Germain HubyCe qu’il y a derrière…

Aussi loin qu’il s’en souvienne, Germain Huby a toujours voulu faire de la bande-dessinée. Son chemin artistique et professionnel l’a mené vers d’autres horizons mais il était convaincu qu’un jour ou l’autre, il y reviendrait. C’est aujourd’hui chose faite avec Le Bruit des mots. (Photo : Journal du Palais)

Artiste plasticien dijonnais, il vient de publier Le Bruit des mots, roman graphique beau et drôle qui s’inscrit dans la continuité du travail qu’il mène depuis plusieurs années : nous offrir la possibilité d’aller au-delà des apparences.

Une maison, dans un lieu indéfini. Pas de personnage visible, mais neuf bulles, traduction d’un dialogue que tient un couple à l’intérieur de la maison. En neuf bulles et une image, on découvre une situation mais aussi une jolie démonstration de mauvaise foi, la difficulté d’être en couple, et le tout est à la fois très beau et férocement drôle ! Ce que je viens de vous décrire est un fragment du Bruit des mots (*), album qui tient à la fois de la bande dessinée et de la succession de tableaux. Un ovni livresque que l’on doit à l’artiste plasticien dijonnais Germain Huby. L’ouvrage peut se percevoir comme une réflexion graphique sur notre perception du monde, alors que, comme sur la couverture, devant un paysage sublime de sérénité, nous nous préoccupons surtout du fait que nous n’avons pas de réseaux pour notre portable… Mais il nous offre surtout la singularité du regard que cet artiste porte sur ce qui l’environne. Un regard méticuleux et drôle. Germain Huby use avec talent du décalage, entre la beauté d’un paysage et la mesquinerie quelque fois terrible de nos comportements. Il y a aussi dans son dessin, fidèle à la fameuse « ligne claire » qui a fait les belles heures de Tintin ou de Blake et Mortimer quelque chose qui tient de la référence cinématographique, entre la sérénité et l’immobilité un peu loufoque du cinéaste finlandais Ari Kaurismäki, et puis le décalage, l’art du hors champ, cher à Jacques Tati.

DEUX ANS DE TRAVAIL

Un univers riche donc, et que l’Association Bourguignonne Culturelle (ABC) avait mis à l’honneur, début mai, à l’occasion du lancement de l’album, par le biais d’une exposition. De quoi donner l’envie d’en savoir plus sur Germain Huby. Artiste plasticien, il enseigne au sein de l’École nationale supérieure d’art et de design (Ensa) de Dijon, école sur les bancs de laquelle il est également passé pour en sortir diplômé. « Le Bruit des mots, explique-t-il, est le résultat de deux ans de travail un peu hybride, où le dessin a autant de place que les conversations. On est presque plus dans le roman graphique que dans la BD pure. Il présente un peu un état des lieux de notre société, il dit des choses de l’état de nos relations les uns aux autres, dans différents contextes. J’y aborde le couple, l’intimité, mais aussi la famille, l’école, l’enfance, le travail, le genre, l’environnement, le politique… Parfois, je dérive un peu vers la science-fiction, le fantastique, mais toujours avec l’idée de questionner nos comportements humains ».

