Covid-19 : le milieu culturel joue la carte de la solidarité

Les compagnies artistiques, producteurs privés, prestataires techniques et intermittents sont touchés de plein fouet par les conséquences du coronavirus, les annulations de spectacles s’enchaînant à la pelle. Pour faire face, le milieu culturel tente de rester solidaire.

Privé de représentations, le monde du spectacle perd son véritable moteur. Sans attendre, dès le mercredi 18 mars, le ministère de la Culture a présenté des mesures afin de soulager le secteur et de limiter le risque de disparition des structures culturelles. « La crise sanitaire sans précédent, qui touche notre pays, frappe de plein fouet les acteurs de la culture. Nous devons tout mettre en œuvre pour assurer leur survie », assure ainsi Franck Riester, ministre de la Culture. Au même titre que les entreprises, les structures du secteur bénéficient des mesures de soutien tels que le chômage partiel et le report des charges sociales et fiscales. Dans le cas du secteur du spectacle vivant hors musical, notamment celui du théâtre privé, « des aides d’urgence pourront être allouées, à hauteur de 5 M€, afin de répondre aux difficultés rencontrées, en lien avec les organisations professionnelles, et avec une attention particulière au maintien de l’emploi. »

Concernant les structures labellisées ou subventionnées, « une attention particulière sera apportée à chacune d’elle, en lien avec les collectivités territoriales impliquées dans leur financement », précise le ministère. Le cinéma et l’audiovisuel, la filière musicale et celle du livre et des arts plastiques sont également soutenus à hauteur de plusieurs millions d’euros pour sauver les structures, notamment les plus fragiles. Reste à savoir si ces aides sont suffisantes.

Alors que les équipements culturels ont fermé leurs portes, chacun tente de s’organiser. « L’objectif n’est pas d’alimenter ce climat anxiogène mais de rester solidaire », rappellent certains acteurs de la vie culturelle toulousaine pour tenter d’amoindrir les pertes d’activité et de soutenir les compagnies elles aussi soumises au confinement. Si certains acteurs ont des doutes sur le chômage partiel et « attendent toujours des réponses sur sa prise en charge », d’autres soutiennent cette décision. Du côté du plus petit des orchestres permanents de France, l’Orchestre de chambre de Toulouse, le moral reste bon malgré la mise au chômage partiel de 11 musiciens. « Le plan massif est, pour nous, suffisant mais aucune structure ne peut se dispenser de l’effort qu’elle devra faire en 2021 et de gestes solidaires. Le ministère de la Culture demande à toutes les compagnies permanentes de maintenir le paiement des contrats malgré l’annulation des concerts. Nous allons jouer le jeu. Les annulations de concerts n’entraînent pas les annulations de subventions qui représentent 60 % de notre activité et nous avons en plus la possibilité de repousser le paiement des charges. L’idée, c’est de se préparer aux deux exercices suivants qui seront déficitaires », explique Renaud Gruss, l’administrateur de l’Orchestre de chambre de Toulouse.

SAUVER LES COMPAGNIES

D’autres directeurs s’arrangent aussi des décisions gouvernementales. « Notre personnel technique est pour l’instant au chômage partiel jusqu’au 31 mars. Nous ajusterons selon la situation. C’est une mesure indispensable en cette période d’arrêt d’activité. Elle permet d’éviter une fermeture. Cela permet également de ne pas utiliser la subvention publique et de maintenir ainsi le financement sur le complément de prix pour le public », explique Stéphane Gil, directeur délégué du Théâtre de la Cité. La structure subventionnée, qui pourrait enregistrer une perte de l’ordre d’un tiers de sa billetterie – laquelle atteint près d’1 M€ entre les mois d’octobre et mai –, ne craint pas pour autant l’affaiblissement systématique des structures culturelles et soutient les compagnies en prenant en charge le coût plateau. « Le théâtre s’engage à payer les heures de travail des artistes dont les représentations ont été annulées. Le coût plateau, c’est ce que coûte exactement le spectacle pour le jouer. En cas de report, nous paierons alors le prix de cession. Dans tous les cas, notre seul objectif est de sauver les emplois. Et à la fin de cette période de tension, nous demanderons une aide aux instances régionales et gouvernementales pour nous défrayer du surplus ».

Certains considèrent que du fait de ce cas de force majeure, ils n’ont pas, à moins de se mettre eux-mêmes en danger, à payer leur cachet aux compagnies et proposent des compensations. Quant au report des représentations, les avis sont tranchés. Certains s’organisent pour reporter les séances annulées dans la limite du possible, tandis que d’autres réfutent cette idée pour éviter de déstabiliser la saison prochaine, de pénaliser d’autres compagnies et de créer un embouteillage.

