« C’est dans l’ADN de l’entrepreneur de rebondir »

Philippe Wittwer

Philippe Wittwer est directeur général de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Marne en Champagne.

Philippe Wittwer, directeur général de la CCI Marne en Champagne livre son regard sur la crise sanitaire et dévoile les mesures de soutien mises en place par les CCI afin d’anticiper et surtout de contenir la seconde vague à venir, celle de la crise économique, qui selon les mots même du premier ministre Edouard Philippe, « ne fait que commencer ».

Quel état des lieux pouvons-nous faire sur la manière dont les entrepreneurs ont traversé la crise sanitaire ?

Philippe Wittwer : Au-delà du choc sanitaire et social, nous avons tous vécu quelque chose de totalement inédit, avec des situations auxquelles nous n’avions jamais été confrontés. Etre enfermé, craindre l’autre, être boqué et ne plus avoir de relations, c’est un choc incroyable qui a eu sa traduction économique dont on précise aujourd’hui les effets. Il y a donc eu la séquence du choc brutal, avec des mesures d’urgence pour éviter que tout s’écroule instantanément. Mais ces mesures n’ont permis que de maintenir les entreprises et rémunérations pour une période donnée. Beaucoup de moyens, d’énergie et de solidarité ont été déployés. Maintenant, c’est une deuxième phase qui s’amorce.

Comment peut-on qualifier cette deuxième étape ?

C’est le sujet de fond, pour faire une métaphore, on a maintenu les entreprises en vie. Mais comment vont-elles pouvoir survivre, maintenant qu’on est revenu à une certaine normalité de fonctionnement ? La menace démarre maintenant. Il y a des secteurs qui vont pouvoir se relever plus vite, mais sur le fond, la technique qui a consisté à décaler les charges, les loyers, les charges fiscales et sociales, à octroyer des prêts, ne sont que des décalages et des choses qu’il va falloir à un moment donné, payer. On va se retrouver dans l’immense majorité des cas où le chiffre d’affaires et les marges risquent d’être sérieusement amputées alors qu’il faudra aussi rattraper les charges qui auront été décalées, ce n’est pas évident. Pour beaucoup de secteurs, on sait que l’on ne va pas retrouver le niveau d’activité antérieur et on voit des entreprises qui ont certes survécu mais qui n’arrivent pas à repartir avec l’activité. Car les fournisseurs ne sont pas au rendez-vous, que les nouvelles mesures sanitaires impactent l’organisation même de leur structure ou qu’il n’y a plus de trésorerie… Pour les restaurateurs notamment, économiquement, beaucoup pensent ne pas pouvoir tourner avec des salles réduites de moitié, voire plus.

Aujourd’hui, les professionnels de tous secteurs disent que s’ils reprennent une activité à 25 ou même 50 %, ils ne pourront pas garder tous leurs salariés, il va y avoir des licenciements…

Oui. Il va falloir recoller la réalité avec la situation des entreprises. On voit quand même que les mesures de chômage partiel sont allongées, y compris en tenant compte des secteurs, sur la restauration il y a des choses favorables. Beaucoup de mesures sont faites pour atténuer l’impact mais c’est évident que l’État et les acteurs publics ne vont pas pouvoir continuer à soutenir sur une trop longue durée. Par ailleurs, nous avons une cellule d’aide, animée par des chefs d’entreprises qui ont traversé des difficultés et s’en sont relevés et qui agissent comme des conseils mais aussi des soutiens.

Quelle est la stratégie des CCI ?

Tout d’abord, les CCI n’ont ni la mission, ni les moyens d’intervenir financièrement ou d’imaginer des mesures financières de soutien. On est dans notre rôle d’accompagnement des entreprises et des territoires sur le développement, l’attractivité, la performance, et donc CCI France a ciblé les domaines sur lesquels elle peut intervenir et cela donne le manifeste qui vient d’être édité. Des propositions comme celle de mettre à disposition nos moyens d’études, de veille, d’anticipation puisqu’il faut rappeler qu’une CCI c’est avant tout une organisation d’entrepreneurs. On est en première ligne : on a été là pour répondre aux entreprises, pour chercher des solutions avec elles. Tous nos outils, observatoires, sondages, enquêtes, remontées du terrain constituent un élément global d’observation et d’analyse que nous proposons aux autorités. De façon hebdomadaire, il y a une rencontre avec le Ministre de l’Économie où nous faisons remonter aussi bien les informations et la data que le ressenti du terrain. On a pu faire remonter les observations et les « trous dans la raquette » qui ont fait l’objet de prises en compte. Dans « l’ancien monde » les corps intermédiaires étaient beaucoup critiqués, mais justement, c’est peut être un enseignement de cette crise de constater que ces corps intermédiaires se sont révélés non seulement utiles mais indispensables dans les remontées du terrain et les mises en place de stratégie sanitaire et politique, par rapport à des logiques centralisées. Nous l’avons vu avec la très grande réactivité du Président de la Région Grand Est, qui a été un élément moteur dans la gestion de cette crise au niveau régional et aujourd’hui, avec la création du business act, qui va remettre à plat la stratégie régionale de développement économique.

