Par Isabelle Franc-Valluet, avocate chez Hoppen Avocats
Au début de leur activité, nombre d’artisans et de commerçants décident de démarrer sous la forme d’une exploitation sous le statut d’entrepreneur individuel. Après quelques années, le même entrepreneur, fort d’un développement satisfaisant, souhaitera « passer en société ». Attention alors aux écueils : des précautions doivent être prises, des points de vigilance contrôlés, des opportunités éventuellement saisies ! Tout d’abord, le passage d’un statut d’entreprise individuelle en société peut se faire de plusieurs manières : celle ici envisagée concernera l’apport du fonds de commerce de l’entre- prise individuelle à une société créée pour l’occasion.
Les règles et les obligations différeront légèrement selon que la société aura un seul ou plusieurs associés. Depuis la loi Sapin 2, les formalités consécutives à l’apport d’un fonds à une société dont l’entrepreneur est le seul bénéficiaire ont en effet été légèrement allégées, concernant notamment les mentions à inscrire dans l’acte et les obligations de publication dans un journal d’annonces légales et du Bulletin des annonces civiles et commerciales, qui ont été supprimées dans ce cas. Surtout, le recours à un commissaire aux apports n’est ici plus nécessaire, étant précisé néanmoins que l’associé restera responsable envers les tiers, pendant une durée de cinq ans, de la valeur de l’apport retenue.
Il convient de prêter une attention particulière aux conséquences fiscales de l’opération. En effet, l’entrepreneur individuel et la société étant parfaitement différenciés en droit comme deux personnes distinctes, l’opération d’apport de l’activité est assimilée à une cession du fonds qui entraîne juridiquement une cessation définitive de l’activité de l’entreprise individuelle. Mécaniquement, cette opération entraîne donc l’imposition immédiate, au nom de l’exploitant personne physique, des bénéfices d’exploitation non encore taxés, et surtout, des plus-values latentes ainsi que des plus-values et bénéfices en sursis d’imposition. On distingue les plus-values sur des biens détenus ou créés depuis moins de deux ans, qui sont dites « à court terme » et imposables comme un résultat ordinaire, de celles réalisées sur des biens détenus depuis plus de deux ans, qui sont considérées « à court terme » à hauteur des amortissements déjà pratiqués sur ces biens, et « à long terme » pour la fraction des biens non amortie. La fraction à court terme sera rajoutée au résultat imposable à l’impôt sur le revenu de l’exploitant, et la fraction à long terme taxée à 30 %, regroupant l’impôt et les prélèvements sociaux.
En synthèse, la facture peut s’avérer lourde et le législateur, ayant conscience de l’effet dissuasif que la fiscalité pourrait avoir, a organisé des solutions permettant de rendre l’opération plus attrayante. Parmi ces solutions, la mise en report de l’imposition est très fréquemment conseillée par les praticiens, qui permettra à l’apporteur de reporter sur la société le poids de l’imposition des plus-values dégagées sur les éléments amortissables du fonds, et, également, de différer la taxation des plus-values afférentes aux éléments non amortissables jusqu’à la cession ultérieures des titres, leur rachat ou leur annulation.
D’autres options peuvent être cependant également envisagées qui permettent, le cas échéant, d’exonérer totalement l’opération au plan de l’imposition des plus-values et qui dépendent, notamment, de la taille de l’entreprise, de la durée de l’exploitation, ou encore de la situation de l’exploitant. Cette analyse sera toujours conduite en amont dans la mesure où le dispositif d’exonération ne saura se cumuler avec celui du report. Un choix habile doit donc être opéré.
Enfin, s’agissant des droits d’enregistrement dus au titre du contrat d’apport, l’opération devrait donner lieu à une taxation à hauteur de 3 % sur la fraction de la valeur vénale du fonds de commerce comprise entre 23000€ et 200000€ et de 5% pour la fraction supérieure à ce dernier montant. Cependant, si l’opération est réalisée lors de la constitution de la société, que la société est soumise à l’impôt sur les sociétés et que l’apporteur prend dans l’acte l’engagement de conserver les titres qu’il détient dans la société pendant une durée d’au moins trois ans, l’apport sera totalement exonéré de droits d’enregistrement.
Une fois de plus, la place est donc ici laissée à l’anticipation de l’opération.