1 milliard d’euros de manque à gagner pour le champagne

Le Comité Champagne enregistre une baisse de 18% des expéditions en 2020, soit l’équivalent de 50 millions de bouteilles en moins par rapport à 2019. Le marché français a pour la première fois chuté plus lourdement que l’export. 

Après une année 2020 teintée d’angoisse, c’est presque un soulagement qui s’est aujourd’hui emparé de la filière champagne, qui finit l’exercice avec une baisse de 18% des volumes expédiés. « 245 millions de bouteilles, c’est mieux que ce nous pensions », précise Jean-Marie Barillère, co-président du Comité Champagne. 245 millions de bouteilles expédiées, soit 50 millions de bouteilles de moins qu’en 2019, pour atteindre le niveau le plus bas enregistré depuis l’année 1995 (247 millions). Un moindre mal si l’on se réfère aux prévisions avancées par l’interprofession à l’été 2020, après le premier confinement, quand les représentants de la filière craignaient une baisse de l’ordre de 30 % soit environ 100 millions de bouteilles. Une prévision qui les avait conduit à adopter une stratégie prudentielle lors de la vendange 2020 avec une appellation revue à la baisse (7000 kg plus 1000 kg en cas de rebond). Ce choix, Maxime Toubart et Jean-Marie Barillère ne le regrettent pas. 

Et plus que de l’assumer ils s’en félicitent aujourd’hui, permettant même un déblocage supplémentaire de 400 kg pour porter l’appellation tirable à 8 400 kg. « La sagesse de la Champagne c’est de trouver un compromis pour partager la valeur ajoutée quand tout va bien et de partager l’effort quand ça va moins bien », formule Maxime Toubart, co-président du Comité Champagne. 

PAS DE DÉVALORSIATION DU PRODUIT 

Pas de dévissage sur les prix, pas de casse sociale, pas de faillite… L’« année noire » vire donc plutôt au gris foncé, grâce notamment aux aides mises en place (PGE et chômage partiel en tête). La stockabilité, voire même la capacité à se bonifier avec le temps du champagne a elle aussi sans doute joué dans le sens de la sagesse des acteurs. « Nous avons observé quelques promotions agressives mais le champagne n’a pas été bradé », apprécie Jean-Marie Barillère, très attaché à la préservation de la valeur du produit. Au final, la baisse de 18% des volumes représente peu ou prou une baisse de 18 à 20 % de la valeur, soit l’équivalent d’un milliard d’euros de manque à gagner pour la filière champagne. 

Dans le détail (et selon les premières tendances et estimations du Comité Champagne) le marché français poursuit son déclin (-20 %). Les trois premiers marchés à l’export du Champagne ont eux aussi enregistré une forte baisse à -20 % pour les Etats-Unis et le Royaume-Uni et -28 % pour le Japon. Relative bonne nouvelle cependant : la résistance des marchés traditionnels d’Europe continentale : Belgique (-5 %), Allemagne (-15 %), Suisse (-9 %) et la progression surprenante du marché australien avec +14 %. L’export enregistre un repli global de 16 %, inférieur à celui noté sur la marché français. Pour la première année dans l’histoire de la champagne, l’export et ses 131 millions de bouteilles expédiées font mieux que le marché domestique en temps de crise où seulement 114 millions de cols ont été écoulés. La baisse du marché français, les co-présidents l’expliquent notamment par la chute brutale du tourisme dans le pays habituellement le plus visité au monde (avec 90 millions de touristes annuels) et où le champagne est souvent considéré comme la boisson locale à déguster même hors des frontières champenoises. L’exemple de Paris et la désertion de 70 à 80 % de ses touristes en 2020 symbolise à lui seul la chute vertigineuse du potentiel de consommation de la Capitale. 

“ LE CHAMPAGNE N’A PAS DE CONCURRENT ” 

Les Maisons de Champagne et les Vignerons subissent une baisse moyenne de 17 % tandis que les coopératives enregistrent une année 2020 à -23 %, soulignant aussi l’importance du circuit de distribution dans la résistance à la crise. Si les ventes en circuit direct, par les cavistes ou en grande distribution ont tiré leur épingle du jeu, les opérateurs ayant majoritairement misé sur les CHR (cafés, hôtels, restaurants) ont subi de plein fouet la fermeture prolongée des établissements, en France comme à l’étranger, avec des baisses avoisinant parfois les 50 %. Quant aux ventes détaxées dans les aéroports, elles présentent une chute de 80 %. 

Et quand on lui demande comment s’est comporté le champagne par rapport à ses concurrents sur le marché des effervescents, Jean-Marie Barillère se veut catégorique : « Le champagne n’a pas de concurrent ». Deux raisons à cela : Primo, dans certaines régions du monde, la boisson champagne est davantage concurrencée par des vins rouges, par exemple, que par du Prosecco ou du Cava. Secundo, le rapport de prix étant de 1 à 4 entre le champagne et les autres effervescents, le président de l’UMC refuse de les placer sur un terrain concurrentiel pour garder le champagne au-dessus de la mêlée. « 2020 reste une année à oublier très vite mais où on a su garder nos fondamentaux à long terme » pour Jean-Marie Barillère qui, pour 2021, se dit « prêt à ne pas prendre de risque », dans l’attente de l’évolution de la situation sanitaire et des vaccinations, rejoint par Maxime Toubart, résolument optimiste pour la suite : « Aujourd’hui on remet les compteurs à zéro ». 

Les leçons de 2020

Du positif : 

– L’absence de faillite et de « casse » 

– La capacité de la filière à préserver la valeur du produit 

– Le rebond enregistré en fin d’année et la volonté des consommateurs à consommer du champagne dans les moments festifs 

– La poursuite des efforts des acteurs en matière environnementale 

– L’innovation dont ont fait preuve les opérateurs champenois pour faire face à la crise (livraisons, click&collect, vente en ligne…) 

… et du négatif : 

– La perte d’un milliard d’euros pour la filière 

– La poursuite de la chute du marché français 

– Les interrogations qui pèsent sur la filière connexe.