Commissaires aux comptes, sentinelles de l’économie

Après huit semaines de confinement, c’est maintenant que les difficultés vont commencer. Les professionnels de l’audit sont au chevet des entreprises pour les aider à gérer la crise économique. Les explications de Jean-François Laffont, président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes.

Comment les commissaires aux comptes ont-ils géré la période du confinement ?

Nous avons recommandé à l’ensemble de nos confrères de contacter leurs clients de façon à savoir quelles étaient les mesures qu’ils avaient mises en œuvre pour passer cette période. À savoir l’accès aux aides prévues par l’État tel le report des charges sociales, des échéances de prêt ou de loyers, le chômage partiel et l’obtention des Prêts garantis par l’État (PGE). L’objectif était de savoir si ces mesures leur permettraient de passer la période de confinement, puisque certains de nos clients ont connu un arrêt total d’activité, d’autres un arrêt partiel et d’autres encore ont continué à fonctionner normalement, telle la grande distribution. Nous avons également interrogé ces derniers, puisque, s’ils n’a- vaient pas de problématique liée à l’arrêt d’activité, ils en avaient d’autres relatives à la logistique ou au personnel, parfois dans l’incapacité de se rendre sur son lieu de travail.

Après avoir fait ce constat avec nos clients, pour ceux qui étaient déjà en difficulté avant la crise du Covid-19, s’est posée la question de l’accès au PGE, puisque dans les premiers temps, l’État avait exclu du dispositif les sociétés en redressement judiciaires ou celles en difficulté dont la situation nette était négative. Mais cela a évolué dans le temps après l’adoption de différents textes.

Nous avons ensuite recommandé à nos confrères, après cette analyse, de ne déclencher une procédure d’alerte*, que si vraiment nous constations qu’il n’y avait aucune possibilité pour l’entreprise de s’en sortir malgré les mesures prises. Et avant de déclencher la procédure d’alerte, nous avons conseillé à nos clients de prendre langue avec le président du tribunal de commerce pour se placer éventuellement dans le cadre d’une conciliation ou d’un mandat ad hoc, puisque, de fait, l’état de cessation des paiements a été gelé entre le 12 mars et le 23 août.

Qu’est-ce que cela signifie en clair ?

Les entreprises, qui, de part l’arrêt d’activité lié au Covid-19, ne peuvent plus payer leurs dettes, ne sont pas considérées en état de cessation des paiements puisque la loi édicte que l’état de cessation de paiement s’apprécie avant le 12 mars. Cela permet à une entreprise, qui de facto est en cessation de paiements, mais se trouve protégée par la loi, de requérir du tribunal de commerce la nomination d’un mandataire ad hoc ou l’ouverture d’une procédure de conciliation, ceci en vue de trouver des solutions pour sauver l’entreprise.

C’est le premier conseil que nous avons donné à nos clients réellement en difficulté et si malheureusement, nous ne trouvions pas de solution, nous avons déclenché des procédures d’alerte. Celles-ci ont cependant été relativement rares pendant la période de confinement parce que nous avons moins raisonné en termes de perspectives d’exploitation qu’en capacité de l’entreprise de faire face à ses dettes compte tenu des prêts qu’elle avait obtenus.

En définitive, le confinement a été une période difficile mais c’est maintenant, et dans les six prochains mois, que les problèmes vont émerger.

Vous pensez donc que le pire est devant nous ?

On s’aperçoit effectivement que la sortie du confinement est très difficile et que l’activité ne redémarre pas aussi rapidement qu’on le pensait. On a récemment eu des annonces en faveur du secteur automobile. Sur le plan régional, Airbus a de son côté également des difficultés… Bref, on comprend qu’on ne va pas repartir immédiatement. Dès lors, dans le cadre de notre mission, tous les clients que nous avons contactés vont faire l’objet d’un suivi pendant les mois à venir, de façon à voir s’ils ont vraiment des possibilités de s’en sortir. Compte tenu du gel des cessations de paiements, il est important de les suivre au moins jusqu’au 23 août, puisque, comme nous l’avons dit tout à l’heure, jusqu’au 23 août, ils ont la possibilité de demander le bénéfice d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation. Après cette date, on retrouvera les procédures de prévention des difficultés classiques. Cependant, il est clair qu’il

