poursuit le président de la start-up. Lesquels ont été financés sur fonds propres et une fois que cela a été validé, nous avons déposé les brevets, puis demandé mi-2018 à être incubé par Nubbo ». En août de la même année, l’entreprise naît officiellement puis, en septembre, Eneapharm se retrouve lauréate du concours Créalia Occitanie.

« Ensuite, nous avons réuni un petit groupe d’actionnaires pour obtenir un premier financement de 250 K€ en décembre de l’année dernière. Début 2019, on avait obtenu 500 K€ de ressources financières, qui vont nous servir pour de la R&D pure et dure, en particulier au développement des essais chez l’animal », se félicite Karim Ioualalen. Lequel prépare également une augmentation de capital, le changement de taille de la société « et le développement du process avec le Critt Biotech de l’Insa de Toulouse – dont je suis issu », explique-t-il. Avec, comme objectif principal, « de déposer la demande d’essais chez l’Homme auprès de l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) au premier trimestre 2020 ». Des essais qui devraient être financés par une nouvelle levée de fonds, « entre 2 et 4M€ », avant une commercialisation – « si tout se passe bien » – espérée en 2022. Dès lors, Eneapharm visera en priorité les marchés d’Europe et d’Amérique du nord,
« sachant que l’insuffisance pancréatique exocrine est une pathologie qui touche plusieurs centaines de milliers de personnes ; et aux États-Unis, c’est un marché qui représente 1,5 Md$ de chiffre d’affaires par an. C’est le marché numéro un sur lequel il faut être présent », conclut Karim Ioualalen.