Des dates qui ont changé la dégustation du vin

Alors que le mot “dégustation” apparait à l’écrit pour la première fois dans la langue française en 1519, c’est dans les années 1970 que l’action de déguster du vin se démocratise auprès du grand public.

La dégustation des vins, telle que nous la pratiquons aujourd’hui, telle que nous l’analysons, s’est construite au fil du temps. Ce n’est qu’en 1519 qu’on trouve pour la première fois écrit en français le mot « dégustation ». C’est sous la plume d’un moine d’une abbaye proche d’Orléans (alors grande région de vin) qui écrivit un traité mystique : Le Livre de la discipline d’amour divine. De quelle dégustation s’agit-il ? De rien de moins que celle « des choses célestes et divines » ! À vrai dire, le mot reste peu usité jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

Si une meilleure connaissance de la fonction olfactive a été rendue possible par la neuropsychologie dans les années 1940, il faut attendre 1947 pour que la place de la dégustation soit affirmée en œnologie : ce sera l’un des apports du Bordelais Jean Ribéreau-Gayon avec son Traité d’œnologie. En 1950, le verre à dégustation remplace le tastevin. En 1970, est inventé le verre INAO (Institut national des appellations d’origine) qui a eu le mérite de définir l’outil principal de la dégustation. Et à partir de 1971, des normes Afnor régissent l’analyse sensorielle : les outils (verres), les locaux d’évaluation sensorielle, le personnel, les sujets, les échantillons.

« LENEZDUVIN »

C’est dans les années 1970 que la dégustation se démocratise auprès du grand public avec deux événements qui marquent l’édition : en 1976, Jean Lenoir, technicien-œnologue, réalise le livre-coffret Le Nez du vin ; en 1980, Émile Peynaud et Jacques Blouin publient Le Goût du vin.

Dans les années 1980, les sens sont décidément dans l’air du temps. En 1984, la chimiste américaine Ann C. Noble, spécialisée en analyse sensorielle et en œnologie, invente la « roue des arômes » qui aide les amateurs à reconnaître différents arômes présents dans les vins, regroupés en catégories. En 1985, paraît le best-seller international de Patrick Süskind, Le Parfum. On lit aussi Les Cinq Sens, de Michel Serres (1985), la Biologie des passions, de Jean-Didier Vincent (1986), L’Empreinte des sens, de Jacques Ninio (1989). Alain Corbin étudie, en 1986, dans Le Miasme et la Jonquille, l’odorat et l’imaginaire social aux XVIIIe et XIXe siècles.

DES MYTHES S’ÉCROULENT

Des mythes s’écroulent dans ces années 1980. D’abord, celui des saveurs fondamentales, bien plus nombreuses que les quatre reconnues depuis 1864 par le physiologiste Adolph Fick (sucré, salé, acide, amer), ou les cinq si l’on y ajoute « l’umami » (savoureux) identifié en 1908 par le Japonais Kikunae Ikeda (et, avant lui, par Brillat-Savarin sous le nom d’osmazôme), ou encore les six si l’on tient compte du goût du gras (oleogustus). On parle aujourd’hui de continuum gustatif : chaque molécule sapide est spécifiquement reconnue par le cerveau. Autre mythe déboulonné : celui de la carte de la langue, qui voulait que les différents goûts soient perçus à des endroits précis de la langue. Ces mythes continuent pourtant d’être enseignés…

Dans les années 2000, de nombreuses études scientifiques, parfois récompensées par des prix Nobel, mettent en évidence plusieurs faits sidérants : le corps humain comporte 400 récepteurs olfactifs, contre trois pour la vision ; nous sommes sensibles à plusieurs milliards d’odeurs ; 30.000 neurones olfactifs poussent chaque jour, permettant l’éducation de notre odorat ; nous sommes très différents les uns des autres quand nous dégustons un vin – la probabilité d’avoir un jumeau olfactif ou gustatif est quasi nulle.

Aujourd’hui, de nombreuses analyses spécifiques portent sur les arômes, l’effervescence, l’astringence, l’influence des conditions de dégustation sur l’appréciation du vin (l’environnement musical, par exemple). On s’attache beaucoup aux sensations tactiles de l’appareil buccal : consistance, onctuosité, fluidité, volume, chaleur ou piquant, fraîcheur, texture des tanins… Sur ce point, au IVe siècle avant notre ère, Aristote le précisait déjà : « Le sapide est une sorte de tangible. »

Par André Deyrieux, pour RésoHebdoÉco, association regroupant 27 titres de presse hebdomadaire économique régionaux en France. reso-hebdo-eco.com