Crise sanitaire et entreprises : le télétravail, la solution ?

Face à la crise sanitaire, les entreprises s’adaptent. Entre autres solutions proposées par l’État, le télétravail n’a jamais fait autant d’adeptes.

Le monde de l’entreprise et de l’emploi connait depuis quelques semaines un choc sans précédent. La crise sanitaire et l’état d’urgence en découlant depuis l’arrivée du Covid-19 ont créé un véritable cataclysme. Critiques, contestations, remises en question sont sur les lèvres de tous les chefs d’entreprises mais également de tous les salariés. Ce n’est qu’a posteriori qu’il sera possible de jauger et de juger les décisions prises par nos gouvernants, bien malin d’ailleurs celui qui pourrait prétendre assurément qu’il aurait mieux fait. Arrêt pur et simple de certaines activités, limitation pour d’autres, c’est le lot quotidien depuis le début du confinement de la plupart des entreprises. Face à cette situation inédite, il y a cependant des mécanismes juridiques qui préexistaient en droit du travail. Au vu de la crise, ils nécessitaient cependant des évolutions. C’est le cas du chômage partiel et du télétravail notamment.

Même s’il était relativement boudé en France jusqu’à maintenant, le télétravail était déjà présent dans le code du travail depuis 2005 et avait connu des évolutions récentes. L’article 1222-9 de ce code, modifié par une loi du 5 septembre 2018, donne la définition suivante : « le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Néanmoins, sa mise en place était relativement lourde puisque le télétravail nécessitait un accord collectif ou une charte élaborée par l’employeur (après avis du CSE, s’il existait). En l’absence de charte ou d’accord collectif, lorsque le salarié et l’employeur convenaient de recourir au télétravail, ils formalisaient leur accord par tout moyen. Le refus d’accepter un poste de télétravailleur n’était pas un motif de rupture du contrat de travail du salarié. S’il ne pouvait être imposé par l’employeur en conditions normales, il ne pouvait en revanche être refusé par ce dernier si le salarié occupant un poste permettant d’en bénéficier, en faisait la demande, que sur justification d’un motif légitime. Le télétravail est ainsi devenu un Droit du salarié si les conditions en étaient remplies. Cependant, il était peu usité. Ainsi, selon l’Insee, en 2017, 3 % des salariés, seulement, déclaraient pratiquer le télétravail au moins un jour par semaine. Depuis la consécration du Droit au télétravail par le code du travail, les choses avaient évolué. La part des salariés français qui y avaient eu recours est ainsi passée à 29 %. En moyenne, les salariés faisaient sept jours de télétravail par mois.

LE TÉLÉTRAVAIL ET LA PANDÉMIE

Comme si cela était prémonitoire, l’article 1222-11 du même prévoit, et il est important de le citer in extenso tellement il semble d’actualité : « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».

En clair, la mise en œuvre du télétravail dans ce cadre ne nécessite aucun formalisme particulier et doit être impérative depuis le passage au stade 3 de l’épidémie de coronavirus, dès lors que le poste de travail le per- met. Le télétravail mis en place dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 va se différencier du télétravail régulier déjà en œuvre dans les entreprises pour plusieurs raisons. D’abord il s’agit d’un télétravail imposé dont la décision de mise en place a souvent été très rapide, pratiquement sans préavis. Il est effectué à temps plein, sans période régulière de retour au bureau et se pratique nécessairement à domicile, l’accès aux espaces de co-working et autres « tiers-lieux » n’étant plus possible. Enfin et surtout, compte-tenu de la fermeture des établissements scolaires, il se pratique pour la plupart dans un environnement familial particulier : conjoint également en télétravail ou en chômage partiel et enfants à la maison suivant leurs cours à distance. Alors oui, le télétravail a été “choisi” en masse depuis quelques semaines pour que les entreprises pour lesquelles il était envisageable puissent poursuivre leur activité, même si, et il faut l’admettre, ce n’est pas sans difficultés matérielles ou psychologiques parfois. Isolement, difficulté à séparer sa vie familiale et sa vie professionnelle, démotivation, stress lié aux objectifs, inadaptation du matériel, autant d’écueils difficiles à éviter en matière de télétravail et contre lesquels il faut lutter. Cependant, pendant la crise, le télétravail n’est pas un choix mais une obligation et donc il faut bien faire avec.

ALORS LE TÉLÉTRAVAIL, COMMENT ÇA MARCHE ?

L’exercice du télétravail n’a pas d’incidence sur le décompte du temps de travail effectif. Le salarié exerce en effet normalement son activité professionnelle et peut être joint par son employeur durant des plages horaires fixées par l’employeur en concertation avec lui. L’employeur prend en charge les coûts découlant directement de l’exercice des fonctions en télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci. Le code du travail ne prévoit rien sur ce point. Quant à l’Accord national interprofessionnel qui y est consacré, son article 7 indique : « Sous réserve, lorsque le télétravail s’exerce à domicile, de la conformité des installations électriques et des lieux de travail, l’employeur fournit, installe et entretient les équipements nécessaires au télétravail. Si, exceptionnellement, le télétravailleur utilise son propre équipement, l’employeur en assure l’adaptation et l’entretien ». Par ailleurs, l’employeur doit au titre de ses obligations de droit commun de santé et de sécurité s’assurer que le domicile du salarié est conforme aux normes d’hygiène et de sécurité.

D’ailleurs, si vous trébuchez sur le pied de votre table de salon en télétravaillant, comment se gère la situation ? L’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident du travail au sens de l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale. C’est donc exactement la même protection que lors du travail dans les locaux de l’entreprise qui protège le salarié.

Alors, vous le voyez en lisant cet article mais surtout, vous le constatez dans le monde du travail, le télétravail profite de cette période pour se tailler la part du lion. Selon la maxime : l’essayer c’est l’adopter. Imposé et non choisi par la plupart des couples employeur/salarié depuis quelques semaines, le télétravail ainsi testé, sera peut-être choisi dans les mois et années futurs. L’avenir le dira !

Par Fabien Kovac, Avocat spécialisé en droit du travail, Cabinet DGK Avocats Associés. (Dijon-Beaune-Auxerre)

Fabien Kovac.