En Occitanie, la robotique, ce n’est pas automatique (et c’est bien dommage)

De gauche à droite, les trois vice-présidents de Robotics Place : Michel Taïx, chercheur au Laas, Fabrice Robert, responsable de l’innovation chez Sogeti High-Tech, Valérie Auffray, directrice de Tecnalia France, et le président du cluster, Laurent Latorse, également président d’Airod Technologies.

Mais grâce aux 90 membres du cluster Robotics Place, une industrie régionale du robot industriel ou de services pourrait bien finir par émerger dans les prochaines années.

Même si l’on peut soupçonner les représentants du cluster Robotics Place de prêcher pour leur paroisse, ceux-ci l’assurent : « la robotique, associée à l’intelligence artificielle, est en train de bouleverser le marché du travail, et notre société. N’ayez pas peur, ne luttez pas : c’est un fait qui va tous nous balayer », ou du moins, tous les secteurs professionnels, affirmait ainsi le président du cluster Laurent Latorse, lors d’une conférence de presse organisée le 13 mars dans les locaux de l’hôtel de région.
Mais rassurez-vous, « nous sommes là. Nous collaborons avec les labos et les universités, avec les start-up, les PME, pour préparer nos jeunes et vous former. Nous vous protégeons. Nous ajoutons de l’éthique, car nous sommes en France » a ajouté le jeune président d’Airod Technologies – oubliant au passage de préciser que certains pays, comme la Corée du Sud, ont déjà développé une législation conférant des devoirs aux robots, inspirée des célèbres trois lois d’Isaac Asimov sur la robotique. Or, « quand nous disons “la robotique vous allez l’utiliser quoi qu’il arrive”, ce n’est pas parce qu’on veut l’imposer, parce qu’on en a envie », a souligné à son tour Fabrice Robert, l’un des vice-présidents de Robotics Place et responsable de l’innovation chez Sogeti High-Tech. « C’est simplement quelque chose que l’on constate, et donc nous voulons accompagner ce mouvement, pour créer une robotique éthique ».

C’est pourquoi, au sein du pôle Robotics Place, un pôle Besoins et usages a été récemment créé, afin de répondre à « une entreprise qui se demande si la robotique a de la valeur pour elle, pour optimiser son activité ou transformer ses métiers, pour rester compétitif en ajoutant du service », a détaillé Fabrice Robert. Il s’agira surtout de « voir avec le professionnel quelle est la maturité des différentes solutions – les fournisseurs de produits clé en main comme ce qui relève encore de la R & D. De rassurer, et de guider parfois ; mais le plus important, c’est de diffuser une information pertinente, par des professionnels, et dans un cadre non commercial ». Une exigence sur laquelle il a « insisté » puisque, dans le milieu de la robotique, « nous savons qu’il y a des entreprises qui veulent faire de l’argent et qui donc pourraient chercher à faire du lobbying pour des solutions qui ne seraient pas forcément pertinentes. C’est pourquoi il est très important de préciser que les utilisateurs vont devenir adhérents du cluster, et seront partie prenante de la robotique qu’ils contribueront à définir ». Preuve, selon Fabrice Robert – et même s’il s’agit d’une punchline un peu caricaturale – que « le pôle Besoins et usages n’est pas fait pour les roboticiens. L’idée, c’est de dire que la robotique appartient à tout le monde et avant tout à ses utilisateurs ».

UN POTENTIEL EN QUESTION(S)

La participation est d’autant plus bienvenue, voire nécessaire, que certaines questions importantes se posent encore. À commencer par celle de son modèle économique, puisque par exemple, le robot d’accueil Pepper de la société japonaise SoftBank Robotics « coûte 20 K€, auquel il faut ajouter 40 à 50 K€ de logiciel d’intelligence artificielle », a rappelé Hubert Tissot, directeur du Lab d’innovation pour les résidences Les Sénioriales. Lesquelles en ont installé un exemplaire dans l’un de leurs bâtiments à Lyon au titre d’expérimentation ; alors, « c’est vrai que pour ce prix-là, on pourrait embaucher une personne pour faire le même travail d’accueil », voire pour moins cher… « C’est pourquoi le modèle économique reste encore à imaginer, en passant par exemple par une société qui nous louerait une vingtaine de robots pour un forfait par mois », a conclu le représentant des Senioriales, qui participent au cluster « en apportant l’expertise de nos clients, tandis que nous, nous recherchons des connaissances » sur la robotique.