Des dispositifs particuliers vont-ils être mis en place dans cette logique d’accompagnement ?

Oui bien sûr, on travaille sur le volet opérationnel qui est double :

Tout d’abord celui de la sécurité au travail. Ce sujet est devenu extrêmement important compte tenu de ce qu’on vient de vivre. On a créé une plate-forme au départ, principalement sur le sujet des masques et gel hydroalcoolique, www.travaillerensecurite.fr mais maintenant, l’objectif est de l’étendre à d’autres aspects. Les documents uniques, les mesures d’hygiènes et sécurité, qui apparaissaient auparavant comme une tracasserie administrative, sont devenus des outils essentiels. Il faut donc des procédures claires et nous allons proposer toute une gamme de solutions d’assistance, de formation. Voilà concrètement, dans la logique service aux entreprises, notre offre.

Le deuxième volet consiste en une place de marché, un site de e-commerce pour que l’ensemble des commerces agricoles et métiers de bouche puissent disposer de boutiques en ligne avec des métiers associés et une logistique de point de collecte et de livraison. Quand on regarde ce que l’on vient de vivre, un des enseignements a été le retour et la révélation de sujets comme le retour à la proximité et aux circuits courts. Les gens ont véritablement vécu le besoin et l’intérêt du local, qui devenait quasiment vital. Pour en revenir à une vision plus politique, nous avons bien compris le préjudice qu’il pouvait y avoir à ne plus maitriser la proximité, sanitairement avec la production de masques. Sur le sujet de l’alimentation, la France est bien lotie car nous sommes un grand pays agro-alimentaire et la sauvegarde de nos producteurs est une nécessité.

Ces comportements de retour au local, vont-ils perdurer ?

Nous pensons que oui. La crise a agi comme un révélateur. Il y a eu la problématique des marchés qui ont fermé. Par la force des choses, soit les producteurs restaient chez eux, soit il fallait trouver d’autres solutions. On a vu apparaître la logique de drive, à proximité des marchés ou au sein même des exploitations. Ce sont les producteurs eux-mêmes qui nous disent que c’est bien, car c’est un service supplémentaire. Les marchés vont certes reprendre mais cette logique doit être gardée, car c’est la possibilité d’aller chercher du business additionnel. C’est le pari que nous faisons avec le site de e-commerce. Les professionnels ont bien compris l’opportunité à laquelle ils se sont mis par la force des choses.

Durant les premières semaines de confinement, la CCI a mis en place un site internet jesuisouvert à disposition des artisans et des consommateurs pour faire le lien entre eux et cibler ceux qui étaient encore en activité. Quelle a été la réponse à cette plateforme ?

Très bonne, car plus de 1 300 commerçants se sont mis sur la plateforme. Leurs informations comme leurs horaires d’ouverture, s’ils ont un site internet fait partie du socle sur lequel on s’appuie pour mettre en place le site de e-commerce en ligne. Cette crise a créé une vague destructrice, pour autant il faut essayer de prendre la vague et profiter de sa force pour en tirer un certain nombre de choses, d’enseignements.

Plus de 72 000 consommateurs se sont connectés à cette plateforme c’est pourquoi les commerçants y adhèrent.

Pour terminer, comment voyez-vous l’avenir ?

Ça va être difficile. Les entreprises qui n’allaient pas bien sont les toutes premières que l’on retrouve au tribunal de commerce, oui, ça commence. La restauration, l’habillement, sont des secteurs qui vont avoir du mal à s’en remettre. Néanmoins, la vague va passer, on va essayer de faire en sorte qu’un maximum d’entreprises qui ont une capacité à s’en sortir, soient dans les meilleures dispositions. Nous voulons aussi et surtout mettre l’accent sur l’offensif. Comment on construit ce qui est devant nous en prenant en compte la nouvelle réalité, avec ses effets néfastes mais aussi ses opportunités. Il y a un chemin, le but est de surmonter, de rebondir ailleurs, autrement, différemment. Et c’est aussi dans l’ADN de l’entrepreneur de savoir rebondir et se réinventer.