Des vendanges sur fond de conjoncture tendue

L’interprofession a validé un rendement à 10 200 kg/ha pour la vendange 2019, soit 600 kg/ha de moins que l’année précédente. (Photo : Benjamin Busson)

Les vignerons et maisons de Champagne ont fixé un rendement commercialisable de 10 200 kg/ha pour la récolte 2019.

Chaque année à la mi-juillet, les vignerons et maisons de Champagne réunis en Bureau exécutif fixent le rendement commercialisable de la vendange à venir. Pour la récolte 2019, c’est sur un rendement de 10 200 kg/ha que l’interprofession s’est accordée. Un volume nettement inférieur à celui de l’année 2018 (10 800 kg/ha), malgré un potentiel moyen situé entre 11 000 et 14000 kg/ha, mais qui répond surtout à la volonté de la filière Champagne de maintenir un équilibre entre un approvisionnement « conforme aux besoins des opérateurs » et un niveau de stock suffisant. Garant des équilibres champenois, le Bureau exécutif du Comité Champagne a donc fait le choix de la prudence et du pragmatisme en limitant volontairement les rendements face à une baisse régulière des ventes, afin d’éviter l’accumulation de stocks (ceux-ci s’étalant sur trois ans et demi en Champagne).

Pour rappel en effet, un rendement de 10 000 kg par hectare correspond aujourd’hui à une production de 300 millions de bouteilles. Le chiffre d’affaires de la filière tutoie certes les 5 milliards d’euros sur 12 mois glissants, mais les expéditions sont régulièrement en baisse (302 millions de bouteilles en 2018, soit -1,8% par rapport à l’année 2017) en raison notamment d’un marché français à la peine (- 4,2% avec 147 millions de bouteilles en 2018).

« 100 kg de rendement commercialisable représentent trois millions de bouteilles », rappelle Maxime Toubart, président du SGV et co-président du Comité Champagne. C’est un fait, si le chiffre d’affaires de la Champagne continue de progresser au premier semestre 2019, il le doit à l’export. « La France est encore dans une spirale peu réjouissante accélérée par la Loi Egalim », souligne Jean-Marie Barillère, président de l’Union des Maisons de Champagne et co-président du Comité Champagne. Les expéditions sont toujours bonnes en 2019 aux Etats-Unis et au Japon ainsi que sur le marché britannique, premier marché export du champagne, malgré le Brexit. Si l’on peut supposer l’existence de stocks de précaution en Grande-Bretagne pour 2019, il devient difficile de faire des prévisions sur les prochains exercices outre-Manche, d’où un suivi attentif de l’interprofession.

Côté français, le marché reste atone dans la lignée des exercices précédents. Résultat : les vignerons, dont l’essentiel de la production est destinée au marché national, vivent des situations variées. « Certains vont très bien et d’autres beaucoup moins, donc il nous faut trouver un équilibre », tempère Maxime Toubart. « Le marché français a atteint un pic à 190 millions de bouteilles en 2010-2011, on est à 145 millions en 2019. En dix ans on a donc perdu l’équivalent de deux fois le marché anglais », rappelle Jean-Marie Barillère.

LA LOI EGALIM DANS LE VISEUR

Parmi les raisons des difficultés du marché hexagonal, l’interprofession pointe un changement d’habitudes des Français qui engendre une baisse régulière de consommation d’alcool et de vin en particulier.

La Loi Egalim* adoptée fin 2018 a elle aussi plombé la consommation, notamment dans la grande distribution.
« Nous n’avions pas mesuré l’impact de cette Loi sur la non-activation des rayons de l’agro-alimentaire en général », reconnaît Jean-Marie Barillère. La nouvelle réglementation impacte notamment des produits ou des marques qui avaient des taux de promotion très importants (de l’ordre de 50% et des profondeurs avec des opérations stipulant une bouteille achetée et une deuxième gratuite, par exemple, NDLR).

« Les distributeurs ont pris l’option, au vu de la communication du Gouvernement sur les amendes et les contrôles, de ne plus faire d’activation en terme de promotions. On s’est aperçu qu’il y avait des baisses de ventes de champagne de l’ordre de -15% ou -16% sur les six premiers mois de l’année par rapport aux six premiers mois de 2018 », note le co-président du Comité Champagne. La conjoncture ne compterait que pour 1 à 2% de cette baisse, le reste étant dû à la loi Egalim. Autant d’éléments conjoncturels et structurels qui incitent l’interprofession à la prudence au niveau des rendements.

Si les Champenois ont coutume de dire que « le mois d’août fait le moût », les conditions météo et sanitaires dans les vignes laissent espérer une récolte de qualité avec des premiers coups de sécateurs prévus autour du 10 septembre.

* La loi pour l’Equilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire prévoit, entre autres mesures, un relèvement du seuil de revente à perte et un encadrement en valeur et en volume des opérations promotionnelles. Celles-ci sont par exemple limitées à « 34% du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente ».

10 200 kg/ha, « un rendement insuffisant » pour les Vignerons Indépendants

« Les études comptables, datant de quelques années, ont été réalisées sur la base de rendement à environ 11 000 kg/ha, si ce n’est plus, nos dirigeants l’ont-ils oublié ? », questionnent les Vignerons Indépendants. Selon eux, la décision du Bureau Exécutif du Comité Champagne de fixer le rendement à 10 200 kg /ha risque d’avoir des conséquences économiques sur leurs marges et donc sur leur « capacité à commercialiser leurs bouteilles, à innover, à développer l’export et l’œnotourisme, et surtout à relever les défis environnementaux ». Une enquête interne menée auprès des Vignerons Indépendants a révélé que près de 80 % d’entre eux souhaitaient un rendement à 10 500 kg/ha et plus de la moitié d’entre eux à 11 000 kg/ha et plus. Un souhait transmis au dernier Bureau du SGV réuni le 18 juillet dernier, au cours lequel le Syndicat a pris la décision de demander entre 10 000 kg/ha et 10 200 kg/ha au Comité Champagne.
« On nous a demandé du zéro herbicide pour 2025. 2025, c’est demain ! Et cela nécessite de lourds investissements. Ce n’est pas avec 10 200 kg/ha que les vignerons qui n’ont pas encore pris le virage y parviendront. Et je ne parle pas que des Vignerons Indépendants », s’insurge le président Yves Couvreur, qui souhaitait un rendement de 10 500 kg/ha minimum. « Nos adhérents disent clairement qu’ils ont besoin de trésorerie pour poursuivre leur activité. Pourtant, toute augmentation du prix du raisin est dommageable pour le règlement des fermages et si nous continuons ainsi il se dessine une Champagne constituée uniquement de viticulteurs vendeurs de raisin », poursuit le président, qui rappelle également que de nombreux Vignerons Indépendants dynamiques se voient dans l’obligation de prendre un statut de négociant pour pouvoir répondre à leur clientèle et la développer. Pour rappel, 389 Vignerons Indépendants sont adhérents à la Fédération Régionale des Vignerons Indépendants de Champagne. Ils représentent près de 2 600 hectares, soit 7,5 % du vignoble champenois. Ils produisent 15 millions de bouteilles par an, soit 25 % des ventes des vignerons de Champagne, et exportent près de 23 % de leur production.