Coronavirus : clap de fin pour le mécénat culturel ?

Nicolas Battist, consultant en mécénat culturel.

Le 12 mars, Emmanuel Macron annonce la fermeture des écoles. Le 13 mars, Édouard Philippe annonce la fermeture des cafés et des restaurants. Le 16 mars, Emmanuel Macron annonce le début du confinement !

Le 17 mars je décide d’appeler trois mécènes. Le premier m’annonce qu’il va diviser sa dotation annuelle par deux ! Le second me dit qu’il ne sait pas quand, il va pouvoir me faire le règlement prévu du partenariat… Et le troisième m’explique que l’ensemble de sa dotation restante pour l’année 2020 sera reversé aux hôpitaux de Toulouse.

Le mécénat culturel va-t-il survivre à la crise sanitaire et économique annoncée comme la pire depuis la guerre ?

Une évidence : L’impact économique de la crise actuelle sera immense, bien que difficilement quantifiable.

Trois conséquences : Les trois sources de financement classique des structures culturelles : Les subventions publiques ; les ressources propres et les subventions privées (mécénat et parrainage), vont être durablement impactées.

POURQUOI ?

Les collectivités publiques vont subir une baisse générale de leur budget (notamment avec l’arrêt du marché immobilier et toutes les aides publiques engagées pour soutenir les entreprises en difficultés) et rien ne garantit que la culture soit pour elles une priorité dans les prochaines années. Elles vont donc devoir limiter leurs subventions pour les associations.

Les ressources propres des associations (ex : la billetterie) risquent de connaître une baisse sensible, car au-delà des craintes que chacun pourra éprouver lors de rassemblement dans un lieu confiné, bon nombre de spectateurs devront lutter contre une précarité accrue et un manque de confiance en l’avenir et donc pour eux aussi, la culture risque de passer au second plan.

Les entreprises vont subir une baisse très forte de leur budget mécénat, communication, événementiel… et ce pour une longue période. Si l’on compare avec la crise financière de 2008, il aura fallu au moins trois ans (source baromètre Admical 2012) pour retrouver des niveaux équivalents de 2007.

À l’époque, le mécénat d’entreprise s’était orienté massivement vers les actions sociales en délaissant la culture qui apparaissait comme non prioritaire au regard de la situation. On peut déjà prévoir un arbitrage similaire vers les domaines de la santé dans un premier temps et un retour vers le social ensuite.

En résumé, pour les structures culturelles, on peut donc s’attendre à :

– Une baisse des subventions publiques.

– Une baisse des ressources propres.

– Une baisse du mécénat culturel.

QUELLE PISTE PRIVILÉGIER ?

Cette fragilisation des différentes ressources financières va, dans un premier temps, pousser les structures culturelles à réduire leur budget de fonctionnement, en diminuant l’ampleur de leurs manifestations, leur communication, leurs embauches non-indispensables… mais les budgets sont déjà souvent sous tension, les marges très réduites et la baisse des dépenses va vite montrer ses limites.

Rapidement, les associations vont donc devoir développer des stratégies plus agressives de recherche de financement afin de sauvegarder l’équilibre économique de leur projet.

Avec les dépenses accumulées, les subventions publiques pour la culture ont peu de chances d’augmenter et il sera sans doute plus difficile pour un festival, un musée ou un théâtre de développer son public et ses ressources propres tant que le virus n’aura pas totalement disparu.

Les entreprises déjà mécènes sont généralement saturées de demandes financières car elles valorisent leur partenariat (logo, témoignages…) ce qui suscite l’intérêt des autres associations qui viennent à leur tour les solliciter. Et si elles choisissent de réorienter leurs dons, elles se tourneront naturellement vers les secteurs de la santé et du social.

100 000 entreprises ne font pas de mécénat en France !

Selon son dernier baromètre sur le mécénat d’entreprise, l’Admical estime que 9 % de l’ensemble des entreprises font du mécénat (TPE incluses).