sera très difficile pour les entreprises de rembourser les PGE. L’activité risque effectivement de ne pas reprendre avant la fin de l’année, aux alentours d’octobre ou novembre, au moment où les entreprises devront recommencer à rembourser les prêts qu’elles avaient décalés. Et six mois après, elles devront choisir, s’agissant cette fois du PGE, un remboursement immédiat ou sur cinq ans. Sachant que les entreprises ont en général des rentabilités relativement faibles, de l’ordre de 1 à 2 %, qu’elles avaient déjà des trésoreries tendues, pour celles qui ont sollicité le maximum auquel elles pouvaient prétendre, à savoir un quart de chiffre d’affaires, il sera très difficile de rembourser ces PGE dans des conditions classiques. Nous sommes donc loin d’être sortis de cette crise et il y aura très certainement beaucoup d’entreprises qui ne pourront pas faire face.

Parlons maintenant de la réforme qui a touché les commissaires aux comptes. Depuis l’adoption de la loi Pacte, qui a relevé les seuils de l’audit légal obligatoire, la profession tente de rebondir. Où en êtes-vous ?

La profession avait mis en place toute une stratégie pour essayer de revenir vers nos clients après que la loi Pacte a supprimé le commissariat aux comptes dans les entreprises en dessous de certains seuils, à savoir  4 M€ de bilan, 8 M€ de chiffre d’affaires et 50 salariés. Si les entreprises sont constituées en groupe et que ce dernier dépasse ces seuils, il faut en revanche nommer un commissaire aux comptes.

Cette stratégie comportait un volet communication vis-à-vis de nos clients et un volet formation pour nos confrères. Il est clair que la crise sanitaire ne nous aide pas parce qu’il est devenu difficile de rencontrer nos clients. Or pour leur proposer les nouvelles missions créées par la loi Pacte, et notamment l’audit légal dans les petites entreprises (Alpe), il est préférable de les rencontrer pour leur en expliquer les avantages.

Quels sont ces bénéfices ?

Cette nouvelle mission comporte deux rapports. En premier lieu, un rapport de certification qui a la même valeur qu’auparavant et en second lieu, un rapport sur les risques financiers, comptables et de gestion, qui est un diagnostic de performance qui permet d’apporter une valeur ajoutée complémentaire à nos clients par rapport à leur secteur d’activité et au fonctionnement de l’entreprise.

Or toutes les démarches de communication que nous avions engagées à ce sujet sont malheureusement reportées à la rentrée, puisque ce n’est plus vraiment à l’ordre du jour.

La loi Pacte vous a ouvert d’autres missions. Qu’en est- il?

Outre leur mission légale, les commissaires aux comptes peuvent effectivement mener des missions non légales. Ce sont des missions de diagnostic sur différentes problématiques comme la cybersécurité, le contrôle interne, les prévisionnels d’activité, etc.

Redoutez-vous l’effet combiné de la loi Pacte et de la crise du Covid-19 ?

Rappelons que cette réforme nous fait perdre 20 % de mandats par an pendant cinq ans. Elle touche de plein fouet les confrères qui avaient peu de mandats. Certains à l’issue de leur mandat n’iront pas plus loin. Ensuite, nous sommes indirectement touchés par la crise du Covid-19, puisque si nos clients disparaissent, nous perdons du chiffre d’affaires et certains cabinets risquent également de fermer.

Avez-vous chiffré l’ampleur des pertes que ces deux phénomènes conjugués pourraient engendrer ?

Non, c’est beaucoup trop tôt. Mais il n’y a pas de raison que nous soyons épargnés par la crise. Nous sommes des entreprises comme les autres.

*La procédure d’alerte est mise en œuvre par le commissaire aux comptes s’il constate l’existence de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. Il doit en informer le dirigeant puis, le cas échéant, le conseil d’administration. Si des mesures efficaces ne sont pas décidées pour améliorer la situation, il doit prévenir le président du tribunal de commerce ou du tribunal de grande instance, selon le cas. Un rapport spécial devra être communiqué à l’assemblée générale des actionnaires (source CNCC).

Jean-François Laffont: « C’est maintenant, et dans les six prochains mois, que les problèmes vont émerger »