Des revenus à la baisse pour les Champenois

En 2020, la baisse des rendements conjuguée à une quasi-stabilité des charges fait grimper le coût de revient du kg de raisin de +25%. (Source : FDSEA Conseil).

La perte moyenne d’EBE (Excédent Brut d’Exploitation) sur la période 2020- 2023 pourrait avoisiner les 80% d’un EBE moyen pour les vignerons manipulants et 120% pour les vendeurs de raisins.

Déjà en proie à d’importantes baisses d’expéditions du nombre de bouteilles sur tous les marchés, le monde du champagne voit la crise sanitaire apporter un nouveau coup dur à son économie. C’est ce qu’il ressort notamment de l’étude réalisée par les services de FDSEA Conseil, qui décortiquent chaque année les données des exploitations agricoles et viticoles pour les analyser.

« L’année 2020 présente un scénario atypique. Quand on reconduit une appellation d’une année sur l’autre à quelques centaines de kg près, les revenus restent relativement stables. Or, quand le rendement baisse brutalement de plus de 2 000 kg comme cette année, l’impact sur les revenus est important », précise Olivier Josselin, responsable filières et références FDSEA Conseil. « Et cela va donc avoir également un impact sur la gestion des entreprises ». En effet, face aux baisses des expéditions et à la crise sanitaire, l’interprofession a baissé l’appellation, passée de 10 400 kg/ha en 2019 à 8 000 kg/ha en 2020, pour éviter le phénomène de surstockage, puis le risque de chute des prix.

SITUATIONS DISPARATES

Avant même les vendanges, en août 2020, la Champagne avait enregistré une baisse des expéditions de 13,4% sur la dernière année. « En fin d’année 2019, il y avait eu un rebond des expéditions en raison du Brexit et un phénomène de surstockage aux Etats-Unis à cause des craintes d’une surtaxation du champagne redoutée début 2020. Mais en novembre et décembre de cette année, il n’y aura pas cet effet dopant des ventes, d’autant plus avec le confinement qui a été remis en place ». En conséquence, l’année 2020 devrait davantage se terminer autour d’une baisse de 20% d’expéditions.

Dans ce climat morose où les frontières tardent à s’ouvrir à nouveau, le marché français fait preuve d’une forme de résilience et limite les dégâts, bénéficiant (de manière relative) aux vignerons, majoritairement présents sur le marché domestique.

« Les situations sont très disparates. Certains vignerons n’ont même pas subi de baisse car ils ont su rebondir sur leur réseau de proximité, sur un fichier client dynamique, ou grâce à une forte présence sur les réseaux sociaux ou au e-commerce », souligne Olivier Josselin.

QUELS IMPACTS SUR LES REVENUS ?

Dans ce contexte, FDSEA Conseil observe des situations « très contrastées ». Olivier Josselin : « Aujourd’hui, les vendeurs de raisins n’ont pas encore subi directement l’impact de la baisse du rendement, puisque la première échéance de paiement liée à la vendange 2020 n’interviendra qu’en décembre 2020. L’effet de cette baisse sur la trésorerie sera vraiment visible courant 2021 avec les échéances suivantes ».

Les vendeurs de bouteilles en revanche ont ressenti un impact immédiat dès le premier jour du confinement avec la fermeture des réseaux, hôtels, restaurants, avions… « Les résultats seront donc très différents lors de la reprise des activités ».

Résultat de la baisse des ventes conjuguée à celle de l’appellation, le monde du champagne doit se préparer à des baisses de revenus sans précédent, quantifiées par FDSEA Conseil : « La perte moyenne d’Excédent Brut d’Exploitation (EBE) cumulée sur la période 2020-2023 devrait avoisiner 80% d’un EBE moyen observé en 2018-2019 pour les vignerons manipulants et 120% pour les vendeurs de raisins », souligne le spécialiste.

