Élodie DelauneElle fait valser la maladie

Elodie Delaune

Elle a fait de sa maladie une force : poussée à arrêter sa carrière de danseuse car elle souffre d’endométriose, Élodie Delaune ouvre un centre d’art-thérapie de plus de 150 mètres carrés à Dijon. De nombreux intervenants proposeront des activités variées pour redonner le goût de se battre aux malades.

Atteinte d’endométriose depuis l’adolescence, elle vient d’ouvrir un centre d’art-thérapie dans l’ancienne gare Porte-Neuve à Dijon.

Élodie Delaune, trentenaire dijonnaise, danse depuis sa plus tendre enfance. « Très tôt, vers l’âge de cinq ans, la danse a été une révélation. J’ai commencé avec de la danse classique puis j’ai pratiqué la danse contemporaine et la danse lyrique. Mais plus j’avançais dans l’adolescence, vers l’âge de 17 ans, plus je ressentais des signes de l’endométriose*. Par exemple, lorsque j’avais mes règles, il m’était impossible de courir autour d’un stade ou de m’entraîner. Parfois j’étais carrément incapable de bouger. Malheureusement, à l’époque, c’est-à-dire au début des années 2000, la maladie était très méconnue et les médecins comme mes proches ne me prenaient pas au sérieux. Je devais sans cesse justifier mes douleurs. D’autant plus que les règles étaient et sont encore taboues, en étant jeune fille c’était très difficile de me confier. Je m’efforçais donc de ne pas écouter mon corps et les douleurs pour poursuivre la danse. Et même si j’ai suivi des études en ressources humaines pour assurer mes arrières, j’ai toujours voulu faire de la danse mon métier », confesse la jeune femme.

À peine majeure, elle sillonne alors les routes de France et au-delà pour vivre de sa passion. « J’ai eu l’opportunité de travailler pour plusieurs compagnies aux niveaux national et international à Madrid ou encore à l’école nationale de danse de Porto qui est l’équivalent de l’Opéra de Paris. J’ai aussi dansé avec des chorégraphes du Ballet de Monte-Carlo, bref, je vivais pour la danse. »

À 19 ans, sa vie bascule quand on l’écoute enfin et qu’on lui apprend qu’elle souffre d’endométriose. « J’étais constamment fatiguée, quand j’avais mes règles, les douleurs étaient telles que seule la morphine me soulageait. Je ne pouvais rien faire. Quand le diagnostic a été posé, ma vie s’est écroulée car je devais lever le pied sur la danse. C’était comme si on apprenait à un basketteur qu’on allait l’amputer des deux mains :
je tirais un trait sur mon rêve. En plus, à l’époque, avoir une endo voulait forcément dire que vous n’auriez jamais d’enfants ou qu’il fallait programmer la procréation etc. Les discours étaient très pessimistes. Quand on s’entend dire ça à 19 ans, c’est terrible notamment pour la confiance en soi. D’ailleurs, pendant des années jusqu’à la naissance de ma fille, j’ai vécu avec une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête à cause de ces messages angoissants voire culpabilisants. J’avais l’impression de n’être considérée que comme un incubateur. Le seul enjeu pour les médecins qui me suivaient, était de me rendre possible la conception d’un enfant. Le reste, c’est- à-dire les douleurs, l’impact sur ma vie sexuelle, sociale, mon couple, mon quotidien ou encore mon moral, n’était pas important. Sans parler de la solitude dans laquelle on se trouve.
» Elle dénonce notamment le manque d’accompagnement dont sont victimes les femmes malades. « Après l’annonce du diagnostic, on est livrées à nous-mêmes, on se heurte également au peu d’empathie et de soutien de la part des proches qui sous-estiment la maladie et le mal-être qui en découle. Les femmes qui souffrent pendant leurs règles sont enfermées dans un cliché bien ancré qui laisse entendre que c’est normal d’avoir mal. Pendant longtemps, l’endométriose a été associée à des troubles psychiatriques, une méconnaissance de la maladie qui a laissé des traces. En effet, quand on se plaint, les retours peuvent être très violents, y compris de la part des personnels soignants qui infantilisent les femmes. J’ai par exemple entendu que je devais arrêter d’être une chochotte. Bref, bien souvent, les femmes n’osent même pas en parler aux médecins et souffrent en silence. Finalement, c’est plutôt symptomatique de notre société, les femmes n’ont pas le droit de se plaindre, même pour un accouchement, elles doivent avoir mal en silence », poursuit-elle.

