Confinement : mesures et conséquences

Le bâtiment fait partie des secteurs d’activité pouvant continuer à exercer pendant le confinement.

La nouvelle est tombée telle un couperet. Inenvisagé quelques jours auparavant, un second confinement a été décidé par le Président de la République, entraînant avec lui une nouvelle vague d’inquiétude chez les entrepreneurs.

Le désormais célèbre « quoi qu’il en coûte » va-t-il pouvoir suffire à rassurer les entrepreneurs face à un second confinement et à l’obligation pour certains d’entre-eux de fermer une nouvelle fois boutique ? Pas sûr, vu le discours des responsables des organisations professionnelles, pour lesquels une telle mesure va précipiter dans la précarité ceux qui sortaient à peine la tête de l’eau, à la rentrée.

LES PETITS COMMERCES SACRIFIÉS ?

En première ligne de cette décision radicale, mais « inévitable », les commerçants des centres-villes. « Cela va entrainer des dégâts irréparables », craint Ludovic Vachet, président de l’UCIA, les vitrines de Châlons-en-Champagne. « Nous avons l’impression que ce sont nos cœurs de ville qui sont sacrifiés, au détriment des grandes surfaces, qui elles, restent ouvertes. Or, les commerces du centre-ville, ce sont eux qui apportent de la proximité et du lien social », insiste celui qui est aussi propriétaire d’une boucherie. « Est-ce plus dangereux d’aller chez le cordonnier que d’aller faire ses courses dans un hypermarché ? Non, je ne le pense pas, d’autant que les commerçants se sont adaptés depuis le premier confinement avec tout un ensemble de mesures, comme le gel à l’entrée des magasins ou le nombre restreint de personnes autorisées en même temps dans les boutiques », tient-il à rappeler.

Le président des Vitrines de Châlons-en-Champagne déplore également « le manque d’anticipation. On prévient les restaurateurs la veille pour lendemain, sans leur laisser finir la semaine, cela fait encore des stocks à jeter et des dépenses faites dans le vide. » Le mot qui revient aussi dans sa bouche est celui « d’équité ». « Les vendeurs de jouets du centre-ville vont devoir baisser le rideau, tandis que le client ira faire ses achats au rayon jouet de l’hypermarché. On ne laisse pas la chance de s’en sortir de la même manière. »

30 À 40% DE CHIFFRE D’AFFAIRES PERDU POUR CERTAINS COMMERCES

Ludovic Vachet en appelle ainsi à « plus de clarté ». Quant au soutien des collectivités, présentes à la sortie du premier confinement, elles aussi, risquent d’avoir du mal à suivre. « Les chèques de Relance avaient très bien marché mais on ne peut pas refaire une telle initiative tous les 6 mois, car il faut bien financer tout ça. » D’autant que la période des fêtes est cruciale pour le commerce, les deux derniers mois de l’année, représentant pour certains « 30 à 40% du chiffre d’affaires de l’année ». Comment envisage-t-il la suite ? « Des réunions devaient se tenir déjà, dans un premier temps, pour tirer les enseignements du premier confinement… Elles ne se sont pas tenues qu’on en a un deuxième. Ces réunions devaient rassembler des entrepreneurs ainsi que des élus de la Ville et de l’agglomération. Il va falloir appréhender la suite. »

LE BÂTIMENT A UNE VISIBILITÉ DE 6 MOIS

Le son de cloche est bien différent du côté des professionnels du bâtiment, qui eux, semblent plus épargnés. « La situation est radicalement différente de celle du premier confinement », indique Rodolphe Lefèvre, président de la FFB de la Marne.

« Nous n’avions pas de protections pour nos équipes, aujourd’hui, nous avons les masques, les blouses, du gel et un protocole très strict qui a été édité, le guide de l’OPPBTP. Le port du masque est aussi entré dans les mœurs, à ma connaissance, il n’y a pas eu de chantier arrêté pour cause de cluster, les choses se déroulent très bien », assure Rodolphe Lefèvre. « Nous avons mis un mois à nous remettre en ordre de bataille, et là nous sommes repartis. Le bémol va être sur les chantiers où les équipes se déplacent et ont besoin d’être nourries et logées. Cela semble compliqué avec la fermeture des restaurant et hôtels. » C’est donc au niveau de la logistique qu’il y a des interrogations. Moins en ce qui concerne l’approvisionnement : « Pour l’instant, les transporteurs fonctionnent, y compris à l’International ».

