Dans un contexte particulier marqué par le début du confinement lié au Covid-19, le premier acte des élections municipales a livré de nombreux enseignements dans la Marne, l’Aube et les Ardennes.
Alors que le second tour des Municipales a été reporté au mois de juin pour cause de confinement, que retenir du premier tour qui s’est déroulé le 15 mars dernier ? Un faible taux de participation ? La réélection au premier tour de nombreux sortants ? Le fiasco annoncé du parti présidentiel ? L’effondrement du Rassemblement National ?
Un peu de tout ça à la fois…
Si l’on peut imaginer que la participation n’aurait sans doute pas été très forte sans l’épisode coronavirus, les électeurs qui se sont déplacés se sont globalement reportés sur les élus sortants. « Les enquêtes montrent que la commune reste le niveau dans lequel les Français se reconnaissent le mieux. C’est pourquoi j’ai parfois l’occasion de dire que le maire est une valeur refuge », souligne Olivier Dupéron, maître de conférences en droit public, directeur-adjoint du Centre de recherche Droit et territoire de l’URCA.
LE VIRUS DE L’ABSTENTION
Autre très grand enseignement de ce premier tour de scrutin : une abstention qui a atteint des niveaux records. « Le coronavirus contribue à expliquer cette faible participation. On enregistre une baisse d’une quinzaine de points en moyenne par rapport aux municipales de 2014 qui avaient déjà enregistré une faible participation », note Olivier Dupéron. « Mais les effets de l’abstention ont été variables en fonction des communes : là où les électeurs pensaient que le résultat était joué d’avance par exemple, ils se sont moins déplacés que dans les communes où l’issue était plus indécise ».
Ainsi à Vitry-le-François, où plusieurs listes disputaient la ville au sortant Jean-Pierre Bouquet, la participation a dépassé les 40% (40,94%). Jean-Pierre Bouquet est arrivé en tête (42,47%) devant les listes de Linda Munster (23,83%), de Cyril Triolet (19,55%) et la liste Rassemblement National de Pascal Erre (12,05%), ce qui donnera lieu à une quadrangulaire au second tour. Jean-Pierre Bouquet s’avère être le seul candidat de la gauche marnaise à figurer en bonne position à l’issue de ce premier tour, signe d’un département solidement ancré à droite, dans toutes ses composantes et qui se cherche des leaders à gauche.
A Epernay, le maire sortant divers droite et centre, Franck Leroy, s’est imposé dès le premier tour avec 61,03% des voix. La liste de la gauche menée par Jean-Paul Angers arrive en deuxième position avec 21,71%, devant la liste RN de Cindy Demange (14,50%) et la liste Lutte Ouvrière de Laurence d’Albaret (2,76%).
Les électeurs rémois qui avaient le choix entre dix listes ont quant à eux largement plébiscité le maire sortant Arnaud Robinet crédité de 66,32%, devançant le chef de file de l’opposition Eric Quénard (12,32%), l’écologiste Léo Tyburc (5,65%) et la liste RN de Jean-Claude Philipot (5,50%). Outre le score spectaculaire d’Arnaud Robinet, l’autre surprise vient du résultat enregistré par le candidat de la République En Marche Gérard Chemla, soutenu par la députée Aina Kuric et qui n’enregistre que 3,29% des voix. « Globalement la République en Marche n’avait rien à défendre dans cette élection, par rapport à 2014 où le parti n’existait pas encore », rappelle le politologue. « La situation est compliquée pour ses candidats car le parti n’existe pas réellement localement. Il était à la recherche d’un atterrissage local et sur ce point cela a plutôt été un crash. Souvent c’est davantage le parti que les candidats eux-mêmes qui a été sanctionné ».
LE RASSEMBLEMENT NATIONAL EN BAISSE
Peut-être est-ce un début d’explication à Châlons, où bien qu’assez largement en tête avec 46,04%, le maire sortant Benoist Apparu – soutenu implicitement par LREM, comme Jean-Pierre Bouquet à Vitry d’ailleurs – n’est pas parvenu à décrocher une élection dès le premier tour. Les trois autres listes menées par Rudy Namur (25,56%), Alan Pierre- jean (15,43%) et Dominique Vatel (12,97%) ayant décroché leur sésame pour un second tour.
Châlons-en-Champagne, seule grande ville marnaise où le Rassemblement National n’a pas présenté de liste, symbolise-t-elle la chute du mouvement qui a enregistré des scores relativement faibles dans les villes et communes moyennes où il était en lice ? « Ces Municipales sont un vrai coup d’arrêt pour le Rassemblement National, qui était en constante progression lors de toutes les échéances précédentes, qu’elles soient locales, nationales ou européennes », analyse le politologue. « Cela signifie sans doute qu’en période « ordinaire » le RN est un parti de contestation, mais lorsque les électeurs ont l’opportunité de lui confier des responsabilités ils ne le font pas. On peut en déduire qu’il s’agit d’un parti de contestation mais pas de confiance ni de gestion de proximité dans l’esprit des électeurs dans ce contexte ».
Si la Marne fait preuve d’une certaine homogénéité et d’une continuité dans ses résultats électoraux, avec une prime aux sortants, la situation dans les Ardennes est plus ouverte. « Dans les Ardennes les lignes bougent et les électeurs restent plus mobilisés, notamment dans les communes moyennes », constate Olivier Dupéron.
