Confinement : un révélateur de nos assiettes de demain ?

Loïc de Béru, fondateur de 109-Conseils, un cabinet de conseil en innovation pour renouveler l’alimentation de demain et accompagner les acteurs de la chaîne agroalimentaire dans une démarche de mieux produire et mieux nourrir. 109conseils.com

Plaçant les acteurs de l’agroalimentaire dans une situation d’urgence inédite, la crise sanitaire a fait émerger des priorités qu’il faudra prendre en compte pour « l’après Covid ».

Alors que les circuits de la restauration hors foyer passaient à l’arrêt du jour au lendemain, dès le confinement mis en place, les commandes en grandes et moyennes surfaces (GMS) ont explosé : entre +30 % et +50 % selon les produits. Face à cet emballement de l’activité, les filières se sont organisées dans des temps record pour adapter la production et livrer en toute sécurité.

LIMITER LA « CASSE » ÉCONOMIQUE

Confronté à la crise sanitaire, le secteur agroalimentaire a dû faire face à un double défi : assurer la protection des salariés et préserver la « santé » des entreprises. « La fermeture des nombreux commerces et restaurants a entraîné aussitôt la réduction massive voire l’arrêt de l’activité pour des filières comme l’horticulture, le vin, les canards, pigeons, etc. Les produits festifs liés aux retrouvailles familiales ont été terriblement touchés. La fermeture des marchés et des rayons coupe en GMS a fortement pénalisé aussi les produits AOP, détaille Benjamin Guillaumé, chef du service Économie des filières à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Les grandes cultures ont subi de leur côté les soubresauts des marchés mondiaux, alors que les fruits et légumes ont bénéficié d’une préférence à l’origine France dans les GMS ». Les agriculteurs comptent sur les annonces de reprise (restauration, tourisme, ouvertures des frontières) et sur les prochaines négociations pour faire de la saison estivale une période de rebond.

MOINS DE TEMPS CONSACRÉ AUX COURSES

En nous confinant, la crise a révélé un rapport au temps différent. Les observateurs ont noté une recherche d’efficacité chez le consommateur, qui a fait ses courses plus rapidement, en passant moins de temps dans les rayons.

Corollaire de ce phénomène, un recentrage s’est opéré sur la consommation en libre service et le e-commerce a littéralement explosé. « Les ventes alimentaires en ligne ont enregistré 40 % de croissance », indique ainsi Christophe Hurbin, co-fondateur et président de myLabel, une appli d’aide à la consommation saine, éthique et responsable. En témoigne l’utilisation de l’application de la start-up lyonnaise, qui a doublé en moins d’un mois sur les parcours d’achat en ligne.

De même, vraie solution d’accès sécurisé à l’alimentation, le drive a bien tiré son épingle du jeu. Pour conforter cette conquête, un des enjeux sera de personnaliser l’offre drive et d’y adapter les emballages. Ils devront s’individualiser, protéger les produits et informer les utilisateurs avec plus de précision. « Depuis le début du confinement, les requêtes hors nutrition (pesticides, bien-être animal, juste rémunération des agriculteurs, origine locale, égalité femmes-hommes…) ont grimpé de 70 %. Nous travaillons sur le développement d’étiquettes augmentées pour répondre à cette demande », observe Christophe Hurbin.

NUTRITION ET SANTÉ : DES PRÉOCCUPATIONS FORTES

Selon Eric Juillet de Saint-Lager, directeur général EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique), durant cette période de confinement, Bridor a enregistré une demande croissante de l’Amibiote – une baguette développée avec l’Inra, riche en fibres. Fortement assimilés à des bénéfices santé et possédant un fort pouvoir de réassurance, les produits bio et Label ont également augmenté dès les premières semaines. Cette crise a ainsi amplifié la place des critères santé/sécurité dans les choix alimentaires. Un sujet sur lequel les marques devront continuer d’avancer.