En attendant, les artistes subissent une double peine, privés de représentations et du regard des professionnels pour une éventuelle tournée. Les compagnies préparant une création se retrouvent, elles aussi, genoux à terre.

CRISE DE LA PRODUCTION ?

Si le confinement perdure, certains craignent une crise des moyens de production et doutent de la capacité de l’État à pouvoir compenser la globalité des pertes. « On observe la baisse de moyens de productions depuis plusieurs années et une réduction des subventions de la part des collectivités. L’État va-t-il vraiment pouvoir suivre ? », s’interroge Sébastien Bournac à la tête du Théâtre Sorano. Par ailleurs, le théâtre étant dépendant d’une subvention municipale, la direction pointe une incertitude sur le futur montant alloué, compte tenu de l’arrêt de la campagne électorale. « Nous dépendons de ces moyens-là, aucune décision ne peut être prise actuellement sur l’avenir de la subvention qui auparavant était fixe. Une première moitié a été versée au titre du fonctionnement, le reste doit être voté en juin. Cela nous met aussi en difficulté ». La situation étant en perpétuelle évolution, tout l’enjeu est d’ajuster les décisions aux réalités de l’ensemble de la filière frappée par la crise sanitaire.

AIDER LES INTERMITTENTS

D’autres questions se posent, notamment la prise en compte des heures des intermittents. « Les heures payées comptent-elles pour le renouvellement de droit de tous ces artistes ? Et si nous déclarons toutes les heures, seront-elles prises en compte ? Nous souhaitons une clarification de la part de Pôle emploi et de l’Unedic », souligne Éric Vanelle, co-délégué de la région Occitanie du Syndicat national des arts vivants, en charge du développement et des politiques publiques du Théâtre du Grand Rond, qui accuse 40 000 € de pertes pour chaque mois de fermeture et accueille 50 compagnies professionnelles à l’année. Le responsable appelle à ce que « les cessions soient honorées » et conteste la décision du centre culturel de l’Espace Bonnefoy, à Toulouse, qui s’engageait dans ce sens avant de se raviser. « J’ai été alerté par des compagnies adhérentes. La rémunération n’est finalement prévue qu’en cas de report entre septembre et décembre 2020. Cette décision, qui émane de la Mairie de Toulouse, fragilise les compagnies, celles qui auraient dû être programmées à cette période, et ne respecte pas les recommandations du ministère, alors que ce sont des budgets alloués », commente-t-il face à des décisions de collectivités tentées de fuir leurs responsabilités.

Selon Nicolas Dubourg, directeur du Théâtre la Vignette à Montpellier et président du Syndicat des entreprises culturelles et artistique (Syndeac), les mesures gouvernementales vont dans le bon sens concernant le statut les intermittents mais les aides restent globalement insuffisantes. « Avec la “neutralisation” de la période qui a été clarifiée par un décret, et la possibilité du recours à l’activité partielle, y compris pour les contrats à durée déterminée d’usage (CDDU), ainsi que l’incitation au paiement des contrats de cession, nous avons des réponses à nos premières revendications. Nous demandons maintenant la mise en place d’un fonds dédié aux structures subventionnées et aux compagnies indépendantes qui subissent une forte baisse de leurs budgets. Cette problématique vaut également pour l’ensemble des collectivités territoriales et les financements européens. »

Lors d’une réunion de crise prévue début avril entre le Comité régional des professions du spectacle en Occitanie, la Direction régionale des affaires culturelles et l’ensemble des syndicats du spectacle, le Syndeac entend inciter les collectivités territoriales à jouer le jeu de la solidarité en versant au plus vite les subventions 2020 ou les arriérés 2019. L’objectif étant de pérenniser les emplois. À suivre.

Intermittents: des mesures de soutien

Les ministères de la Culture et du travail ont annoncé conjointement dans un communiqué datant du 19 mars, leur décision de « neutraliser » la période de confinement à partir du 15 mars pour « le calcul de la période de référence ouvrant droit à l’assurance chômage et aux droits sociaux des intermittents du spectacle ». Le calcul et le versement des indemnités d’assurance-chômage sont également « neutralisés » pendant cette période afin que les artistes interprètes, techniciens et autres salariés en contrats courts arrivant en fin de droit pendant cette phase de l’épidémie puissent continuer à être indemnisées. Ces décisions étaient réclamées par les syndicats et en particulier la CGT-Spectacle.