CETA, l’onde de choc jusqu’au Grand Est

Les 14 000 exploitants bovins du Grand Est redoutent l'importation libre de viande qui fragilise leur équilibre de production et leur économie.

La ratification du CETA, fin juillet, a provoqué une vive inquiétude sur le paysage de l’agriculture française et a particulièrement impacté la Région Grand Est.

Le CETA fait trembler les éleveurs, les producteurs et les consommateurs. Et pour cause : ce programme de libre-échange que l’Assemblée Nationale vient d’autoriser annule les droits de douanes, à l’importation, avec le Canada, sur des quantités non négligeables de viande bovine, porcine, de volaille, mais aussi d’éthanol et de sucre.

Hervé Lapie, président de la Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA) de la Marne est particulièrement alarmé, à plusieurs égards : « Nous allons importer, sans frais de douane, 65 000 tonnes de viande bovine et 80 000 tonnes de viande porcine, soit 7% de la production française. Un contingent dont nous n’avons pas besoin et que nous sommes en mesure de produire, le cas échéant, en France, dans le respect de nos normes sanitaires », explique-t-il. En effet, la viande importée du Canada ne respecte pas les normes draconniennes de la France et plus globalement de l’Europe. Farine animale, antibiotiques… jusqu’à 46 substances actives autorisées outre-Atlantique et strictement interdites en France vont désormais faire le voyage jusque dans les assiettes hexagonales.

« Ce contingent d’importation n’est pas si conséquent que ça. Néanmoins, ce surplus de viande de moins bonne qualité va lourdement nous impacter économiquement : c’est une très mauvaise concurrence ». La production annuelle de viande bovine dans la région Grand Est est estimée à 150 000 tonnes, soit un peu plus du double du contingent prévu par le CETA. Avec un coût de production qui revient à 4€/kg et un coût de revente de 3,80€/kg, le marché de la viande bovine, en circuit court, local et régional, est déjà en équilibre précaire. Ajouter cette nouvelle concurrence du CETA introduit une économie à deux vitesses et pire encore : une consommation à deux vitesses.

CONSCIENTISER LES CONSOMMATEURS

Si 21% des consommateurs privilégient la production locale pour leur alimentation, 39% des consommateurs souhaitent connaître l’origine de leurs produits pour être rassurés quant à leur consommation. En ce qui concerne la viande, dans un rayon de grande distribution classique, 5% des produits seulement bénéficient d’une véritable traçabilité. Le reste échappe à la vigilance des consommateurs, à un moment ou à autre de la chaîne de production. « Nous comptons, dans la région, 50 000 exploitations agricoles et viticoles, précise Hervé Lapie. Nous sommes en mesure, logistiquement, quantitativement et qualitativement, d’honorer une économie locale et circulaire vertueuse ».

Le CETA dépose un caillou dans l’engrenage, en proposant à la grande distribution des produits de qualité discutable à des prix plus qu’attractifs. Un leurre et un « mensonge du Parlement » selon Hervé Lapie qui refuse le double discours. « Les populations les plus précaires vont subir, presque malgré eux, l’introduction dans leur alimentation de cette viande qui échappe à tout contrôle et toute vigilance. Plus que jamais, les consommateurs doivent se positionner et prendre conscience de leur acte d’achat. Dans la région Grand Est comme ailleurs, la concurrence des prix de la viande en magasin va être rude. Il ne faut pas se laisser leurrer ». La FDSEA milite d’ailleurs activement pour l’étiquetage obligatoire de l’origine des produits, avec le programme EAT Original.

L’ENDROIT ET L’ENVERS DU DÉCOR

Le CETA, au niveau national et régional, va donc engager de nombreuses distorsions en terme de production et de consommation. Hervé Lapie s’inquiète également de l’empreinte carbone de ces nouveaux échanges. « On nous parle de réchauffement climatique, de la nécessité de consommer en circuit court, mais on accepte de faire venir par avion de la viande non contrôlée dont nous n’avons clairement pas besoin localement », s’indigne-t-il. Ce manque de cohérence tend à persuader l’ensemble de la sphère agricole que les agriculteurs, éleveurs, producteurs, servent de bouclier et de monnaie d’échange pour une nouvelle stratégie économique vertueuse dans d’autres domaines. « Pour le champagne, par exemple, notre région a beaucoup à gagner avec le CETA. L’exportation libre est une très bonne nouvelle. Et c’est valable à l’échelle nationale pour l’industrie, l’aéronautique, etc., mais pour nous, il n’y a aucune valeur ajoutée », conlut Hervé Lapie. Pour les près de 14 000 exploitants bovins de la région Grand Est, la grogne et l’inquiétude ne font que commencer, en écho à celles des betteraviers. Tous attendent que le Sénat se prononce, à la rentrée.