Jennifer Labatut-DarbasDes transports peu communs

La jeune femme a repris les rênes de l’entreprise de transport et de logistique familiale. Dans cette histoire qui court sur quatre générations, elle écrit un nouveau chapitre… à l’encre verte.

Peut-on échapper à une histoire familiale centenaire ? Jennifer Labatut-Darbas, qui dirige depuis trois ans Labatut Group, une entreprise de transport, logistique et distribution basée à Saint-Elix-le-Château, au sud de Toulouse, fondée par son arrière grand-père en 1920, et gérée depuis par quatre générations de Labatut, assure qu’elle n’était pas « prédestinée. Rien n’était écrit ». Pour preuve, la jeune femme, qui se voyait avocate, a fait trois ans d’études à la faculté de droit de Toulouse. Mais après la licence, d’autres envies l’ont rattrapée et l’ont conduite à suivre une autre route. Elle rempile pour trois ans d’études en école de commerce au sein de la Toulouse Business School dont une année en Écosse, à la Robert Gordon University à Aberdeen, ce qui lui permet d’obtenir un double diplôme en management. « À force de suivre mon père, en l’accompagnant chez les clients, en assistant au comité de direction, j’étais de plus en plus attirée par le métier d’entrepreneur », explique la jeune femme.

Une immersion dans la vie active qui a commencé tôt. Très tôt même: « Depuis que j’ai l’âge de marcher, je suis dans les couloirs de l’entreprise ! se remémore-t-elle. Mon père travaillait le samedi et j’adorais rester à ses côtés lorsqu’il établissait par exemple le planning avec les conducteurs. » Comme dans beaucoup d’entreprises familiales, la fille du patron commence à travailler très jeune. « Je faisais des remplacements pendant les vacances scolaires. Je suis passée au secrétariat, j’ai fait de la manutention, élaboré les plannings… j’ai fais un peu le tour de tous les métiers ! » En plus de cette formation sur le tas, elle assiste depuis l’âge de 17 ans à tous les comités directeurs et suit son père « chez les clients ou lors d’importantes négociations avec les fournisseurs. Je lui demandais toujours de m’emmener avec lui pour essayer de comprendre les rouages. Les études, c’est bien, mais le terrain c’est encore mieux ! », confirme, pragmatique, la jeune présidente, aujourd’hui à la tête d’une grappe d’entreprises qui emploie près de 700 collaborateurs sur 14 sites, dispose de quelque 210000 m2 d’entrepôts, d’une flotte de 260 véhicules et a connu une croissance de presque 100 % en deux ans, au fil d’une véritable saga.

Au sein de Labatut Group, de fait, pas besoin de storytelling. Il suffit juste d’ouvrir l’album de famille. Au sortir de la Grand Guerre, c’est Pierre Labatut qui écrit le premier chapitre en se lançant dans le transport de paille en chariot à bœufs. À l’issue du second conflit mondial, son fils Raoul prend la relève en faisant l’achat d’un premier camion. Mais c’est surtout André, le père de l’actuelle dirigeante, qui va, à partir de 1973, développer l’entreprise en créant, en marge de l’activité de transport, deux nouvelles branches dans la logistique et la distribution. Des diversifications consolidées par le rachat de plusieurs entreprises et des spécialisations sectorielles dans les vins, champagne et spiritueux, la mode, l’agroalimentaire, l’industrie et les cosmétiques. En 2011, l’entreprise familiale, devenue un groupe, consacre ses préoccupations environnementales en donnant naissance à Vert chez vous, le pionnier de la livraison électrique en France…

Une belle histoire qui se trans- met de père en fils « et maintenant de père en fille », s’amuse celle dont le frère – « un peu plus effacé et plus dans l’opérationnel » – a lui, aussi, rejoint l’entreprise. Mais cela n’a pas été simple. « Il a fallu gagner sa place et j’en suis là aujourd’hui pas simplement parce que je suis la fille de. Il a fallu vraiment prouver plus que les autres, pour être légitime. Aujourd’hui, la plupart des personnes qui travaillent avec moi, c’est moi qui les ai embauchées, il n’y a donc pas de souci. Pour celles qui ont travaillé avec mon père, c’est vrai que cela n’a pas été facile de passer après lui. C’est quelqu’un d’extrêmement charismatique, qui a beaucoup développé l’entreprise. Il fallait donc prouver que j’étais capable de prendre la suite et de tenir le cap. »

