Andaine Seguin-OrlandoDe chair et d’os

(Crédit : Fondation L'Oréal - Jean-Charles Caslot)

Elle est l’une des scientifiques toulousaines lauréates des Prix Jeunes Talents L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science remis le 8 octobre. Une belle récompense pour cette chercheuse en paléogénomique au parcours atypique.

«À 41 ans, je suis la doyenne, et de loin, des Prix Jeunes Talents L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science », s’excuse presque Andaine Seguin-Orlando. La jeune femme a reçu son prix le 8 octobre à Paris aux côtés de 34 autres lauréates. Depuis 12 ans, ces prix récompensent de jeunes et brillantes scientifiques dans l’espoir de susciter des vocations, les femmes ne représentant de fait que 28 % des effectifs universitaires en sciences fondamentales en France. Grâce aux 20 K€ de dotation qu’elle a reçus, Andaine Seguin-Orlando, qui est depuis deux ans chercheuse post-doctorale au laboratoire Amis (Antropologie moléculaire et imagerie de synthèse), une unité mixte Université Paul Sabatier-CNRS, espère bien faire « progresser nos connaissances sur les rôles, le statut social et les conditions de vie des femmes au Néolithique » et partant, lever le voile sur « les racines préhistoriques des inégalités de genre ».

Mais avant d’arriver dans la Ville rose, la chercheuse, maman de trois enfants, a suivi un parcours atypique. Elle a grandi en Normandie, avec pour horizon la baie du Mont-Saint-Michel, dans un petit village « où il n’y avait qu’une seule classe, avec un maître qui s’occupait d’une douzaine d’enfants à peine ! » Vers l’âge de 10 ans, elle quitte la Manche pour la capitale. Son père, qui travaille sur le rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel, ayant rejoint un ministère à Paris avec femme et enfants.

Un bac et deux années de prépa plus tard, la voilà à Lyon où elle intègre l’École normale supérieure (ENS) et suit
« un parcours assez classique en biologie moléculaire et cellulaire ». Elle passe l’agrégation en sciences de la vie et de la Terre en 2001. « À l’issue des quatre ans de scolarité, la plupart des normaliens continuent en thèse. Moi, j’avais envie de m’insérer dans la vie active. Je ne me sentais pas ni vraiment l’envie, ni même les capacités de poursuivre », reconnaît-elle.

Ce manque de confiance en elle la conduit à enseigner la SVT dans les collèges et les lycées pendant 10 ans. En 2010, le couple qu’elle forme avec Ludovic Orlando décide de prendre le large. « À l’époque, mon mari était maître de conférences à l’ENS à Lyon. Lui avait envie d’évoluer dans sa carrière. De mon côté, si je perdais mon poste d’enseignante, ce n’était pas si grave », explique-t-elle. La famille s’installe au Danemark. Ludovic Orlando fonde son propre groupe de recherche au sein du Centre for GeoGenetics de l’université de Copenhague dans le domaine de la paléogénomique, l’étude de l’ADN d’individus du passé.

La jeune maman ne met qu’une condition à ce changement de vie : « pouvoir continuer à travailler ». Son magistère de biologie moléculaire et cellulaire lui ouvre les portes du tout récent centre de séquençage de l’ADN à haut débit du Muséum d’histoire naturelle de la capitale danoise. Elle y occupe un poste d’assistante mais très vite devient manager, « coordonne le travail des techniciens, gère les stocks, s’occupe des relations avec les collaborateurs extérieurs ». Une promotion rapide qui « en France aurait été plus difficile », admet-elle.