Faisant fi des recommandations des médecins, elle continue malgré tout la danse, maltraitant un peu plus son corps. « J’ai vraiment ralenti le rythme quelques années après le diagnostic, à 21 ans. Je ne faisais plus de danse professionnelle, je donnais juste quelques cours et je suivais des stages mais ma carrière était terminée. » Les années passent, elle exerce comme responsable Rh et le désir de grossesse se fait ressentir.

SUBIR PLUTÔT QUE VIVRE

« Forcément avec la maladie, tomber enceinte était très compliqué alors j’ai entamé un parcours PMA. Là aussi, ça a été très dur car j’ai dû subir une batterie d’examens. J’avais l’impression d’être complètement dépossédée de mon corps puisqu’à force, les médecins ne me demandaient même plus la permission avant de m’ausculter. Plusieurs fois, je me suis retrouvée allongée sur une table d’examen avec une poignée de médecins qui parlaient en langage technique entre eux devant moi, sans me prêter attention », souffle-t-elle.

Sous traitement hormonal, elle prend plus de dix kilogrammes et vit la grossesse comme un calvaire.

« En plus de devoir prendre une contraception hormonale en permanence pour limiter la propagation de la maladie, les femmes qui souffrent d’endométriose sont bourrées de produits chimiques et d’hormones, cela a forcément un impact sur le corps. Elle regrette : Alitée pendant presque toute la durée de ma grossesse, j’ai eu l’impression de la subir plutôt que de la vivre ». Malgré tout, elle commence à s’intéresser aux associations de sensibilisation de l’endométriose et s’engage avec Endomind. « C’est une association nationale labellisée par le ministère des Solidarités et de la Santé qui mène des actions pour financer la recherche et organise des évènements pour sensibiliser le grand public mais aussi les professionnels de santé et les médecins scolaires. En région, et notamment en Bourgogne Franche-Comté, nous organisons des groupes de parole pour les patientes ainsi que des actions de sensibilisation notamment à destination des médecins généralistes et des sages-femmes. Lors de la campagne 2018/2019, nous avons aussi travaillé sur la sensibilisation auprès des mutuelles notamment pour que celles-ci reconnaissent l’endométriose comme une affection de longue durée (ALD) voire comme un handicap car si la maladie ne se voit pas, elle a des conséquences sur la vie entière et peut engendrer d’autres maladies. C’est mon cas puisqu’après la naissance de ma fille on a découvert que je souffrais aussi d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin.» Parce que la danse a toujours été pour elle un exutoire, lui permettant de s’évader, Élodie Delaune a eu envie d’offrir aux autres malades ce dont elle n’a pas eu la chance de bénéficier : un endroit en dehors du milieu médical où les individus sont entourés et écoutés. « Le but est d’améliorer la vie des patients mais également des personnes qui ressentent un mal-être par l’art donc soit grâce à la danse, à la musique, aux livres ou encore par la sophrologie et tant d’autres ateliers. » Son centre d’art-thérapie, baptisé Artem studio, situé dans l’ancienne gare de Dijon-Porte neuve, sera inauguré ce mardi en présence du maire François Rebsamen. « Le projet est soutenu par le Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, centre référence de l’endométriose qui a été pris comme modèle par Agnès Buzyn pour une meilleure prise en charge de la maladie. J’espère sincèrement que les malades pourront se réapproprier leurs corps grâce aux activités proposées. »

*L’endométriose est une maladie inflammatoire chronique de l’appareil génital féminin qui s’explique par le développement d’une muqueuse utérine (l’endomètre) en dehors de l’utérus, colonisant d’autres organes. Touchant 10 % des femmes en âge de procréer en France, soit 1,5 à 2,5 millions de femmes, la maladie se caractérise par des fortes douleurs durant les règles, pendant les rapports sexuels mais également une fatigue chronique. Enfin, l’endométriose peut causer l’infertilité surtout si elle est traitée tardivement. (Source ministère des Solidarités et de la Santé).

Parcours

1987 Naissance, le 14 juin à Dijon.
2006 On lui diagnostique la maladie.
2008 Elle met un frein à sa carrière de danseuse professionnelle.
2014 Elle s'engage dans des associations de lutte contre l'endométriose.
2017 Elle décide d'ouvrir un centre d'art-thérapie alliant sa passion pour la danse et son engagement dans le monde associatif pour combattre la maladie.