Autre signe d’intérêt, « Pierre Fabre s’est rapproché de notre cluster pour développer des solutions sur-mesure d’entrepôt logistique dans le Mure tain », a expliqué pour sa part Laurent Latorse. « Ils sont intéressés par ce qu’ils voient qui se passe chez CDiscount ou Amazon, avec leurs entrepôts entièrement automatisés. Donc chez Pierre Fabre, ils se sont dit que ce serait peut-être l’occasion de voir comment ils pourraient améliorer leur logistique » ; ce qui, coup de chance, s’avère être justement l’une des thématiques portées par le nouveau pôle Besoins et usages.

Sans oublier que comme tout cluster ou pôle de compétitivité, Robotics Place a ses avantages propres, comme l’a rappelé Valérie Auffray, la directrice de Tecnalia France : un centre de recherche privé adhérent du cluster, spécialisé dans la maturation technologique et le transfert de technologie en robotique industrielle basé à Bilbao (Espagne) et disposant d’une antenne à Montpellier. Pour elle, faire partie de Robotics Place « permet de mutualiser, de favoriser le partage d’expériences et de générer de nouvelles idées de services et de produits. Surtout, c’est un outil essentiel pour la visibilité des PME et répondre à des appels d’offres de grands comptes ». Ainsi, près de 300 K€ de CA – subventions comprises – ont été générées par Robotics Place pour ses adhérents.

Reste que pour développer cette industrie, il faudra encore quelques efforts car, comme l’a rappelé Michel Taïx, chercheur au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (Laas) de Toulouse, « l’Occitanie est en retard avec la robotique par rapport à d’autres régions comme celle de Bordeaux, où ils sont en train de créer des laboratoires de qualité. Donc il faut que la Région s’empare de ce sujet ! »

Un retard qui s’explique par le fait que l’aéronautique, pourtant moteur de l’industrie toulousaine, « ne s’est pas robotisée car les procédés de fabrication des avions, complexes, n’étaient pas facilement automatisables », a souligné Valérie Auffray. Ce que permettent aujourd’hui les nouvelles technologies de capteurs et de deep learning ; car si, a-t-elle reconnu, toutes les tâches ne sont pas encore automatisables, la robotique présente néanmoins un grand intérêt « pour, par exemple, la dépose de rivets sur les fuselages qui est assez traumatique pour les opérateurs ». Car les hommes, eux, ne sont pas des robots.

Bientôt un Village robotique et drones à Francazal ?
Le projet, depuis plusieurs années, tient du serpent de mer.

Laurent Latorse, le président de Robotics Place, l’avoue sans détours : depuis qu’il a commencé à porter ce projet sur la zone de Francazal-Bois Vert en 2014, il est un peu déçu et fatigué. Pourtant, au départ, « j’étais convaincu que le futur, c’était de créer un territoire d’expérimentation pour que les PME puissent prouver à de futurs clients que leurs robots et drones étaient des produits d’avenir ». Le problème, c’est qu’entre-temps, Laurent Latorse dit « s’être confronté à la politique, à ces deux communautés que sont le Muretainet Toulouse Métropole»; un monde qui « n’avance pas à la même vitesse que celui du secteur privé. Et donc je me suis battu jusqu’en 2017, et après j’ai un petit peu baissé les bras », reconnaît Laurent Latorse, qui souligne aussi qu’à Lyon, la « zone logistique où sera testé le véhicule autonome en transport logistique a mis 10 ans à sortir de terre ! Donc les élus que j’ai parfois bousculés me disaient : “nous sommes dans les temps” ».
Néanmoins, depuis, « Toulouse Métropole a repris la main face au Muretain, et est en train de finaliser le rachat les terrains, pour confier à un aménageur-promoteur immobilier la future zone du Village robotique et drones ». Le président d’Airod Technologies a lui-même réservé un terrain pour y installer sa société. Donc, moralité : « non, le projet n’est pas enterré, il prend juste plus de temps que je n’imaginais en 2014 ! »