« Coller aux intérêts des chefs d’entreprise de PME et TPE »

François Asselin, président de la CPME. (Droits réservés)

De passage à Montpellier, le président de la CPME, François Asselin, revient sur l’actualité et évoque sa vision du syndicalisme patronal. Au programme : la loi Pacte, le calcul de la représentativité syndicale…

Votre mandat à la présidence de la CPME va s’achever. Quel est votre état d’esprit ?

J’arrive en effet à la fin de mon premier mandat. Ce furent cinq années extraordinaires de ma vie. En fait, c’est un très beau mandat. C’est à la fois altruiste et égoïste de ma part, parce que je me suis enrichi humainement d’une façon incroyable. Je sais d’où je viens et je sais où je retournerai après. Je n’ai pas de question existentielle, ni de question sur l’après. Les coups d’adrénaline pourraient me manquer, mais à la réflexion, la vie d’entrepreneur n’en manque pas. C’est même du service continu [rires].

Vous vous déplacez régulièrement pour aller à la rencontre des adhérents. Est-ce votre marque de fabrique ?

Je me déplace dans tous les territoires, donc je me déplace beaucoup. Un aller-retour par semaine, deux cette semaine, à Lyon et Montpellier. C’est toujours l’occasion pour moi d’aller à la rencontre des adhérents, de les écouter sur des questions très concrètes concernant la CPME, et comment on pourrait améliorer les choses ensemble. Je ne viens pas pour enseigner mais pour apprendre. Savoir comment vont les entreprises, ce qu’attendent les chefs d’entreprise et les adhérents de la CPME. Je suis un dirigeant comme celles et ceux qui viennent à ma rencontre. La légitimité de mon mandat vient d’eux. C’est aussi l’occasion de faire un tour d’horizon. Ce sont des femmes et des hommes qui s’engagent de façon désintéressée pour le bien commun, pour ce qui leur ressemble… Il faut les encourager. Et très sincèrement, je pense que notre syndicat a cette qualité militante dont, d’ailleurs, le pays a besoin.

Justement au sujet de la nation, et sans entrer dans un grand débat, quelle est votre analyse ?

Nous sommes, politiquement, à un vrai tournant du quinquennat. Nous avons exercé un virage avec François Hollande au moment de la mise en place de la politique de l’offre, en janvier 2013. Le constat ? Si le secteur marchand d’un pays ne s’en sort pas économiquement, le pays ne peut pas s’en sortir. Et le secteur marchand est composé à 99 % de TPE et de PME. Parfois on me dit, « vous avez un président et un gouvernement pro-business ». Mais, peut-on imaginer un président anti-entreprise ? Nous évoluons dans un monde globalisé, dans une économie de marché. Si l’on veut s’en sortir, nous sommes obligés d’accompagner, ou pour le moins de créer un environnement favorable aux entreprises et aux entrepreneurs. La richesse se crée dans l’entreprise. Il est donc, de fait, impossible d’avoir un exécutif anti-business. Après, évidemment, il faut faire de la politique, et la politique c’est faire des choix. Nous sommes à un moment où le président de la République va devoir poser des choix.

La Loi Pacte va être mise en place…

C’est plutôt un bon texte de loi, avec bien sûr quelques regrets, mais c’est la première loi où il n’y a pas de nouvelles obligations pour les entreprises ! C’est à souligner [rires]. Pour les bons aspects : l’abandon du forfait social est une excellente chose – il ne faut pas oublier que l’on revient à la situation d’origine. Comme quoi la fiscalité est une vraie maladie dans notre pays ! Le fait de gommer le seuil de 20 salariés est également une bonne nouvelle, et l’établissement d’une période de cinq ans avant que les obligations du franchissement de seuil ne s’appliquent également, sauf que – et cela, pas grand-monde ne l’a vu – pour le CSE c’est un an ! On est donc resté très timide sur ce point. Nous aurions également aimé voir remonter le seuil de 50 salariés, car il est extrêmement compliqué à franchir. Mais il y a une petite chose qui nous embête davantage dans cette loi, c’est l’objet social de l’entreprise. Sur le fond, nous sommes tous d’accord. La CPME a d’ailleurs signé une délibération sociale au RSE il y a quelques années. Mais sur la méthode, nous sommes réservés, parce que l’on craint à terme, à travers peut-être – malheureusement – une jurisprudence, que les acteurs économiques de ce pays soient exposés de façon inutile. L’entreprise se doit déjà de respecter ces normes. Mais demain, cela ira bien au-delà. N’importe quel quidam pourra, au titre de « avez-vous respecté l’objet social de votre entreprise ? », ester en justice en demandant de prouver le bon respect de l’objet social. Et là, ce sera compliqué. L’entreprise risque de se retrouver en situation inconfortable, surtout la petite entreprise. Car comment le prouver, même si l’on répond aux exigences de la loi ? Cela va au-delà de la loi. On s’écarte du bon sens.

