Catherine Guinet : du pain et du lien

Avec neuf milliards de baguettes vendues chaque année en France, le pain reste un produit incontournable même avec le confinement.
Si les restrictions de circulation empêchent certains Français de se rendre dans leurs boulangeries, d’autres ont la chance d’être approvisionnés quotidiennement à domicile.

Comme le chant du coq qui réveille les habitants chaque matin, son coup de klaxon fait partie des choses qui n’ont pas changé depuis l’instauration du confinement général par le gouvernement le lundi 17 mars. Voilà vingt ans que Catherine Guinet, originaire de Montélimar (Auvergne-Rhône-Alpes) sillonne les petits villages alentours de la commune d’Arc-lès-Gray en Haute-Saône. Chaque matin, en plein hiver ou pendant la canicule, qu’il pleuve ou qu’il neige, elle se lève à l’aube pour rejoindre la Boulangerie L’Arcoise (le nom des habitantes d’Arc-lès-Gray, Ndlr) et remplir sa fourgonnette de croissants, brioches, pains et baguettes. « Ma tournée comporte cinq villages, je parcours une cinquantaine de kilomètres. En temps normal, j’ai environ 150 clients dont essentiellement des personnes âgées qui ne peuvent pas forcément se rendre à la boulangerie. Pour eux, ma tournée est indispensable. Avec le facteur, nous sommes généralement les seules personnes qu’ils rencontrent dans la journée, et ce même hors période de confinement. D’ailleurs, il m’arrive aussi de leur rendre de petits services comme par exemple leur acheter un carnet de timbres ou de les dépanner en leur ramenant une plaquette de beurre », affirme-t-elle.

Justement, c’est pour maintenir ce lien social et ces services de proximité, que cette mère de trois enfants n’a pas souhaité faire valoir son droit de retrait malgré une santé fragile et de vives inquiétudes. « J’ai vraiment peur du Coronavirus depuis qu’on entend parler de l’épidémie en Chine et je n’ai pas honte de l’avouer. » Peur de l’attraper, peur de le transmettre, à ses clients, à ses enfants, à ses proches. « Je pense au danger tous les jours au volant de mon camion entre chaque client. Mais, mes clients ont besoin de moi, je ne peux pas les laisser tomber. Ici, nous sommes en zone rurale, tout le monde n’est pas équipé en ordinateur, n’a pas accès à internet, nous servons également de relais pour notamment distribuer des attestations officielles de sortie et rappeler les gestes barrières. »

Si elle adore son métier, elle confie néanmoins s’y rendre de plus en plus avec la boule au ventre. « Nous n’avons pas de masques mais nous avons des gants, une main pour donner le pain, l’autre pour réceptionner la monnaie mais, est-ce suffisant ? ». Elle précise : « Depuis quelques jours, on incite les clients à nous régler les achats plus tard pour éviter de manipuler de l’argent liquide. Et puis, c’est devenu triste car je ne croise pratiquement plus personne. Mes clients laissent des sacs à pain sur leurs portes, moi, je dépose leurs commandes et je poursuis ma tournée. Alors qu’avant, on prenait le temps de bavarder… ». Des changements suite à la prise de mesures pour endiguer l’épidémie de coronavirus, elle en constate : « Depuis l’annonce de la fermeture des établissements scolaires, c’est la folie. Les gens ont peur. On tourne à plein régime avec une production de pain presque triplée. Nos clients achètent plus de baguettes que d’habitude pour les congeler et puis, quand il faut nourrir des enfants tous les jours, même le midi alors qu’ils sont généralement à la cantine, forcément, les besoins augmentent. En une semaine, j’ai également noté une hausse des clients, dix pour cent en plus. » Amère, elle concède : « Tout a changé. Désormais, même pour récupérer une baguette devant chez eux, les clients doivent montrer patte blanche et présenter une attestation aux forces de l’ordre qui contrôlent ».

Si la plupart de ses clients lui témoignent de la gratitude et du soutien, d’autres font preuve d’incivisme. Une réaction qui la choque : « Certes, les soignants sont en première ligne, mais nous sommes juste derrière. Certains clients s’inquiètent beaucoup pour moi, d’autres sont moins compréhensifs. Quand j’annonce à un client qu’il ne me reste plus que des gros pains alors qu’il a l’habitude de prendre une ficelle et qu’il est désagréable, j’ai envie de répondre qu’on a du pain, c’est déjà bien. Pendant la guerre, il n’y en avait pas, il ne faut pas l’oublier. » Elle rassure : « Le boulanger a augmenté sa production. Avec mes deux autres collègues, Christine et Nathalie, qui vendent elles aussi en tournée, nous emportons plus de marchandise pour satisfaire le plus grand nombre, même si, nous sommes moralement et physiquement épuisées en raison de l’angoisse et des nombreuses précautions que nous prenons ».