Le volume de chantiers qui accusait un recul de -25% à fin juin était revenu à -15% fin septembre. Si la dynamique était bonne au sortir du confinement, où les particuliers avaient eu le temps de mûrir leurs projets, la fin d’année s’annonce en revanche plus compliquée. « Les travaux d’embellissement se sont poursuivis à la fin du confinement, mais dans le contexte actuel, les gens accepteront-ils de recevoir des ouvriers chez eux ? » s’interroge le président de la FFB Marne, sachant que 70% de l’activité du bâtiment provient du privé (entreprises et particuliers) et 30% de la commande publique. « On était confiant pour limiter la casse, mais là, on s’inquiète quand même pour 2021 », livre Rodolphe Lefèvre.

LES MAISONS DE CHAMPAGNE, 20% DE L’ACTIVITÉ DU BÂTIMENT

Cette inquiétude dans la Marne provient notamment du fait que les Maisons de champagne ont mis leurs projets totalement à l’arrêt. « C’est un des gros acteurs économiques du département. Le secteur du champagne représente 20% de l’activité du bâtiment dans la Marne. » Alors si le plan de Relance sur la rénovation aspire les professionnels à rester positif, des craintes subsistent. « Jusqu’ici tout va bien, mais l’investissement est moindre, on pressent une tension pour les six prochains mois. Et si on prend en compte le contexte du secteur du champagne, ce dernier prévoit une période austère sur deux ou trois ans et pensent revenir au niveau économique de 2019 à horizon 2023… » Les six prochains mois seront aussi compliqués compte tenu du report des assemblées générales des syndics de copropriété qui, de fait, font reculer encore les échéances de travaux. « Il y a beaucoup de petits signaux négatifs mais on est résilient et on tient encore », se veut optimiste le président de la Fédération Française du Bâtiment de la Marne.

MISER SUR L’INDUSTRIE DU FUTUR

Du côté de l’industrie, l’activité aussi est soutenue et appelée à continuer. « Notre objectif est de maintenir au maximum l’activité, dans le respect des gestes barrières comme nous le faisons depuis le premier confinement, qui était globalement bien reparti, sauf ce qui touche à l’aéronautique », indique Lionel Vuibert, Délégué Général de l’UIMM Champagne-Ardenne. « Il y a eu un phénomène de compensation mais aussi de décalage. Quand les lignes de production se sont remises en marche, elles ont tourné à plein régime même si ce n’est pas simple de relancer tout un process industriel. » Preuve que le secteur de l’industrie a plutôt bien réagi, 80% des entreprises industrielles ayant demandé un PGE, ne l’ont pas utilisé. L’apprentissage continue aussi. « 95% de nos apprentis sont restés en cours, car nous avons des outils de cours en ligne très performants et développés depuis longtemps. » Concernant les industries qui avaient réorienté leur production dans l’effort national avec la réalisation de masques, visières, blouses, certaines ont tiré leur épingle du jeu avec un chiffre d’affaires non seulement maintenu mais aussi en augmentation quand d’autres se sont retrouvées avec des stocks invendus sur les bras. « La compétitivité est toujours là, et si on doit miser sur le futur, ce n’est pas avec des masques ou du gel, mais en poussant nos industries vers ce que l’on appelle le 4.0, la robotisation, le numérique et l’intelligence artificielle », analyse Lionel Vuibert.

“ LA MEILLEURE RÉPONSE SERA CELLE DE NOTRE COHÉSION SOCIALE ”.

Prenant acte des nouvelles mesures annoncées par le Président de la République, Christian Bruyen les estime, « malgré les contraintes difficiles qu’elles génèrent pour chacun d’entre nous, fondées sur la défense du bien commun ». Le Président du Conseil Départemental de la Marne poursuit : « Dans ce nouveau contexte particulièrement difficile, le Département de la Marne, comme il l’a fait au printemps, se mobilise pour contribuer pleinement à la lutte contre la progression de l’épidémie et pour limiter, autant que possible les conséquences économiques et sociales de cette crise sanitaire ». En tant que « garant des solidarités humaines », le Département assurera « un suivi particulièrement attentif des établissements et services sociaux et médico-sociaux (grand âge, handicap et protection de l’enfance) dont il a la charge, en veillant à un juste équilibre entre la nécessaire protection des personnes et le maintien d’une indispensable forme de bien-être. Il maintiendra également l’ensemble de ses missions de solidarité en proximité (insertion, petite enfance, prévention…) ».

Pour le Président, la collectivité poursuivra également l’ensemble des opérations d’investissements engagées (routes, bâtiments…) « afin de lutter contre les phénomènes de fracture et pour soutenir l’activité de nos entreprises ». Les services distribueront également à l’ensemble des collégiens marnais un nombre de masques lavables suffisant pour couvrir l’année scolaire.

