Comment partir à la conquête de l’Amérique ?

New-York

Le forum Destination international a été l’occasion, le 26 novembre, de donner quelques conseils de prudence fondamentaux.

Qui n’a jamais rêvé de partir à la conquête des États-Unis ? Seulement voilà, le marché américain est aussi alléchant que riche en pièges et obstacles administratifs. Des entraves que, à l’occasion du forum Destination international qui se tenait au centre de congrès Pierre Baudis, l’avocate Juliette Esmenjaud de Thorelli & Associates et Hugues Retif, directeur des opérations du cabinet d’expertise comptable International Management Solutions (IMS), étaient venus présenter le 26 novembre. Pour Me Esmenjaud, dont le cabinet d’avocats est spécialisé dans la création et le soutien aux entreprises qui souhaitent s’installer ou négocier des contrats aux États-Unis, il faut prendre en compte avant tout les différences de culture juridique d’un bord à l’autre de l’océan Atlantique.

« Le droit américain est très jurisprudentiel : certes, il y a un code du commerce comme en France », mais aux États- Unis, les règles, simples au départ, « sont étoffées par la jurisprudence » là où, au contraire, dans notre pays, le code reste la source primaire du droit et donc offre une certaine sécurité juridique. Pénétrer le marché américain n’aura donc rien de simple : c’est pourquoi « dès le début de nos relations avec un client, nous lui disons qu’il est important de ne pas négliger [les aspects] de temps et de budget. On décourage même les clients qui n’auraient pas le temps nécessaire pour monter leur business aux États-Unis, car ils vont devoir y être assez souvent, au moins une fois tous les deux ou trois mois. Le manque d’engagement est ainsi la cause première d’échec », tout comme il faut garder à l’esprit, poursuit l’avocate, que « cela représente un budget », d’autant que « dès le début des négociations, les entreprises américaines font appel à des avocats. Contrairement à la France où on attend d’avoir un problème à cause d’un contrat hasardeux aux clauses peu claires, il est important d’avoir à ses côtés un avocat dès le départ pour créer un cadre de négociation et permet de le contrôler ». De toute manière, pour trouver son conseil, l’entrepreneur n’aura que l’embarras du choix : selon l’avocate, il n’y aurait ainsi, par exemple, pas moins de 3 500 avocats à Chicago, « et la moitié des avocats dans le monde seraient américains ! »

L’EMPIRE US… DU DROIT

La présence d’un avocat est d’autant plus recommandée qu’aux États-Unis, les entrepreneurs sont aussi friands de « contrats oraux », que Me Esmenjaud déconseille fortement pour lui préférer des « contrats écrits et détaillés, avec des clauses précises, car sinon, cela crée de la confusion qui part vite en contentieux. Et en moyenne, le contentieux coûte 50 K$ en frais d’avocat ! » Autre avantage de l’écrit, un premier contrat « rend plus difficile de renégocier à la baisse, de réécrire une clause ou d’en ajouter ». Enfin, conclut l’avocate, « assurez-vous que vous parlez au bon interlocuteur, car nous nous sommes aperçus que souvent, les négociations se font avec un manager qui se révèle n’avoir aucun pouvoir décisionnel, mais qui va vous promettre des choses ; et quand vous rencontrez la personne qui a le pouvoir, elle, d’engager sa société, celle-ci va vous dire tout autre chose ! » Petit conseil commercial, au passage : le marché américain des biens et services étant très concurrentiel, les interlocuteurs « privilégient généralement le prix à la qualité »… Quant à la création d’une structure aux États-Unis, comme une filiale – le Delaware s’étant fait une spécialité de la domiciliation – « elle est très simple, et prend entre deux et trois semaines », souligne Hugues Retif du cabinet IMS, « mais la question à se poser est : qu’est-ce que l’on met dans cette structure ? Lorsque celle-ci se développe, cela va créer des obligations fiscales, ce qui fait qu’il est important de pouvoir suivre de manière claire l’évolution de votre business pour anticiper les risques qui peuvent intervenir ». Il en va ainsi des « transactions inter-compagnies [entre la filiale et sa maison-mère] qui vont avoir un impact sur la fiscalité » ; sans oublier l’aspect humain de cette présence, puisque « le fait d’envoyer des expatriés peut coûter cher, non seulement financièrement, mais en efforts et en temps. L’expérience peut même être assez dévastatrice », Hugues Retif expliquant qu’il avait même assisté « à des divorces ! »

Outre la création d’une structure avec un recrutement local de collaborateurs, il existe évidemment la possibilité de faire de la croissance externe en acquérant une société américaine, « ce qui permet de démarrer tout de suite avec le bon personnel et les certifications » adéquates. Une solution que le directeur des opérations d’IMS semble recommander d’ailleurs, puisque « si vous cherchez une cible aux États-Unis, vous allez voir que les structures américaines ne sont pas aussi bien organisées et “belles” qu’en France ». D’où l’intérêt d’unir « une structure américaine très performante au niveau des ventes, et votre propre structure qui va amener votre technologie et votre organisation… Généralement, ça fait un bon mariage ! » Pour autant, pas de quoi séduire souvent les banques américaines, qui rechignent à investir dans une société n’ayant pas d’historique « à moins qu’il y ait un “collatéral” – autrement dit, une garantie financière sous forme d’actif – donc, autant obtenir les fonds de la maison-mère ! », sourit Hugues Retif.

Enfin, petite précision à l’intention des entreprises qui envisagent de vendre sur le marché américain à travers la plateforme Amazon : une nouvelle réglementation, entrée en vigueur en 2018, permet désormais aux États « de demander à Amazon des informations sur l’origine des marchandises – les coordonnées des vendeurs – et la valeur qui a été vendue ». De sorte dans chaque État américain, « cela peut créer des obligations fiscales en fonction du volume vendu », explique Hugues Retif, qui souligne que grâce au recoupement des informations, les autorités publiques peuvent « aller chercher les entreprises qui sont redevables d’une taxe dans leur état. Et ces États sont de plus en plus agressifs… »

De manière plus générale, l’entrepreneur qui commerce aux États-Unis verra rapidement émerger le mot de « nexus », « une notion très complexe qui concerne l’État où l’on se trouve – sachant que chaque État a sa propre fiscalité – et selon que l’on parle de taxe sur les ventes, sur les profits ou la propriété, s’il s’agit d’une transaction entre vendeur et consommateur final ou entre vendeur et revendeur, ou même selon le type de client, les organisations caritatives étant par exemple exemptes de taxes ». Au pire, quitte à vouloir faire fortune aux États-Unis, pourquoi ne pas envisager de devenir avocat ou expert-comptable ?