Élodie MoineD’une capitale à l’autre

« Pur produit CBRE », elle vient de prendre, à tout juste 40 ans, la direction des équipes agence du bureau toulousain du spécialiste de l’immobilier d’entreprise.

Élodie Moine a pris en janvier la tête des équipes agence du bureau toulousain de CBRE, conseil en immobilier d’entreprise, succédant à Michèle Bellan, en poste depuis 28 ans. Une longévité remarquable dans le métier dont peuvent se prévaloir d’autres femmes telles Julie Pasques ou Pascale Cieutat qui ont pour point commun d’avoir toutes trois présidé l’Observatoire toulousain de l’immobilier d’entreprise (OTIE). Elles sont cependant l’exception qui confirme la règle, car les femmes sont encore rares dans le secteur à ce niveau de responsabilité, même si Élodie Moine l’assure, les choses bougent. « Au sein de CBRE, nous avons des parcours managériaux, des formations internes, où les femmes sont bien représentées. » Aussi espère-t-elle que « cela va donner envie à d’autres femmes de prendre confiance en elles pour atteindre ces postes-là. Il faut qu’elles fassent tomber leur propre plafond de verre. »

Pas de parité donc mais « pas de discrimination » non plus « ni dans un sens ni dans l’autre. CBRE est une entreprise très méritocratique ! », affirme la quadra. Son parcours en atteste. Elle a passé une douzaine d’années au sein du groupe, dans les équipes du bureau de Lyon puis de Toulouse qu’elle a quitté quatre petites années, pour vivre la vie d’expatriés au cœur de la capitale américaine, avant de se voir confier, à son retour, la responsabilité de l’équipe toulousaine.

Un beau challenge, pour cette native de Vienne, dans l’Isère, qui a enchaîné un BTS à l’École supérieure des métiers de l’immobilier à Lyon puis une maîtrise en droit des affaires. Un parcours réalisé, à l’exception de la dernière année, en alternance, un mode de formation qu’elle plébiscite.

L’immobilier ? Un choix par défaut reconnaît-elle. « Je n’avais pas d’affinité particulière pour le domaine. Après un bac avec mention, je ne savais pas vers quoi me diriger. Je n’avais pas envie de faire une prépa. Je voulais travailler, m’émanciper. J’ai intégré un BTS en alternance dans le domaine de l’immobilier commercial, chez un administrateur de biens à Lyon. Et très vite, le monde de l’entreprise – le fait d’avoir en face de moi des clients professionnels et non des particuliers – m’a beaucoup plu. Je m’y suis sentie tout de suite très à l’aise et j’ai trouvé ça extrêmement intéressant. Cela requiert en effet des compétences dans l’analyse économique, juridique et financière. Et puis, c’est un marché en perpétuelle évolution. » À l’époque, le retail connaît une période faste. « Le marché était très porteur, les boutiques se développaient. C’était très stimulant ». Après son dernier diplôme obtenu en 2004, Élodie Moine intègre les équipes d’un promoteur lyonnais, De Joannes, aujourd’hui disparu. « Une petite structure, ce qui m’a permis de toucher à tout, se réjouit-elle. Cela a été très formateur ! »

À 25 ans, elle rejoint le bureau lyonnais de CBRE. Le groupe international de conseil en immobilier d’entreprise qui, a son siège à Dallas, Texas, revendique le leadership mondial sur son marché. Il est l’un des rares à plonger ses racines dans un si lointain passé, puisqu’il est le fruit du rapprochement de Richard Ellis, à l’origine une société de ventes aux enchères de terres agricoles créée à Londres en 1773, et d’un cabinet d’agents immobiliers, Coldwell & Banker, fondé en 1906 sur les ruines de San Francisco qui venait d’être dévasté par un tremblement de terre et un gigantesque incendie. Doué d’une double culture, le groupe, présent en France depuis 1969, pratique un management « bienveillant, affirme Élodie Moine. À chaque fois que j’ai évolué, j’ai bénéficié d’un accompagnement managérial fort. » Notamment, lorsqu’en 2015, son mari, employé chez Airbus, saisit une belle opportunité. Le couple part s’installer à Washington. « J’ai démissionné de mon poste alors que j’étais enceinte de mon deuxième enfant. Je suis partie sans filet de sécurité », se souvient-elle. Et pendant que son conjoint parcourt les États-Unis pour son nouveau boulot, Élodie Moine s’efforce de « résister à l’appel du vide de la femme d’expatrié. » Elle obtient un certificat de management stratégie et performance à la Georgetown University et enrichit son CV de nouvelles expériences professionnelles. Elle rejoint d’abord To Do Today, concepteur et opérateur de conciergerie d’entreprise, « un poste qui avait une certaine connexion avec mon activité précédente ». Puis, en quête d’« un job plus fun », elle intègre les équipes de Ladurée USA (les fameux macarons) où elle commercialise les produits de la marque sur le marché BtoB, notamment auprès d’établissements de luxe. « Mon mari voyageait tout le temps pour son travail, se souvient-elle. J’étais souvent seule, mais je suis un animal social ! Je me suis reconstruit un réseau. J’aime être dans l’action. Du reste, l’immobilier d’entreprise, c’est un métier où l’on est toujours dans l’action!»