Outre un travail « en pleine transparence et confiance avec l’Etat (Préfecture, ARS, Rectorat…), avec aussi les différents niveaux de collectivités territoriales et tous nos partenaires, notamment associatifs lorsqu’ils sont engagés dans le champ des solidarités », le Département contribuera à assurer la continuité du service public en tout point du territoire marnais. « Et je réaffirme ma pleine confiance en chacune et chacun des agents du Département », assure Christian Bruyen.

« J’appelle l’ensemble des Marnaises et des Marnais, à se conformer aux prescriptions sanitaires et à poursuivre leur activité professionnelle lorsque c’est possible, dans le cadre prévu afin de soutenir l’activité économique de notre pays. Face à cette crise, comme dans bien d’autres circonstances, la meilleure réponse que nous pourrons apporter, individuellement comme collectivement, sera celle de notre cohésion sociale. »

“ ON NE PEUT PAS CONFINER ET DÉCONFINER EN PERMANENCE ”

Pour Vincent Mathieu, président du Medef Aube, « ces mesures de confinement sévères vont provoquer un choc économique important. Avec la fermeture des commerces et des restaurants et « l’effet halo » sur le reste de l’économie, on devrait perdre en novembre entre 50 et 75 milliards de PIB en novembre. L’impact sera très fort. Quel que soit le niveau des aides gouvernementales, il y aura beaucoup de faillites et notamment parmi les entreprises du secteur du commerce qui font l’essentiel de leur activité entre le 1er novembre et 15 décembre. Les dégâts seront très importants ».

Selon lui, « le balancier penche vers la santé. C’est un choix que nous pouvons comprendre mais qui n’est pas équilibré. Dans l’ordre des priorités déroulées par le président de la République, la protection de l’économie arrive en dernier ».

Redoutant les conséquences de ce nouveau confinement, notamment dans l’hôtellerie et la restauration, Vincent Mathieu craint que celles-ci se poursuivent bien après le 1er décembre : « Nous voulons bien croire que le confinement va stopper l’épidémie et que l’on déconfinera avant les fêtes de Noël, mais on va reconfiner en mars pour affronter la troisième vague. On ne peut pas confiner et déconfiner en permanence, sinon des centaines de milliers d’entreprises vont disparaître. On ne peut pas attendre l’arrivée d’un vaccin à l’été prochain. Ce qu’il faut maintenant c’est discuter avec les professionnels pour voir comment fonctionner le plus normalement possible avec le Covid. Il faut que tous les secteurs fermés depuis le 29 octobre aient la possibilité, ce qui n’a pas été fait sérieusement jusqu’à présent, de discuter avec le Gouvernement pour pouvoir rouvrir. Il y a un sentiment d’injustice très fort chez les entrepreneurs : les contaminations ont lieu dans la sphère privée et ce sont les entreprises, et donc les salariés, qui sont pénalisées. Il nous faut trouver des solutions pour rouvrir les commerces dans les 15 jours. Comme le préconise Geoffroy Roux de Bézieux, Président du Medef National, pourquoi ne pas permettre aux Français de sortir 2 heures par jour, pour qu’ils puissent faire leurs courses de Noël en bas de chez eux et pas seulement sur Amazon ? Sur ce point, le Premier ministre ne nous a pas entendu ».

« Plus que jamais, les entreprises ont besoin de proximité et d’une approche globale de leurs projets »

Pour faire face aux besoins des entreprises dans cette période d’incertitudes, les banquiers s’organisent, à l’image de la Caisse d’Epargne Grand Est Europe, qui a créé un dispositif spécial intitulé #rESTart. « Nous avons mis en place des solutions aux besoins en trésorerie des entreprises à court, moyen et long terme. Une enveloppe de financement spécifique a été créée pour apporter des solutions aux PME-PMI qui veulent améliorer leur compétitivité et leur modernisation », explique Cédric Renaud, directeur du développement et de la transformation – Pôle BDR à la CEGEE. « C’est du concret pour les PME qui en expriment le besoin ». Pour l’établissement bancaire, il s’agit de proposer des financements à des taux très intéressants (0% pendant trois ans et 0,95% de 3 à 10 ans) pour des travaux de modernisation de l’outil productif, de dépenses liées à la relocalisation ou à la diversification de leur activité. « Notre but est de concourir à notre niveau à moderniser l’industrie du Grand Est, qui a besoin d’être soutenue et renforcée. »