L’importance des conversations qui sont en elles-mêmes des personnages du dessin de Germain Huby, est réelle. Parfois totalement imaginaires, elles sont aussi souvent inspirées d’échanges entendus et captés dans le quotidien. Des conversations qui disent beaucoup de nos imperfections, de nos lâchetés, petites et grandes, de notre désir de reconnaissance, ou du fait que nous sommes tous un peu des tyrans. L’univers médiatique, classique mais aussi plus alternatif, tels que les blogs spécialisés en BD, a réservé un très bon accueil à l’ouvrage et s’en fait largement l’écho, attiré par son caractère atypique. Si Le Bruit des mots fait penser, par certains aspects, au cinéma, c’est sans doute parce que la vidéo est un des médiums de prédilection pour Germain Huby. Il y a recours pour la réalisation d’œuvres artistiques mais il a aussi travaillé pour la télé, sur Arte et Canal +. « Pour Arte, j’ai réalisé un programme qui était intitulé Germain fait sa télé, où je jouais un personnage du quotidien qui ne s’exprimait qu’avec les voix des protagonistes de la télévision ». C’est ainsi qu’on pouvait, par exemple, assister à un petit déjeuner absolument surréaliste basé sur une émission de Thierry Ardisson recevant la chanteuse Lio. Un exercice à découvrir sur internet, hilarant. Une mise en perspective et un regard distancié sur l’univers télévisuel. Germain Huby y campe un personnage quelque peu possédé par la télévision que l’on va retrouver pendant 11 épisodes. « Le but de mon travail, poursuit Germain Huby, que ce soit dans ces programmes ou dans ma BD, c’est de révéler ce qui n’est pas forcément audible ou visible au premier abord, sans pour autant le livrer entièrement. C’est un moyen de dire au spectateur ou au lecteur qu’il faut rester réceptif, vigilant, éveillé. En télévision, il y a beaucoup de messages cachés derrière le spectaculaire. Travailler pour la télévision avait une vertu : cela me donnait un cadre, une durée. En revanche, avec l’image en mouvement, par définition, on ne peut pas s’arrêter. Avec Le Bruit des mots, j’ai trouvé le moyen d’exprimer cela par le biais d’une image fixe. C’est le moyen d’offrir au lecteur un espace de réflexion. Ma réflexion sur ce qui agit en arrière-plan ne change pas, mais avec l’image fixe, je laisse plus de temps au lecteur pour prendre conscience de cela ».

Chacun des dessins que l’on découvre dans Le Bruit des mots a été voulu par son créateur comme une petite pièce pour laquelle le lecteur devient un peu metteur en scène. Germain Huby aime l’idée de laisser une grande latitude d’interprétation à ce lecteur. « Le fait d’avoir des personnages parfois hors-champ permet à l’imaginaire de travailler encore plus ! Mon dessin, sous ses airs de simplicité, n’est en fait pas simple du tout. Le lecteur doit y trouver son mode d’emploi ». Une des constantes du travail de plasticien de Germain Huby, c’est de partir du réel, que ce soit des émissions de télévision existantes ou des paysages. « J’ai des obsessions de collectionneur, je pars du principe que tous les lieux où nous sommes sont un peu des décors de cinéma. J’accumule des images dont je m’inspire ou que je réutilise ».

Après avoir travaillé pour Arte, il est sollicité par Canal + qui avait repéré ce personnage atypique, lointain héritier des trouvailles télévisuelles d’un Jean-Christophe Averty dans les années soixante-dix. Germain Huby réalise alors un épisode hebdomadaire pour la chaîne cryptée, pendant deux ans. Il poursuit ensuite sa collaboration par le biais de réalisations diverses. « Mon rapport à la télé est resté prudent, admet- il, parce que cette dernière, même vis-à-vis de quelqu’un qui porte un regard critique sur elle, aura tendance à vouloir le récupérer pour s’en faire un allié. On m’a proposé de participer à des émissions qui ne me correspondaient pas… ». Germain Huby est alors revenu à des choses plus confidentielles, telles que des installations vidéo. Allez voir Rosae Venenosae sur internet, un montage d’images vidéo extraites de concours de beauté qui met en scène, dans une accumulation sidérante le visage de reines de beauté lorsqu’elles apprennent leur victoire. Le moment prend une intensité dramatique inattendue, on a presque l’impression que certaines sont foudroyées par l’annonce mais, là encore, Germain Huby parvient à nous faire toucher du doigt ce que la superficialité de ces instants dissimule. Les sourires se rompent et certaines deviennent alors presque laides ! « C’est une manière de montrer que la tyrannie de la beauté fait énormément de mal à nos sociétés… ». Encore une fois, c’est montrer ce qu’il y a derrière…

Le Bruit des mots, paru aux éditions du Tripode, 96 pages, 16 euros.

Parcours

1973 Naissance le 22 novembre à Auxerre.
1995 Participe à différents festivals avec ses premières productions vidéos.
2000 Arte lui propose de participer à l'émission Die Nacht, une fois par mois.
2005 Il travaille pour Canal+ jusqu'en 2007.
2014 Certaines de ses créations vidéos sont diffusées dans le Zapping des 30 ans de Canal+.
2019 Parution de l'album Le Bruits des Mots.