L’importance grandissante portée à la sécurité des aliments révèle toutefois quelques inversions de priorité chez les consommateurs. Les rayons vrac perdent ainsi des parts de marché (pour des raisons évidentes d’hygiène) tandis que les suremballages (même en plastique) sont plus sollicités ! Les rayons surgelés, habituellement délaissés par les consommateurs, ont vu à cette occasion leurs ventes progresser de 23 % (source L’Obs). Autant de réactions de protection certainement éphémères…

L’ESSOR DU « CUISINÉ MAISON »

Passé le temps des courses de précaution, le cuisiné maison est devenu le grand gagnant d’une équation simple : repas à la maison +100 % du temps à domicile = retour aux fourneaux (61 % des Français affirment s’être remis à cuisiner – source L’Obs). Les consommateurs ont multiplié les occasions de cuisiner, encouragés par les conseils de chefs dans les médias et sur les sites de cuisine, dont la fréquentation a fortement augmenté. Les rayons beurre, farine, œufs et levures en ont été les premiers bénéficiaires, redonnant ainsi une place fondamentale aux produits bruts. Cette liste de courses recentrée sur les essentiels perdurera-t-elle ? Mieux manger et reprendre le contrôle de son alimentation sont en tout cas des préoccupations ancrées dans le quotidien des consommateurs.

LA PRIME AU CONSOMMER LOCAL

Agir autour de chez soi… L’élan solidaire, qui a enflé durant la crise, aura une incidence durable sur les achats de proximité. Depuis plusieurs années, le local est porté et défendu par les filières et la perspective de souveraineté alimentaire est un enjeu réel. « Nous portons un regard très attentif sur tout ce qui peut s’adapter en local, réagit Benjamin Guillaumé. Les agriculteurs auront un rôle important à jouer dans cette relocalisation et nous devons d’ores et déjà encourager les démarches exemplaires pour ne pas retomber dans les travers d’avant crise. Cela demande de l’exigence et de repenser les filières dans leur globalité, y compris pour la nutrition animale ».

La grande distribution devra se réinventer et mettre encore plus en avant les initiatives locales. Les tensions sur les fruits et légumes ont encouragé la GMS à s’approvisionner en made in France : il faudra continuer ! « Il y a une prime au local, c’est évident. Nous ne sommes pas encore équipés pour faire du 100 % local, mais les consommateurs vont demander plus. Notamment après avoir testé des réseaux de proximité et de nouvelles solutions d’accès à l’alimentation, constate Laurent Debande, directeur général business unit Fromage, Beurre et Lait chez Eurial. Nous devrons repenser notre offre de produits et services pour être plus en direct avec les consommateurs en zone urbaine ». C’est le positionnement choisi par des enseignes telles que Monoprix ou Franprix, qui veulent devenir la « cuisine des urbains ».

Consommer local, c’est aussi retrouver du lien humain avec les commerces de proximité et découvrir les circuits de vente directe proposés par les producteurs. La Région des Pays de la Loire s’est fortement investie sur le thème « Manger régional, c’est capital ! », en relayant les nouveaux débouchés de proximité auprès des consommateurs. La Ville de Nantes, de même, a mis en ligne « Les bonnes adresses pour acheter frais et local » afin de s’approvisionner en direct dans le respect des règles sanitaires.

SAVOIR RÉPONDRE À DE « NOUVEAUX ESSENTIELS »

Cultivant cette agilité vertueuse, les acteurs de la chaîne alimentaire devront ainsi répondre à de « nouveaux essentiels » :

• un accès à l’alimentation plus agile, rapide, sûr, personnalisé, où le local et la solidarité avec le monde rural prendront de l’importance ;

• des achats réfléchis pour se nourrir avec attention et responsabilité grâce à des informations précises et transparentes ;

• des achats plaisir pour éveiller le goût, s’impliquer dans l’acte culinaire et renouveler les expériences de dégustation.

C’est en relevant toutefois le difficile challenge du pouvoir d’achat, au cœur des préoccupations des ménages dans les prochains mois, que cette stratégie pourra se déployer.

Le confinement aura finalement contribué à porter une vision « agropositive » inspirante. Un terreau fécond pour accélérer l’innovation auprès des filières et de l’ensemble des acteurs.

Par Loïc de Béru, fondateur et dirigeant de 109-CONSEILS, pour RésoHebdoÉco, association regroupant 27 titres de presse hebdomadaire économique régionaux en France. facebook.com/resohebdoeco