Si l’on exclut les TPE, qui auront plus de mal à traverser cette crise, ainsi que les entreprises faisant du mécénat sans défiscaliser, cela représente environ 100 000 entreprises en 2018 (soit les deux tiers des PME ; ETI et Grandes Entreprises).

Deux entreprises sur trois qui ne font pas de mécénat, même en période de crise, c’est un potentiel de développement immense qui ne tient que sur la volonté propre des entreprises à vouloir s’engager pour une cause d’intérêt général.

La meilleure piste à suivre pour renforcer leurs ressources financières est donc celle des entreprises non-mécènes.

CIBLER « UNE PARTIE » DES ENTREPRISES NON-MÉCÈNES

Pourquoi autant d’entreprises ne font-elles pas de mécénat ? Comment les convaincre de devenir mécène ?

Dans le même baromètre, l’Admical explique que chaque année, depuis 10 ans, le nombre d’entreprises qui font du mécénat augmente de façon spectaculaire : +150 % de 2010 à 2016.

Cela nous montre que la capacité de convertir une entreprise non-mécène en entreprise mécène existe, mais évidemment il serait illusoire de penser que l’ensemble des entreprises puissent devenir mécènes car il y aura toujours des blocages à l’acte de mécénat.

Il ne faut donc pas cibler toutes les entreprises non-mécènes, mais celles qui ont un potentiel à le devenir et pour cela il faut comprendre les blocages des entreprises qui jusqu’ici refusaient de devenir mécènes.

COMPRENDRE LE REFUS DE FAIRE DU MÉCÉNAT

Quand on leur pose la question, les entreprises répondent que les raisons de ne pas faire de mécénat sont multiples, mais on peut les réunir dans quatre grands thèmes :

– Le manque d’argent.
– Le manque d’impact du mécénat.
– Le manque d’intérêt pour le projet.
– Le manque de savoir-faire.

Ces réponses semblent rationnelles et cohérentes. Difficile pour une entreprise de donner de l’argent à une association quand elle en manque, ou quand elle ne sait pas vraiment à quoi cet argent va servir, ou quand elle pense que c’est contraire à son intérêt.

LE MÉCÉNAT D’ENTREPRISE : UN ACTE PROFONDÉMENT ÉMOTIONNEL !

En 2002, Daniel Kahneman, docteur en psychologie, obtient le Prix Nobel d’économie pour son travail sur les processus cognitifs et émotionnels qui sous-tendent la prise de décision économique. Il a notamment démontré qu’une majorité de nos actions est directement régie par notre cerveau en dehors de la conscience.

Les recherches en neuromarketing, très en vogue chez les directeurs marketing des grands entreprises, affirment même que : 80 % des actes d’achats sont irrationnels !

Qu’en est-il du mécénat ? Peu d’études neuroscientifiques ont été réalisées sur les effets des émotions sur l’acte de don et aucunes, à ma connaissance, sur le mécénat d’entreprise.

Dans un article paru dans Fundraizine n° 51, Arthur Gautier (en charge de la chaire philanthropie de l’Essec) nous explique que selon plusieurs études récentes : « Donner de l’argent stimule davantage le cerveau qu’en recevoir ».

Le mécénat est donc associé à un acte de plaisir, il provoque une émotion positive assez puissante qui active le « système de récompense ».

Certes, le mécénat d’entreprise diffère sur de nombreux points du don des particuliers mais la décision ou le refus de donner, est un acte réalisé par des femmes et des hommes soumis à l’influence de leurs émotions même dans le cadre de leur entreprise.

Daniel Kahneman parle également, dans son livre Thinking, Fast and Slow, de la capacité de notre cerveau à rationaliser a posteriori nos actes inconscients, c’est-à-dire à trouver une raison rationnelle à un acte qui lui était émotionnel.