La quadra qualifie d’« extrêmement enrichissante » cette expérience américaine. « Elle vous enseigne qu’il est possible de repartir de zéro et de tout reconstruire. Cela vous confère aussi une confiance en soi extrêmement importante ainsi qu’une ouverture d’esprit : on va à la découverte d’un autre environnement. On se met en danger ».

Alors qu’elle a gardé d’excellentes relations avec l’équipe de CBRE Toulouse, l’agence reprend contact avec elle quelques mois avant son retour de Washington pour lui proposer de prendre le poste de directrice adjointe en attendant de prendre la succession de Michèle Bellan. La jeune femme a tout juste quelques semaines pour reconstruire sa vie familiale dans la Ville rose mais surtout, sur le plan professionnel, explique-t-elle, « en quatre ans, les marchés avaient changé ». Et si elle a « le sentiment d’avoir été plutôt bien accueillie par les équipes de Toulouse, j’ai eu besoin de refaire ma place. Il a fallu pédaler fort pour être à nouveau crédible sur un marché qui a beaucoup évolué ». En octobre 2019, la voilà de retour chez CBRE en tant que directrice adjointe. Cinq mois plus tard, le gouvernement décrète le confinement…

« 2020 a été une année particulièrement difficile », reconnaît-elle. Le marché a dégringolé, affichant une baisse de moitié de la demande placée sur les bureaux. « Un séisme sur nos marchés. CBRE n’a toutefois pas reculé dans les mêmes proportions. Nous nous sommes mêmes illustrés en réalisant les deux plus gros deals de l’agglomération en 2020. »

Qu’en est-il de la capitale de l’aéronautique alors que sonne l’heure de la relance ? « La Ville rose est résiliente, assure la professionnelle. Le marché bouge à nouveau. Le secteur de la zone aéronautique continue de souffrir, mais il faut rester optimiste. 2021 devrait être encore une année difficile mais pour 2022, nous espérons un renforcement de la demande sous l’effet du plan de relance aéronautique. Ailleurs, le marché n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant crise. Cependant, il y a de la demande. Qui plus est, cette demande est qualitative et fiable. » Pour l’heure, assure-t-elle, « ce qui fait défaut ce sont les très gros utilisateurs (pour des demandes supérieures à 5 000 m2, NDLR). Ils ne savent pas encore où mettre le curseur sur leurs besoins de surfaces. C’est une des conséquences du développement du télétravail. C’est encore trop tôt pour savoir. Il y a une certaine méfiance : les entreprises redoutent un effet de balancier. Il ne s’agit pas de prendre une décision à la hâte. D’ailleurs, nous accompagnons de plus en plus nos clients dans des missions de work place strategy pour définir avec l’équipe dirigeante l’organisation du travail, les besoins de surface, les aménagements, etc. »

Élodie Moine en est convaincue : « On continuera à se rendre au bureau : pour du travail collaboratif, voir ses collègues et d’autres choses, même si la production, elle, peut s’envisager chez soi. C’est la résultante d’une tendance antérieure à 2020 en faveur d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La crise a été, sur ce plan-là, un catalyseur. »

Quid des investisseurs ? « Ils sont particulièrement frileux sur Toulouse. De fait, pendant des décennies, les acteurs du marché ont eu une communication très axée sur l’industrie aéronautique. L’agglomération est très étiquetée. Il nous faut désormais expliquer que les autres secteurs d’activité fonctionnent toujours très bien. Les investisseurs sont attentistes mais ils savent que Toulouse a du potentiel. Cette crise est peut-être le bon moment pour faire un bilan de nos erreurs de communication. »

Aujourd’hui, représentante d’une équipe d’une vingtaine de collaborateurs, la jeune femme qui aspire à retrouver très vite son studio de yoga, reconnaît que : « l’ascenseur émotionnel, dans ce métier très chronophage, est très fort. Mais cela fait partie de nos leviers de motivation et de nos ressorts de conquête de parts de marché. Sur le plan personnel, cela demande des ajustements réguliers, de prendre du recul. Il faut préserver sa vie de famille et avoir des projets personnels pour rester performant », conclut-elle.

Parcours

1981 Naissance à Vienne (Isère)
2002 BTS Efab Lyon
2004 Maîtrise en droit des affaires
2004-2006 Consultante Investissement et bureaux chez De Joannes à Toulouse
2006-2016 Commercial real estate broker chez CBRE à Lyon puis Toulouse (depuis 2009)
2017-2019 S’expatrie aux États-Unis et rejoint To Do Today puis Ladurée SA à Washington
2019 Directrice adjointe de CBRE Toulouse
2021 Au 1er janvier, devient directrice des équipes agence de CBRE Toulouse