Élections européennes : un paysage politique français en pleine mutation

Olivier Dupéron, maître de conférences en droit public, considère, après ces élections européennes, qu’« une dose supplémentaire d’environnement » doit être intégrée « dans la politique gouvernementale ». (Archives PAMB)

Des surprises à la hausse et des étonnements à la baisse : les élections européennes du 26 mai dernier laisseront des traces dans un paysage national déjà bousculé lors des présidentielles de 2017. Durables ou pas, ces changements rebattent les cartes et doivent questionner les partis sur leur avenir… Entretien et analyse avec Olivier Dupéron, maître de conférences en droit public, directeur-adjoint du Centre de Recherche Droit et Territoire de l’URCA.

Quelle est la réelle surprise de ces élections européennes ? Le Rassemblement National en tête ? Le non-effondrement de la République en Marche ? La troisième position d’EELV ou l’effondrement des listes des Républicains, de la France Insoumise et du Parti Socialiste ?

L’effondrement des Républicains est plus significatif, surtout à ce niveau-là, avec un score inférieur à 10% alors qu’ils étaient annoncés autour de 14%. C’est sans doute à ce niveau que l’on trouve le vrai fait marquant de ce scrutin. Cela est dû à une stratégie de campagne et à un positionnement politique axé sur une approche de droite très conservatrice, traditionnaliste et campée sur des valeurs familiales, anti-IVG, de convictions religieuses de la tête de liste, avec également une prise de position sur l’affaire Vincent Lambert (pour la reprise des soins, NDLR), par exemple. Cela a été une vraie erreur et doit les interroger pour la suite car cela a flatté leur noyau dur d’électeurs qui se cantonne autour de ces 8,5%…

Le score des Verts est-il si surprenant, comme cela a été dit dès le soir des résultats ?

Avec 13%, EELV réalise un beau score, mais si leur poussée est intéressante elle ne constitue pas une totale surprise car ces élections réussissent plutôt bien aux Verts qui sont naturellement positionnés sur une approche européenne. De plus, nous sommes dans une période où la préoccupation environnementale et la question de la préservation de la planète sont abordées presque quotidiennement. Dans ce contexte, et si on considère qu’ils avaient réalisé plus de 16% aux Européennes de 2009, ce score de 13% est à relativiser. Pour eux la question est de savoir ce qu’ils vont faire de ce résultat lors des prochaines échéances à enjeux local et national. Parviendront-ils à capitaliser dessus pour être audibles ?

Un tel effondrement de la France Insoumise qui s’est longtemps vue comme le principal opposant à Emmanuel Macron semble assez surprenant également…

De nombreux abstentionnistes du 26 mai devaient se trouver parmi les électeurs de la France Insoumise. D’autres sont sans doute partis chez les Verts ou au Rassemblement National. Plusieurs erreurs ont été commises par Jean-Luc Mélenchon et ses troupes. La première est d’avoir joué la carte populiste de gauche, qu’ils n’avaient pas brandi lors de la dernière présidentielle. Les outrances des leaders du parti, leurs prises de position parfois ubuesques et les images qui ont tourné en boucle de la séquence de la perquisition avec un Jean-Luc Mélenchon apostrophant les magistrats et les policiers n’ont pas non plus joué en faveur du parti.

Face à de tels résultats, les sondeurs se sont-ils trompés ?

Oui et non. Il n’ont pas vu la poussée des Verts ni l’effondrement des Républicains, mais l’échec le plus important des instituts de sondage concerne la participation. On l’annonçait très faible, voire record, et au final on a la participation la plus élevée depuis 1994 ! Il semblerait que de nombreux électeurs se soient décidés à aller voter au dernier moment, tout comme ils ont hésité longtemps à faire un choix. On peut estimer que les électeurs ont mieux compris l’importance de l’Europe pour leur quotidien et les enjeux stratégiques, illustrés par le feuilleton du Brexit ou celui de l’immigration. La participation élevée peut aussi s’expliquer par une très forte politisation des débats et une forme de dramatisation avec un enjeu cristallisé autour d’une opposition Macron / Le Pen.

Était-ce un bon calcul stratégique de la part du Président de la République ?

En terme d’image, on peut traduire cela comme un semi-succès ou un semi- échec dans le sens ou la liste de la Majorité arrive derrière celle du Rassemblement National. Mais en terme de clarification du paysage politique et électoral sa stratégie est totalement payante et validée, puisqu’il a écarté toutes les autres formations et se retrouve en seul rempart face au Rassemblement National.

Cela peut-il suffire à long terme ?