OPPORTUNITÉS À L’INTERNATIONAL

Mise en place dès avril, l’enveloppe a déjà été sollicitée par plusieurs entreprises régionales pour 26 projets industriels et un financement total de plus de 20 M€, dans le cadre d’un développement industriel ou d’une relocalisation. Car malgré la crise sanitaire, les opportunités sont nombreuses. « Aujourd’hui le développement des carnets de commandes peut aussi passer par l’international », souligne Cédric Renaud, dont les équipes s’appuient sur un réseau d’experts internationaux ancrés en région, en partenariat avec le groupe BPCE. « C’est notre rôle d’informer les chefs d’entreprise, de les accompagner, les rassurer et leur apporter des éclairages sur les différentes zones de business ».

PME, PMI, grandes entreprises, acteurs de l’ESS, collectivités, bailleurs sociaux, acteurs de l’immobilier… le dispositif #rESTart by Caisse d’Epargne Grand Est Europe s’adresse à tous les acteurs, privés comme publics. « Car la commande publique va elle aussi être déterminante, voire s’avérer être un élément-clé de la relance ».

Surtout, le directeur du développement insiste sur la nécessité de traiter les projets le plus tôt possible, d’autant plus en ce moment. « Un bon dossier est celui qui a été anticipé. Dans ces situations pleines d’incertitudes, il ne faut pas hésiter à contacter son partenaire bancaire quel qu’il soit, pour qu’il puisse intervenir en amont des projets ou des difficultés et les traiter dans leur globalité. Il faut échanger pour mieux appréhender les problématiques et les solutions, ne pas réagir dans l’urgence », rappelle Cédric Renaud. « Plus que jamais, les entreprises ont besoin de proximité et d’une approche globale de leurs projets. Et certains secteurs d’activité comme le commerce et la restauration vont avoir encore plus besoin de nous ».


Jean-Marc Béguin, spécialiste de la Bancassurance : « La France paie aujourd’hui les conséquences de son hyper-administration »

« Au vu des chiffres, il semble que le Gouvernement pouvait difficilement faire autrement qu’un nouveau confinement. Il était également difficile de faire mieux que les mesures compensatoires prises actuellement : indemnisation jusqu’à 10 000 euros pour les entreprises et commerces fermés par décision administrative, exonération de cotisations sociales, chômage partiel, PGE… Le seul problème c’est que toutes les règles de confinement édictées sont incompréhensibles. Le politique prend les bonnes décisions mais c’est la gestion de la crise par l’administration qui n’est pas bonne en compliquant toutes les mesures. On paie aujourd’hui l’hyper-administration de la France.

Il faut comprendre le mécontentement de ceux qui doivent fermer. Ça n’est peut-être pas la solution, notamment pour les commerces où on peut garder le masque. La santé et l’économie doivent être conciliables et vont devoir l’être car on ne pourra pas laisser les entreprises fermées aussi longtemps. Aujourd’hui, je suis moins inquiet pour l’économie que pour la santé. La reprise spectaculaire de la croissance en juillet-août en France et aux Etats-Unis actuellement me rendent plutôt optimiste car ils prouvent que la machine peut se remettre en marche très rapidement.

Concernant la commande publique, l’Etat doit être incitatif et imaginatif pour la relancer, à l’image de ce qui a été fait en 2008 avec le fonds de compensation de la TVA. La commande publique sera indispensable pour redémarrer l’économie. Il ne faut pas oublier qu’en 2008-2009, ce sont les collectivités locales et les grands travaux qui ont sauvé la France. De la même manière, il faudra trouver un moyen d’inciter les Français à sortir leur épargne et à consommer, par une baisse de la TVA sur certains produits ou sur des travaux, par exemple. »


Sylvain Convers, président de la CCI de l’Aube : « L’avenir s’annonce très compliqué »

« Dans l’Aube, nous avions retrouvé une assez bonne dynamique après le confinement. Cette tendance positive va être brutalement interrompue d’autant que ce nouveau confinement survient à une période de l’année cruciale pour bon nombres d’entreprises dont les commerces. L’avenir s’annonce très compliqué pour les entreprises et il va falloir que les mesures gouvernementales soient à la hauteur des enjeux. Par exemple, il faudra que l’Etat transforme les reports de charges en exonérations pures et simples, sinon beaucoup de commerces et de restaurant ne vont pas s’en relever. Enfin, nous sommes repartis pour quatre semaines de confinement, mais nous n’avons pas vraiment de visibilité sur la sortie de crise, ce qui accroît les incertitudes des chefs d’entreprise ».