Les motivations invoquées par les entreprises de ne pas faire de mécénat, sont donc bien plus complexes que celles annoncées en premier lieu, et les véritables raisons sont essentiellement émotionnelles :

– Peur de faire le mauvais choix.

– Peur d’être accusé de gaspiller l’argent de l’entreprise.

– Appréhension devant un processus que l’entreprise ne maîtrise pas.

– Peur de ne pas paraître légitime.

Ces émotions négatives doivent être comprises par les associations si elles veulent réussir à convaincre de nouveaux mécènes.

À QUEL BESOIN POUR L’ENTREPRISE, UNE ASSOCIATION RÉPOND-ELLE
EN PROPOSANT DU MÉCÉNAT ?

Pour répondre aux « angoisses » que les entreprises peuvent ressentir devant l’acte de mécénat, les acteurs culturels doivent réussir à connecter leur projet aux besoins profonds des entreprises et surtout des personnes qui prennent la décision de l’acte de mécénat en interne (patron de PME ; directeur de communication, responsable RSE…).

Si l’on considère que les besoins profonds d’une entreprise reposent sur les besoins essentiels des individus qui la composent, on peut s’appuyer sur la fameuse pyramide de Maslow pour comprendre ce qui va motiver les entreprises à devenir mécènes :

Dans nos sociétés développées, les deux premiers niveaux (physiologie et sécurité) sont acquis à une grande partie de la population.

Les actions de mécénat d’entreprise doivent donc répondre :
– Aux besoins d’appartenance.
– Aux besoins d’estime.
– Aux besoins d’accomplissement.

Pour une entreprise, le besoin d’appartenance se traduit par la possibilité qu’offre le mécénat de relier les entreprises entre elles autour d’une cause commune et leur permettre de développer leur réseau.

Le besoin d’estime se révèle grâce à la capacité du mécénat à répondre, pour le mécène, à une recherche de prestige et de réputation. Par exemple le nom de l’entreprise sur un mur des mécènes, sa présence lors d’une soirée de gala.

Le besoin d’accomplissement des entreprises est le plus profond, car il renvoie à leur raison d’être, à leur impact sur la société et sur le territoire où elle rayonne, à leur mission et à leur vision profonde de la société.

Les associations culturelles doivent identifier ce qui dans leurs projets répond à ces besoins. Cela va les différencier aux yeux des entreprises car elles vont apparaître comme une solution à leurs problèmes.

MAIS POURQUOI MAINTENANT ?

Dans un premier temps, la peur de l’inconnu va certainement pousser les entreprises à se replier sur elles-mêmes, mais le confinement à prouver à quel point la culture était un élément fort de respiration dans cette période troublée.

De nombreux musiciens, se sont produits gratuitement sur internet. Les musées ont accéléré l’accès digital à leurs expositions. Les films et les séries n’ont jamais autant été « consommés » que ces dernières semaines.

La culture est apparue comme une bouée de secours dans un océan d’incertitude.

Les crises sont propices aux changements !

La loi Aillagon sur le mécénat est apparue lors de la crise des intermittents du spectacle l’été 2003. Ces deux éléments n’avaient a priori aucun lien, mais dans ce contexte de tension sociale, le mécénat est apparu, aux acteurs culturels, comme une possibilité crédible de trouver de nouveaux financements.

Par temps calme, quand tout va bien, les entreprises, comme toutes les organisations, sont plutôt conservatrices dans leur fonctionnement et dans leurs choix stratégiques. Mais si elles veulent tirer bénéfice de cette crise, elles devront innover profondément et dans cette période de bouleversement, le mécénat culturel leur apparaîtra comme un outil puissant de différenciation apte à offrir et valoriser le meilleur d’eux-mêmes.

Le mécénat culturel apparaîtra comme un outil puissant de différenciation.

Par Nicolas Battist, consultant, fondateur de l’agence de conseil en mécénat Culture Éco.