Dans plusieurs communes des Ardennes, où plusieurs listes étaient en compétition, là aussi la participation a dépassé la moyenne nationale. C’est le cas à Givet (50,55%), Vouziers (55,14%) ou Fumay (54,85%) où on a dépassé les 50% de participation. Ainsi à Givet, quatre listes se sont qualifiées pour le second tour. Celles de Robert Itucci (31,14%), d’Eric Viscardy (28,09%) et de Julien Vergé (27,13%) se tiennent à moins de 100 voix d’écart, devant la liste de Daniel Borin (13,64%).
A Revin, le maire sortant l’emporte avec 32,54% des voix devant les deux listes divers gauche de Christophe Léonard (27,61%) et de Dominique Ruelle (25,30%). Trois liste qui se retrouveront au second tour.
Enfin, à Charleville-Mézières, le maire sortant n’a fait qu’une bouchée de ses opposants où ne figurait aucune liste RN. Alors que la participation était de 31,74%, il s’est imposé dès le premier tour avec 77,62% des voix, loin devant la liste d’union de la gauche de Sylvain Dalla Rosa (12,24%), la liste écologiste de Christophe Dumont (7,67%) et celle de Lutte Ouvrière conduite par Mink Takawe (2,46%).
TROYES SANS SURPRISE
Dans un contexte généralisé de forte abstention, la prime au sortant aura été la règle aussi dans l’Aube. C’est le cas pour François Baroin, confortablement réélu pour un cinquième mandat avec un score sans appel de 66,78 %. Face au maire sortant, la gauche s’est maintenue à son niveau précèdent avec 14,06 %, alors que le Rassemblement National glissait de 15,83 % à 11,25 %. Comme ailleurs, la liste LREM n’est pas parvenue à s’enraciner à Troyes avec un faible score de 5,47 % et une seule conseillère élue, alors que la liste Lutte Ouvrière ferme la marche avec 2,42 %. Dans le reste de l’agglomération, le maire sortant de La Chapelle-Saint-Luc, Olivier Girardin repart lui aussi pour un nouveau mandat avec un score très large de 68,79 %, mais face à une seule liste d’opposition.
Autres réélections dès le premier tout dans l’agglomération, celle de Jean-Michel Viart, à Saint-Julien-les Villas, avec 58,09 % des voix face à trois autres listes et de Pascal Landréat, à Pont-Sainte-Marie, où il était le seul candidat. Dans les communes de l’agglomération où des maires sortants ne se représentaient pas, Catherine Ledouble, qui était soutenue par le sortant Alain Balland, l’emporte dès le premier tour avec 64,84 % à Saint-André-les-Vergers où l’absentéisme a frôlé les 70 %. Dans l’agglomération, la très grande majorité des communes a ainsi pu se doter d’un nouveau maire dès le premier tour, à l’exception notable de Sainte-Savine où trois listes sont arrivées au coude à coude. L’incertitude demeurera également jusqu’au second tour pour Bar-sur-Seine, où quatre listes restent en présence avec des écarts relativement réduits. Dans le reste du département, la prime au sortant a été favorable à Eric Vuillemin, à Romilly-sur-Seine, réélu avec 57,42 %, et à Philippe Borde, à Bar-sur-Aube, qui enregistre 59,62 % des voix. En revanche certains élus de longue date ont eu à subir des désillusions. C’est le cas de Nicolas Dhuicq qui, après 19 années à la tête de Brienne-le-Château, est obligé de céder l’écharpe de maire à Laurent Sibois. Déconvenue identique pour Jean-Claude Mathis, maire de la commune viticole des Riceys depuis 31 ans et ancien député battu par Laurent Noirot, qui obtient 54,03 % des voix dès le premier tour. Gros changement également à Nogent-sur-Seine où le maire sortant, Hugues Fadin figurait sur la liste conduite par Richard Journet et qui n’a obtenu que 39,82 % des voix, loin derrière celle conduite par Estelle Bomberger-Rivot, qui a totalisé 60,18 % des suffrages exprimés. Deux listes étaient en présence à Nogent-sur-Seine dans le cadre d’une campagne assez animée qui aura contribué à mobiliser les électeurs davantage que dans le reste du département, avec un taux de participation relativement élevé, compte tenu du contexte lié au coronavirus, de 55,66 %.
UN DEUXIÈME TOUR EN SUSPENS
A circonstances exceptionnelles décisions exceptionnelles, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé le report de l’installation des conseils municipaux (et donc de l’élection des maires par ces derniers).
Quant au second tour, il est annoncé pour juin prochain, avec une date à définir. « On peut toujours se poser la question de savoir si c’était une bonne décision de maintenir le premier tour, mais maintenir le second n’avait en tout cas aucun sens. Juridiquement, cette situation pose la question de la validité du premier tour, même si cela arrange beaucoup de monde de conserver les résultats, à l’exception du Rassemblement National. La situation n’est pas satisfaisante d’un point de vue démocratique et cela va ressembler à du bricolage juridique, avec toujours une possibilité d’annulation par le Conseil Constitutionnel », souligne Olivier Dupéron.
Benjamin Busson et Laurent Locurcio