La descente aux enfers des petits indépendants

Laurent Rothey, co-gérant majoritaire de Rooster & Beer, bar à bière artisanale indépendant

En pleine crise du Covid-19, le gouvernement a pris quelques mesures pour essayer de maintenir à flot l’économie de notre Pays. Parmi celles-ci, le chômage partiel qui garantit aux salariés un minimum de 85 % de leur salaire. Une mesure juste et efficace apportant une grande sérénité tant pour le salarié que pour le dirigeant de société. Mais qu’en est-il des mesures prises pour les indépendants, restaurateurs, gérants de bar, commerçants, coiffeurs, etc., tous concernés par une fermeture administrative. Attardons-nous sur ces « petits patrons entrepreneurs » qui n’ont pas le statut de salarié !

Le gouvernement autorise les entreprises à reporter leurs charges (loyers, Urssaf, factures d’électricité, crédits bancaires, etc.). Aujourd’hui, pour une PME, cette mesure est un mirage qui se transformera, demain à la reprise de l’activité, en « corde au cou ». C’est effectivement alléchant de suspendre tout ou une partie de ses charges pour éviter de puiser dans sa trésorerie. Mais en réalité, le report de charge n’est pas une solution, c’est un report des problèmes. On ne va pas se leurrer, les restaurateurs et autres lieux de lien social seront les derniers à rouvrir. La méfiance installée vis-à-vis des rassemblements sera sûrement longue à dissiper quand la crise sera finie. Personne ne peut prédire combien de temps mettra l’activité pour revenir à la normale. Le chiffre d’affaires annuel sera fortement impacté, et cela sera difficile à rattraper. Il faut rajouter à cela l’accumulation de dettes qui seront à payer sur plusieurs mois par la suite. Un fardeau bien lourd à porter pour une reprise économique. On risque l’asphyxie !

UNE AIDE ÉTATIQUE DE 1 500 PLUS UNE ÉVENTUELLE PETITE AIDE DE LA RÉGION

Au début du confinement, le gouvernement annonce que « les salariés bénéficieront du chômage partiel, les chômeurs verront leur décompte de chômage gelé pendant le confinement, et les indépendants bénéficieront d’un fonds de solidarité de 1 500 € par mois ». Cette dernière aide aurait pu être une mesure intéressante si elle avait été destinée à chaque gérant personnellement et non à l’entreprise elle-même. Prenez le cas fréquent d’une petite société avec deux ou trois cogérants non-salariés : que pouvons-nous faire avec cette aide forfaitaire ? Payer tout juste le loyer pour éviter le cumul de charges à la fin de la crise ? Ou se partager cette maigre indemnisation à plusieurs, en guise de revenu ? Un grand nombre d’établissements ou de boutiques travaille en cogérance. Ce statut est prisé par les petits indépendants car il offre l’avantage de pouvoir se payer chaque mois différemment en fonction du chiffre d’affaires effectué. Ainsi une crise telle que celle que nous traversons actuellement est forcément synonyme de précarité pour un indépendant. Sans compter qu’en temps normal, écrasé par les charges et les impôts, il est déjà difficile de se dégager un revenu décent. En conclusion, l’aide étatique aux indépendants est injuste car elle n’est pas individuelle. Elle ne permet ni de payer les charges fixes, ni de se verser un revenu décent à partir du moment où il y a cogérance.

QUELLES SERAIENT LES AIDES EFFICACES POUR CES PETITES SOCIÉTÉS ?

Notre meilleure, et souvent unique, protection contre ces pertes, qui peuvent être fatales pour nos entreprises, c’est l’assurance professionnelle multirisque contre la perte d’exploitation. La majorité des sociétés y souscrivent annuellement, auprès d’assurances privées (réalisant chaque année des milliards de bénéfices). Aujourd’hui, ces assurances se dédouanent de tout remboursement car « la pandémie » ne fait pas partie des sinistres couverts (a contrario des catastrophes naturelles, tempêtes, incendies…). Il n’existe pas en France de couverture pour ce type d’événement. Le gouvernement pourrait faire basculer « la pandémie » dans la catégorie « des catastrophes naturelles ». Cela obligerait les assureurs à verser à tous les indépendants une indemnité couvrant au moins une partie de la perte d’exploitation.

Malgré plusieurs pétitions (dont la plus populaire « Sauvons nos restaurants et producteurs ! » sur le site www.change.org), le gouvernement reste discret, et n’agit pas en ce sens ! Parce que l’on souhaite nous aussi faire preuve de solidarité à l’issue de cette crise, nous admettons bien volontiers qu’il ne serait pas raisonnable de demander l’indemnisation totale du chiffre d’affaires perdu. En conclusion, nous réclamons seulement des mesures plus équitables (comparé aux salariés) : l’annulation de nos charges fixes pendant la période de non-exploitation (comme c’est actuellement le cas en Allemagne) et une indemnisation décente pour chaque indépendant non salarié.

Lettre ouverte à l’attention de Mesdames et Messieurs les sénateurs, députés et élus de Haute-Garonne