L’effondrement du PS et de LR peut s’avérer un véritable problème pour la majorité présidentielle au niveau local, pour les échéances municipales de 2020, par exemple, car En Marche n’aura plus de potentiel de réserve de voix. D’autant que le scrutin municipal se joue aussi sur la personnalité du maire sortant et des candidats. En revanche, les électeurs du RN sont plus disciplinés et privilégient le vote du parti, à la manière du vote communiste des années 60 et 70.

Y a-t-il un vote des villes et un vote des champs ?

Très clairement oui ! Il y un vote des métropoles, des grandes villes et des agglomérations qui se portent bien, et un vote des villes moyennes et du rural. Les résultats de ces communes illustrent une fracture territoriale qui s’amplifie. En Champagne-Ardenne, dans ces territoires, on enregistre 10, 15 ou 20 points d’avance pour le Rassemblement National sur leur premier poursuivant. Dans les Ardennes, en Haute- Marne et même dans certains endroits de la Marne, on peut aujourd’hui se demander si le RN n’est pas capable de gagner des petites villes. Celles-ci votaient déjà pour le Front National mais cette fois, ce vote dépasse les 40%, comme à Fismes, par exemple.

L’une des interrogations de ce scrutin était de savoir s’il y aurait un effet gilets jaunes… Il semblerait que celui-ci n’ait pas eu lieu ?

Électoralement, on a bien vu que les gilets jaunes n’existaient pas. Les Européennes ont simplement démontré que passés les premiers jours du mouvement, les gilets jaunes faisaient bien partie de l’électorat RN et qu’ils continuent à se retrouver dans son vote. Les listes gilets jaunes ont fait un flop magistral et n’ont rien produit en terme électoral. C’est une bonne leçon sur l’effet de loupe : même quelques dizaines de milliers de personnes dans la rue ne représentent pas grand chose par rapport aux millions de personnes que constitue le corps électoral. Au contraire, ce genre de mouvement peut procurer l’effet inverse et conduire la majorité silencieuse dans les urnes, à la manière – toutes proportions gardées – de ce qui s’est déroulé lors des élections législatives post-mai 68 et qui ont confirmé le Général de Gaulle au pouvoir.

Quels enseignements en tire-t-on pour l’Europe ?

Avec l’Italie, quelques pays d’Europe centrale et le Royaume-Uni, la France fait partie de ces quelques pays qui envoient un contingent issu de l’extrême droite au Parlement européen. Un axe se constitue et la France en est un des leaders. Toutefois, avec le score enregistré par sa majorité, Emmanuel Macron reste crédible aux yeux du continent et apparaît encore comme celui qui peut donner le « la » en Europe. La France sera visible et audible grâce à ce résultat qui conforte son Président au sein de l’institution européenne. Il apparaît toujours comme un leader qui pèsera en Europe.

Et pour la politique gouvernementale ?

Le simple fait que l’on ne parle plus de maintien ou non du Premier ministre deux jours après l’élection en dit long ! Même si elle n’est pas arrivée en tête, la Majorité est satisfaite : elle est issue d’un parti jeune, d’un mouvement politique récent et sort de six mois d’agitation avec les gilets jaunes. Elle était seule contre tous – ce qui est la règle quand on est au gouvernement – et dans ces conditions, les partis au pouvoir sont souvent sanctionnés (en 2004, le président Jacques Chirac, qui avait vu son parti, l’UMP, arriver 12 points derrière le PS et en 2014 François Hollande et le PS avaient ter- miné en troisième position avec 10 points de retard sur le FN, NDLR). Dans ces conditions, on peut dire que la casse est limitée et que la défaite subie par En Marche est plus qu’honorable. L’autre bonne nouvelle étant l’effondrement de la concurrence et une bipolarisation autour d’un duel entre LREM et le RN, sachant qu’un seul des deux peut gouverner.

Le Président doit-il changer de cap ou est-ce finalement un message pour lui dire de continuer dans la voie de la réforme ?

On peut d’abord imaginer que les résultats vont permettre de sortir un peu plus manifestement de la crise des gilets jaunes. La feuille de route qui a été tracée lors de la conférence de presse du Président ne subira pas de modification substantielle puisqu’il n’y a pas eu de rejet véritable de la Majorité au travers de cette élection. Et alors que nous allons entrer dans une séquence d’une grande élection par an jusqu’aux pro- chaines présidentielles de 2022 (municipales en 2020, départementales régionales en 2021, NDLR), il va maintenant falloir mettre en œuvre la réforme constitutionnelle, l’acte de décentralisation annoncé et la réforme des retraites… Et si on doit imaginer un aménagement de la feuille de route en lien avec les résultats de ce scrutin européen, c’est sans doute du côté de l’écologie qu’il faudra le trouver, avec une dose supplémentaire d’environnement dans la politique gouvernementale.