Petit à petit, la jeune femme se passionne pour le travail de labo, l’interaction avec les chercheurs. À leur contact, elle se rend compte aussi que « peut-être j’avais les capacités de faire ça. En interagissant avec les étudiants en thèse, je me suis dit que ce n’étaient pas des extraterrestres. À les côtoyer au quotidien, à voir leurs tâtonnements, leurs interrogations, je me rendais compte qu’ils n’étaient pas si différents de moi qui doutais beaucoup. » Reprendre des études, faire une thèse devenait possible « parce qu’au Danemark, à la différence de la France où on a tendance à aimer les carrières bien linéaires, c’est très valorisé de faire une année de césure, de voyager, de travailler dans une entreprise, avant de commencer ses études. Beaucoup d’étudiants en thèse sont relativement âgés, certains ont déjà des enfants. Bref, techniquement et administrativement et aussi du point de vue de l’image qu’on a ou que l’on donne, je me suis rendu compte que c’était possible. J’en ai alors parlé avec le directeur de l’institut en lui exposant ma problématique, à savoir que j’avais arrêté mes études 10 ans auparavant, que j’avais trois enfants, et bientôt 34 ans. Et il m’a répondu : « et alors ? ».

Andaine Seguin-Orlando se lance alors dans un doctorat en génomique et anthropobiologie moléculaire. Elle soutiendra sa thèse en 2016. « Je ne sais pas si j’ai eu de la chance d’arriver au bon endroit, puisque c’était l’un des meilleurs laboratoires au monde ; au bon moment parce que la discipline était en train de prendre de l’ampleur ; dans une très bonne équipe, avec de bons moyens, des gens bienveillants, d’autant que j’avais gardé mon travail à mi-temps au centre de séquençage… »

Depuis 2017, le couple et ses trois enfants ont pris le chemin du retour. Nommé directeur de recherche au CNRS, Ludovic Orlando a installé les 12 personnes de son équipe internationale à Toulouse au sein du groupe Archéologie, Génomique, Évolution et Sociétés (Ages), au laboratoire Amis où depuis 2015 il avait en parallèle le statut de professeur invité. De son côté, Andaine Seguin-Orlando a obtenu en 2018 une bourse de recherches individuelles Marie Skłodowska-Curie pour mener des travaux sur l’identité européenne et l’évaluation de « l’ascendance génétique des groupes humains du Néolithique ». Elle s’est ainsi intéressée « aux régimes alimentaires, aux schémas de mobilité et aux règles résidentielles et funéraires » des sociétés du Néolithique.

Plus généralement explique-t-elle, « j’utilise la paléogénomique pour comprendre les comportements sociaux des êtres humains anciens. » Et notamment le statut des femmes au Néolithique. « De nombreux ethnologues et archéologues ont en effet émis l’hypothèse que l’oppression des femmes dans certaines sociétés actuelles est un héritage du Néolithique, explique la chercheuse. C’est en effet le moment où l’homme se sédentarise, où il commence à dominer son environnement en le modelant par le biais de l’agriculture et de l’élevage et à avoir ce sentiment de puissance, de domination, de contrôle sur l’environnement. Il commence à accumuler des richesses, à stocker, à détenir une terre, un patrimoine. D’où le désir de ne pas trop émietter ce patrimoine et donc de contrôler la reproduction des femmes pour s’assurer que l’on se reproduit au sein du même clan et ainsi conserver le patrimoine entre soi. Grâce à l’ADN, j’ai la possibilité de tester cette hypothèse en mesurant les niveaux d’endogamie à l’intérieur des génomes. » Simple comme bonjour ! Alors que son contrat se termine dans quelques mois, la jeune femme s’attache à trouver de nouveaux financements – un point que partagent les 35 lauréates des prix Jeunes Talents, toutes sous contrat précaire – afin de poursuivre son travail, parce explique-t-elle, « c’est une grande satisfaction, lorsqu’on a publié un article, de voir nos travaux réutilisés, de participer au mouvement global de la recherche. »

Parcours

1978 Naissance à Avranches.
1998-2002 Obtient un magistère en biologie cellulaire et moléculaire à l'École normale supérieure de Lyon.
2001 Agrégée en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT).
2002-2010 Professeur de SVT en collège et lycée.
2010-2017 Intègre le centre de séquençage de l'ADN à Copenhague, Danemark.
2012-2016 Doctorat en anthropologie moléculaire au Centre for GeoGenetics de l'université de Copenhague.
2016-2017 Chercheuse postdoctorale dans la même unité de recherche.
2017 Chercheuse postdoctorale au sein du laboratoire Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse (Amis).