Coronavirus et qualification professionnelle

Jean-Michel Lattes.

Jean-Michel Lattes.

Par Jean-Michel Lattes, maître de conférences en droit privé, chercheur à l’Institut de droit privé (IDP – EA 1920) à l’université Toulouse 1 Capitole.

Le débat sur la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle vient de connaître une clarification avec la réponse du ministre de la santé à une question orale à l’Assemblée nationale le 21 avril dernier. Une maladie est considérée « comme professionnelle si elle est la conséquence directe de l’exposition plus ou moins prolongée d’un travailleur à un risque physique, chimique ou biologique, ou résulte des conditions dans lesquelles il exerce son activité professionnelle ». A côté de pathologies traditionnellement rattachées à la qualification professionnelle comme les cancers dus à l’amiante, l’intoxication au plomb ou les troubles musculo-squelettiques, le Covid-19 bénéficiera d’une imputabilité professionnelle automatique… mais uniquement pour les personnels soignants. Pour les autres salariés, y compris ceux impliqués dans la lutte contre la pandémie, les procédures ordinaires demeurent.

LES ENJEUX DE LA QUALIFICATION PROFESSIONNELLE POUR LES PERSONNELS SOIGNANTS

L’imputabilité automatique. En principe, une maladie est présumée d’origine professionnelle lorsqu’elle est désignée comme telle dans un tableau de maladies annexé soit au code de la sécurité sociale, soit au code rural. Il faut, par ailleurs, que la maladie soit contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Plusieurs éléments doivent ainsi être pris en compte pour bénéficier de cette automaticité : les maladies concernées sont précisément désignées, les délais de prise en charge, voire même les délais d’exposition, sont précisés et on y mentionne la liste indicative des principaux travaux susceptibles d’être à l’origine de ces catégories de maladies.

Le Covid-19 ne figurant pas sur ces tableaux, c’est donc la procédure complémentaire, obligeant la victime à établir le lien de causalité entre l’emploi occupé et la pathologie considérée, qui aurait dû être suivie par l’ensemble des salariés. Il est cependant possible de faire entrer une nouvelle maladie professionnelle dans ces tableaux par décret, pris après discussion au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct) auquel participent les syndicats de salariés et d’employeurs.

La réponse ministérielle laisse supposer que l’ensemble des personnels soignants bénéficiera de cette automaticité d’imputabilité, le ministre de la Santé assurant que les soignants malades du Covid-19 bénéficieront « systématiquement et automatiquement » d’une reconnaissance de maladie professionnelle.

Les conséquences de la qualification. Les enjeux de la qualification professionnelle sont majeurs pour le salarié. Dégagé de la problématique probatoire, le salarié soignant bénéficie d’une reconnaissance permettant une prise en charge à 100 % de ses frais médicaux. Cela lui permet aussi de recevoir une indemnité en cas d’incapacité temporaire ou permanente de travail. Enfin, en cas de décès, ses ayants droit peuvent recevoir une rente.

Concrètement, cela signifie que les indemnités journalières perçues par le soignant malade seront plus favorables qu’en cas de simple arrêt maladie, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) lui versant des Indemnités Journalières (IJ) majorées. De même, en cas de décès, ce qui s’est déjà produit à plusieurs reprises dans le milieu médical, la reconnaissance de la maladie professionnelle permet le versement d’une rente pouvant aller jusqu’à 85 % du salaire annuel de la victime s’il y a plusieurs ayants droit.

Le financement de ces indemnités est garanti par la branche dite « ATMP » (Accident du travail et maladie professionnelle) de la sécurité sociale, financée par les cotisations des entreprises dont le taux varie en fonction de la sinistralité.

L’OBLIGATION PROBATOIRE DES SALARIÉS « NON SOIGNANTS » TOUCHÉS PAR LE COVID-19

Les personnels exposés. L’Académie de médecine recommandait, le 3 avril, la prise en charge au titre de maladie professionnelle de la maladie provoquée par le Covid-19 non seulement au profit des salariés du secteur médical mais également pour ceux du secteur de l’alimentation, de la sécurité et des transports.

Plusieurs voix se sont alors élevées pour demander une lecture large des bénéficiaires de la qualification professionnelle : le ministre de l’Intérieur pour ses personnels de sécurité, mais aussi plusieurs syndicats pour les salariés et les agents publics en situations de travail en présentiel et donc, à risque.

On retrouve ici un débat ancien, initié en 1919 lors de la reconnaissance du saturnisme comme maladie professionnelle, et relancé récemment avec le refus d’intégrer le burn-out dans une liste, celui-ci ayant cependant la possibilité d’être reconnu comme professionnel (loi Rebsamen du 17 août 2015). La position stricte prise par le ministre de la Santé oblige, de fait, les salariés non soignants touchés par le Covid-19 à passer par la procédure complexe de la preuve du lien de causalité existant entre le métier qu’ils exercent et la pathologie dont ils souffrent.

La mise en œuvre de l’obligation probatoire. Les personnels non soignants touchés par le Covid-19 devront, de fait, passer par la procédure juridique de reconnaissance du caractère professionnel de leur infection, les étapes permettant d’aboutir à la qualification devant être respectées.

En premier lieu, le salarié doit consulter un médecin qui, sur la base d’un formulaire « maladie professionnelle » (Cerfa n° 60-3 950), déclare sa maladie et ses symptômes. L’employeur doit alors en être informé et il doit transmettre à la CPAM une attestation de salaire pour permettre l’évaluation de l’indemnité. La procédure est alors prolongée par des étapes complémentaires.

La Caisse saisit alors le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) composé d’experts médicaux qui évaluera la réalité du lien de causalité en établissant la corrélation maladie/travail. À l’issue de l’instruction, la CPAM notifie sa décision motivée au salarié ou aux ayants droit en cas de décès, ainsi qu’à l’employeur et à votre médecin traitant. Cette décision précise les voies et délais de recours, si le caractère professionnel de la maladie professionnelle n’est pas reconnu.

Si la CPAM reconnaît l’origine professionnelle de la maladie, le salarié peut percevoir des indemnités journalières plus élevées qu’en cas de maladie non professionnelle et une indemnité spécifique liée à son incapacité permanente.