Ainsi,pour les vendeurs de bouteilles par exemple, l’EBE moyen en champagne était de 35 029 euros par hectare en 2018-2019, il ne devrait être que de 15 599 euros pour l’exercice 2020, soit une baisse de 55% dès cette année. Sur la période 2020- 2023, la perte devrait être équivalente à 80% de l’EBE d’une année pleine, soit 28 612 euros par hectare.

DES COÛTS DE REVIENT À LA HAUSSE

FDSEA Conseil s’est aussi penchée sur le coût de revient du kg de raisin pour définir les potentiels de revenus des vignerons en fonction des rendements. « Lorsqu’on ne valorise que 8 000 kg sur un potentiel minimum de 10 000 kg, les revenus baissent drastiquement, d’autant que les charges d’exploitation restent sensiblement les mêmes, quel que soit le rendement final ».

En 2019, FDSEA Conseil avait évalué à 4,39 euros le coût de revient du kg de raisin. Un montant qui comprend la location du foncier, les intrants, le matériel et les prestations, la main d’œuvre, le coût des vendanges, les frais généraux et financiers. En 2020, la baisse des rendements de 20% conjuguée à une quasi-stabilité des charges fait grimper le coût de revient de +25% pour l’établir à 5,5 euros. « L’évolution du coût de revient est directement corrélée à l’appellation », confirme Olivier Josselin.

Conséquence de cette tendance haussière, le coût de remplacement de la bouteille de champagne – à savoir le coût de revient d’une bouteille – évolue lui aussi. Il était de 10,2 euros HT en 2019, il est attendu à 11,48 euros HT en 2020, soit une évolution moyenne de +13% à +15%. Il résulte donc de cette analyse que, pour continuer à dégager des bénéfices, les vendeurs de bouteilles, confrontés à une hausse de leurs coûts de revient, seront amenés à procéder à une hausse de leurs prix de vente.

Quant aux vendeurs de raisins, le coût de revient se resserrant avec le prix de vente au kg (voir tableau), ils devront eux aussi faire des choix. La situation actuelle met en exergue un état de fait : il est de moins en moins intéressant de ne se consacrer qu’à la vente de raisin au kg. « Jusqu’à aujourd’hui, faire le choix de vendre l’intégralité de son raisin est encore intéressant et tous les kg trouvent preneur auprès du Négoce. Mais demain, si on rencontre une surproduction ou si le marché se resserre, cela risque d’être plus difficile », précise le responsable filières et références .

Il s’agit en fait d’alerter et de sensibiliser les viticulteurs à trouver des leviers pour prévenir ces pertes de revenus. Une situation que la FDSEA a déjà connu dans un passé récent. « Nous avons vécu cela en 2016 dans le monde agricole avec une très mauvaise moisson dans la région. Cette fois, nous aurons un scénario identique mais qui aura plus d’impact dans le temps puisque les appellations d’aujourd’hui ne seront commercialisées que dans trois ans »

En effet, sachant que le raisin de la vendange 2020 ne sera pas commercialisé sous forme de champagne avant trois ans, quelle sera la capacité des viticulteurs à répercuter sur les clients ?

QUELLES SOLUTIONS S’OFFRENT AUX VITICULTEURS ?

Pour Olivier Josselin, il s’agit pour chaque professionnel de choisir la solution adaptée à son entreprise et à son cas particulier. « L’action la moins douloureuse consiste à optimiser les ressources et différer les charges si possible », précise le responsable filières et références. « On peut aussi envisager de mobiliser de l’épargne ou alors créer de la dette. Mais cette solution ne sera pas sans conséquence, puisqu’elle amputer les revenus futurs ». Enfin, pour ceux dont la situation est déjà plus fragile, une décapitalisation, via la vente d’une partie de leur patrimoine pourrait être nécessaire pour dégager de la trésorerie.

Une solution qui pourrait alors avoir des conséquences sur l’ensemble de la filière, en entrainant des flux de surfaces.