La question du rôle de l’État et de ses services soulève une attente forte…

C’est vrai. Et pour autant, alors qu’en cas de complication au sein de l’entreprise, il faut vite redresser la barre, on assiste à un exécutif qui depuis plus de quarante ans n’est pas arrivé à équilibrer un seul budget, avec chaque année un rapport critique de la Cour des comptes… Et rien ne se passe ! Imaginez dans une entreprise, si l’on ne respecte pas l’avis de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes… Le chef d’entreprise n’a en fait pas le choix. Nous attendons donc de l’orthodoxie budgétaire et que l’on sache dire aux Français les choses telles qu’elles sont, et les raccrocher au principe de réalité. Si l’on veut promettre une retraite aux générations d’actifs actuelles et celles à venir, il faudra peut-être travailler un petit plus longtemps en moyenne. En 1981, la France des 65 ans était-elle plus anxiogène que la France de 2019 ? En 2000, la France des 39 heures était-elle plus anxiogène que celle des 35 heures ? Si tout simplement, pour avoir une retraite décente, il faut travailler un petit peu plus pour être sûr de l’avoir, est-ce grave ? Si l’on regarde à l’échelle de la planète, combien de peuples connaissent le mot retraite ? Mais j’en conviens, il n’y a pas de réponse simpliste à des problèmes aussi complexes.

Autre sujet, le calcul de la représentativité en fin d’année vous préoccupe-t-il ?

Nous sommes le premier syndicat patronal le plus représentatif dans le champ des TPE-PME. C’est indéniable.

Mais pas en nombre de salariés…

Effectivement. Si vous regardez la cartographie des entreprises françaises, en France, 5 000 entreprises représentent la moitié des salariés de l’Hexagone. Ce sont les grandes entreprises qui ne sont pas adhérentes à la CPME. Ce contingent apporte à peu près six millions de salariés au Medef. Nous faisons à peu près trois millions de salariés. Sur notre champ de compétences, si l’on peut dire, nous sommes très représentatifs. Pour la représentativité, je suis très serein. Il semble que les choses ont très bien été organisées.

C’est-à-dire ?

Que ce soit sous les gouvernements de gauche ou de droite, les choses ont été faites pour que, quoi qu’il arrive, le Medef reste toujours premier. À partir du moment où un ministre de gauche, François Rebsamen à l’époque, est revenu sur un décret – ce qui n’est pas rien – pour rebasculer la représentativité en nombre de salariés, le message était signé : il faut laisser les grands équilibres en place. Sachant que vous avez le Medef des champs et le Medef des villes. Aux champs, ce sont les entrepreneurs qui sont réellement sur le terrain, mais c’est le syndicat des villes qui pèse dans la balance. À la CPME, on ne connaît pas de grands écarts. Globalement, nos ressortissants et nos adhérents sont des patrons patrimoniaux. Nous n’avons aucune difficulté à faire la synthèse. Et j’arrive même dans des branches professionnelles qui peuvent parfois avoir des intérêts divergents, à avoir des débats vraiment sereins et à trouver des solutions parce que ce sont tous des chefs d’entreprise animés par la même vision de l’entreprise. J’ai plutôt, de ce point de vue, un mandat solide, intéressant, enrichissant. Je n’ai jamais de grands écarts à faire entre les intérêts des uns et des autres. Globalement, ça fonctionne plutôt pas mal. Et puis, est-ce si grave que nous ne soyons pas le numéro un ? Je pense qu’aujourd’hui, il serait difficile au niveau interprofessionnel et dans le cadre d’une négociation, qu’une signature se fasse sans celle de la CPME. Ce serait extrêmement délicat. Sans être les leaders, on peut dire que notre syndicat patronal a conquis une sorte de minorité de blocage ou plutôt une minorité d’influence. Mon seul objectif est vraiment de coller aux intérêts des chefs d’entreprise de PME et de TPE. À travers ça, je pense aux artisans, aux commerçants… Ce sont aussi des chefs d’entreprise, ce sont ceux avec qui l’on vit tous les jours et qui rendent notre quotidien socialement et humainement viable.

La CPME et l’Europe ?

La CPME est plutôt pro-européenne. Nous sommes pour l’économie de marché. Toutefois, nous sommes aussi pour une concurrence loyale. C’est pourquoi nous nous sommes battus aussi âprement contre la fraude au détachement de salariés. Je ne veux pas que le « moins-disant » soit la variable d’ajustement. Les premiers qui en seront victimes, ce sont nos salariés, or nous tenons à nos salariés. Et puis on n’a pas envie de changer notre modèle économique. Avoir des entreprises factices, avec des gens venus de l’extérieur, n’est pas le modèle que l’on cherche à développer. Pour cela, nous avons besoin d’une Europe qui soit cohérente, d’une Europe qui ne nous déracine pas, mais qui, au contraire, consolide nos racines. Ce n’est pas du tout antinomique avec le fait de pouvoir s’ouvrir au monde. Parce que la France seule ne peut résister au bloc Amérique et au bloc Asie. Regardez le cas de l’extraterritorialité des États-Unis. Sans un pare-feu européen, la France seule ne pourra jamais lutter. Cela représente des enjeux colossaux qui, bien évidemment, nous dépassent. Ce qui est sûr, c’est que seule, la France n’a aucune chance d’y arriver, ensemble on a peut être l’espoir d’y arriver. Je préfère jouer la partie ensemble.

Recueilli par Daniel Croci, Hérault Juridique pour RésoHebdoEco.