Anne-Françoise CabanisCharleville au centre du monde

Anne-Françoise Cabanis estime que le festival a été professionnalisé et pérennisé.

À la tête du festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières depuis 2008, elle s’apprête à vivre sa sixième édition en tant que directrice artistique.

«Mes parents étaient des mordus de théâtre et j’ai vite baigné dans le milieu culturel. Ma mère qu’on appelait Anne-Marie d’Alger était pied noir et a fréquenté le conservatoire d’Alger. Mon père était professeur et marseillais d’origine. Ils ont passé leur vie dans des salles de spectacle et m’ont vite inoculé leur passion », se souvient Anne-Françoise Cabanis. « À l’âge de 8 ans, j’ai été bouleversée par le spectacle « On ne badine pas avec l’amour » d’Alfred de Musset joué la nuit dans un village du sud. La force de cette histoire et sa représentation m’ont littéralement transportées. C’est à cet instant que j’ai eu envie de transmettre cette passion à d’autres. Que beaucoup de gens puissent accéder à cette sublimation. Ce fut un moment moteur de ce que j’ai entrepris par la suite », assure l’actuelle directrice du Festival mondial de marionnettes de Charleville-Mézières.

Anne-Françoise Cabanis est née à Paris où elle a passé sa scolarité aux Collège et Lycée Montaigne avant d’entamer des études à La Sorbonne Nouvelle. Dans les années 80 et 90 après avoir été titulaire d’une licence et d’une maîtrise d’études théâtrales de l’université de Paris III, Anne-Françoise entre dans le métier à travers des projets de culture populaire.

LE SPECTACLE POUR ENFANT À SES DÉBUTS

« J’ai commencé à faire du théâtre participatif avant de rejoindre la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Portée par cette mouvance, j’ai impulsé la création de spectacles dédiés à la petite enfance en étant chargée de production sur les actions culturelles et la programmation jeunesse de la scène nationale de la ferme du Buisson pendant une douzaine d’années ». En 1992, elle est à l’initiative du Festival Ricochets, le premier festival pour les tout-petits. « Ce fut une époque transcendante où on agitait et secouait les idées reçues ».

Par la suite, elle passe de l’autre côté du métier via la diffusion et la production. «J’ai organisé des tournées tout en élevant mes trois enfants. Ce milieu m’était presque naturel. J’ai fait ce que je voulais exactement faire. C’est ce qui m’a passionnée durant toute mon existence. Je voulais arriver à transcender la vie des gens par ce que je percevais. Apporter aux gens quelque chose d’humain, de sensible et d’intelligent en leur faisant découvrir de beaux spectacles ».

Marie-France Cabanis garde toujours une profonde affection pour le théâtre, la danse, les arts de la piste et la magie nouvelle. « Il faut toujours avoir une veille artistique et se tenir au courant des mutations de la production du spectacle vivant ».

PROFESSIONNALISER LE FESTIVAL

Et la marionnette alors ? « À Marne-la-Vallée, j’ai croisé tous ceux qui ont assuré le renouveau de cet art : Jean-Pierre Lescot, Amoros, Gentil, Monestier…. Et plus tard, j’ai jugé bon d’intégrer une structure ». Sans avoir eu de formation marionnettiste, elle devient directrice artistique des Giboulées de la marionnette au centre dramatique national de Strasbourg.

En 2008, elle postule comme directrice du festival mondial de Charleville-Mézières suite à un appel à candidature. Jacques Félix était décédé et il y avait des problèmes financiers et artistiques durant cette période intermédiaire. Si le festival était très vite monté en puissance, il commençait à battre de l’aile à un moment où la profession commençait à s’organiser et à avoir plus d’exigences techniques et artistiques.

« Les tutelles avaient la volonté de donner pour la première fois une orientation professionnelle au festival, on m’a demandé de remettre les choses à plat pour éviter sa disparition. À l’époque, les gens faisaient les comptes avec un crayon de papier. Moi qui avais eu une formation et un parcours dans une scène et un centre dramatique national, avec une structuration forte, un respect de la légalisation et une connaissance du management culturel, je me suis vite aperçue que ce festival était bâti sur du sable. On a donc retroussé les manches pour mettre en place un projet professionnel ».

Même dans la difficulté, cette Parisienne aux origines cévenoles a toujours cru au projet qu’elle a mené à bien. Elle a écrit une nouvelle page de l’histoire du festival. « Financièrement, on est toujours en équilibre, sans déficit. Grâce à une plus grande professionnalisation, on a rajeuni ce festival en lui redonnant une ligne artistique et réussi le passage à la biennalisation, rendue possible par l’offre artistique gigantesque de cet art en ébullition. On attire régulièrement 450 programmateurs et 160 000 personnes dans les rues et les salles. Car la valorisation du “in” n’a fait que renforcer le “off ” ».

4,5 MILLIONS D’EUROS DE RETOMBÉES ÉCONOMIQUES

Évènement fédérateur, le festival a pris une dimension internationale de haut niveau. Avant la vingtième édition, Anne-Françoise Cabanis mesure son impact. « On a assis ce festival sur une position forte, développé une image très positive tout en gardant l’accessibilité au plus grand nombre. C’est le fruit d’une médiation au quotidien avec 74 associations locales et une formation pointue de nos bénévoles pour l’accueil du public. On essaie ainsi d’infuser le monde de la marionnette partout. Doté d’un petit budget de 2,2 millions d’euros malgré l’énormité du travail titanesque fourni, ce festival fonctionne avec seulement cinq permanents, ce qui est ridiculement bas par rapport aux 4,5 millions d’euros de retombées économiques. La marionnette est un médium formidable. Par le festival, les Ardennes se sont ouvertes au monde tous les deux ans ».

La pérennité de l’évènement est désormais assurée. « Le festival est maintenant bien ancré ici. Il va y rester. Il n’y a plus de risque de délocalisation sauf à ce qu’une collectivité territoriale mette trois millions d’euros sur la table. Comme Aurillac pour le festival des arts de la rue, Charleville-Mézières est le cadre idéal et incontournable à une telle concentration. Mais, aujourd’hui, il faut réfléchir à un nouveau modèle car on a atteint un plafond dans cette configuration y compris au niveau de l’hébergement. Il faut imaginer des solutions et résoudre le manque de grands plateaux ».

Outre le Festival, il y a désormais tous les ans le J-365, une structuration solide avec l’Institut international, lieu de ressources et de recherches permanent, et l’école supérieure nationale des Arts de la marionnette créée en 1987 et qui, dans de nouveaux bâtiments, offre une formation avec à la clé un diplôme national supérieur d’acteurs marionnettistes sur un cursus de trois ans. Ces structures irriguent et renouvellent la discipline.

Par ailleurs, un projet de cité des Arts de la marionnette regroupant toutes ces structures est en gestation : « On soutient ainsi durablement les artistes ».

Parcours

1958 Naissance à Paris le 21 juin.
1975 Découverte du spectacle « L'Âge d'or » mis en scène par Ariane Mnouchkine.
1992 Organisation de la première bienale des Arts pour les enfants, à Marne-la-Vallée.
2008 Arrivée à Charleville-Mézières.
2019 Sixième édition à la tête du festival mondial des marionnettes.