Et lorsque vous lui demandez si le fait d’être une femme dirigeante dans un univers aussi masculin que celui des transports et de la logistique n’a pas été source de difficulté, Jennifer Labatut-Darbas est catégorique. « Non, au contraire, c’est une opportunité. Cela casse les codes. C’est une nouvelle façon de manager. » Alors certes, des réflexions sexistes, « forcément, il y en a de temps en temps mais cela m’est égal, je passe au-dessus, je pense que c’est le cas dans tous les métiers. Je n’ai pas de problème avec ça. Je pense que les femmes sont de plus en plus valorisées. Nous venons d’ailleurs d’intégrer deux femmes dans notre comité exécutif. J’en suis très fière parce que je trouve que les femmes apportent vraiment une nouvelle façon de voir les choses. »

Impacté « comme tout le monde » par la crise de la Covid, le groupe a su rebondir, explique Jennifer Labatut-Darbas, grâce au virage écologique qu’il a pris il y a dix ans avec le lancement de Vert chez vous et le rachat plus récent de Tam Tam, une société de messagerie qui lui permet de livrer des colis dans tous le Sud-Ouest et dont les véhicules rouleront tous bientôt au gaz naturel et au colza.

« L’an dernier, beaucoup d’entreprises nous ont contacté au sujet de la livraison urbaine éco-responsable. La crise a en effet amené de nouveaux modes de consommation. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l’écologie. Nous avons ainsi gagné d’importantes parts de marché grâce à la livraison green ». Cette croissance forte du nombre de ses clients devrait se traduire sur le chiffre d’affaires de 2021. « L’écologie fait vraiment partie de nos valeurs, assure Jennifer Labatut-Darbas. D’ailleurs, bien avant la création de Vert chez vous et le lancement de la livraison éco-responsable, mon père avait déjà pris des décisions en faveur de l’écologie en mettant des camions sur des trains, sur des bateaux… cela a toujours été dans notre ADN. Mais la création de Vert chez vous a constitué un véritable tournant. C’est notre principal relais de croissance aujourd’hui. À l’époque, on nous regardait avec des grands yeux, sous prétexte que cela coûtait très cher… Nous avons été avant-gardistes. Nous savions pertinemment que ce serait l’avenir ».

Le groupe prévoit de franchir la barre des 100 M€ de chiffre d’affaires cette année. Toutefois, explique-t-elle, « nous ne sommes pas dans une course aux chiffres. On veut surtout être reconnu pour la qualité de nos services, notre esprit green. C’est ça, le plus important pour nous ». Pour y parvenir, elle mise donc plus que jamais sur le développement du transport zéro carbone qui représente déjà plus de 50 % de son activité désormais et le renforcement des agences Vert chez vous ouvertes l’an dernier à Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, La Rochelle et Bonneuil-sur-Marne (94) en plus de Paris. En parallèle, le groupe a aussi mis un pied à l’international. « Nous avons ouvert des filiales en Italie et en Allemagne, fait des études de marché. Maintenant il y a tout une histoire à faire, à construire. C’est notre feuille de route pour les cinq prochaines années. » Rien qui ne puisse effrayer cette maman de trois garçons qui a trouvé son équilibre entre vie de famille et vie professionnelle grâce à « un mari extraordinaire » qui l’« aide beaucoup ». Grâce aussi à un DG, également trentenaire, sur lequel elle sait pouvoir compter. Et grâce enfin au yoga dont Jennifer Labatut-Darbas est une fervente adepte. « Ça m’aide beaucoup dans mon rôle de chef d’entreprise, assure-t-elle. Je fais aussi de la méditation. Cela me permet d’être plus concentrée. J’arrive à me dégager du temps pour ça, même si cela veut dire se lever beaucoup plus tôt. Ce n’est pas grave ! » Un dernier rêve ? « Ce serait beau qu’un de mes fils ou celui de mon frère reprenne les rênes. Mais avant tout, il faut qu’ils suivent leur rêve et si ce rêve est différent, je les encouragerai à fond. »

Parcours

1986 Naissance à Toulouse
2005-2008 Licence en droit à l’université Toulouse 1 Capitole
2008-2011 Bachelor à Toulouse Business School
2011 Intègre l’entreprise familiale au poste de responsable marketing et communication
2014 Nommée directrice générale
2017 Devient PDG de Labatut Group