Baux commerciaux : loyers impayés et manquement à l’obligation de délivrance à l’épreuve de la fermeture administrative pour cause de Covid

Il est impératif que les bailleurs et preneurs échangent d’ores et déjà sur les modalités de sortie de crise sanitaire et anticipent les contentieux judiciaires par la négociation, faute de voir leur recours judiciaire réduit à néant au titre de la mauvaise foi.

En application de l’article 1719 du Code Civil, le bailleur est obligé de délivrer au preneur la chose louée. Cela signifie que le bailleur met à la disposition du preneur, pendant toute la durée du bail, des locaux conformes à leur destination contractuelle, dans lesquels il est en mesure d’exercer l’activité prévue par le bail, et lui permet d’en jouir paisiblement. En contrepartie, le preneur est tenu de payer le loyer convenu en application de l’article 1728 du Code Civil.

Les articles 1217 et 1219 du Code civil disposent qu’une partie peut refuser d’exécuter l’obligation contractuellement mise à sa charge si son cocontractant n’exécute pas son obligation, et si cette inexécution est suffisamment grave.

Dans une affaire récemment soumise à l’appréciation du Tribunal Judiciaire de Paris, un preneur avait soulevé l’exception d’inexécution et le manquement à l’obligation de délivrance constitués par la fermeture administrative des locaux exploités pour se décharger de son obligation à paiement des loyers.

OBLIGATION DE DÉLIVRANCE

Il convient de préciser que la délivrance de locaux conformes permettant l’exercice de l’activité commerciale prévue au bail relève de la nature même du bail et constitue une obligation de résultat. Cette obligation de délivrance s’applique tout au long du bail et ne s’arrête pas à la signature du contrat, de telle sorte que l’évolution des normes constitue une charge pour le bailleur qui doit garantir la jouissance et notamment procéder aux travaux de mise en conformité si les règles évoluent à ce titre.

On citera notamment un arrêt de la 3° chambre Civile de la Cour de Cassation du 10 septembre 2020 concernant l’amiante : La Cour d’appel avait apprécié l’obligation de délivrance du bailleur à la date de la conclusion du bail et rejeté la demande du preneur qui avait soulevé l’exception d’inexécution pour se décharger de l’obligation de payer le loyer au regard de la présence d’amiante dans les locaux loués au-delà du seuil sanitaire fixé par des dispositions légales entrées en vigueur postérieurement au bail. La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Grenoble le 28 juin 2018 en rappelant qu’il incombe au bailleur de délivrer un local conforme à sa destination contractuelle tout au long du contrat ; ce qui suppose de mettre aux normes les locaux par la mise en œuvre d’un désamiantage dans la mesure où les seuils sanitaires fixés postérieurement à la conclusion du bail étaient inférieurs aux mesures prises dans les locaux loués :

« En statuant ainsi, en appréciant la conformité du local à la réglementation seulement à la date de la conclusion du bail alors qu’il incombe au bailleur de délivrer un local conforme à sa destination contractuelle tout au long de l’exécution du contrat, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Dans le cadre de la décision commentée, le preneur a imaginé pouvoir se soustraire à son obligation de paiement des loyers en raison de l’interdiction administrative d’ouverture imposée à toutes sortes de commerce (restaurants, bars, théâtres, cinémas, etc…) qualifiée de manquement à l’obligation de délivrance imputable au bailleur.

L’EXCEPTION D’INÉXÉCUTION N’EST PAS OPPOSABLE AU BAILLEUR

Le Tribunal de Commerce de Lyon avait débouté le preneur de ce moyen aux termes d’un jugement du 17 novembre 2020.

« L’exception d’inexécution n’est pas opposable au bailleur, la fermeture administrative n’est pas en lien avec un manquement du bailleur qui aurait rendu le local inexploitable au regard de l’activité prévue au bail ».

Ce moyen a depuis été évoqué avec succès devant le Juge de l’Exécution du Tribunal Judiciaire de Paris le 20 janvier 2021 : « L’impossibilité juridique survenue en cours de bail d’exploiter les lieux loués, résultant d’une décision des pouvoirs publics de fermer certains commerces en raison de l’épidémie de covid-19, est assimilable à la situation envisagée par l’article 1722 du Code civil, relatif à la perte de la chose louée, laquelle a pour effet de libérer le preneur de l’obligation de payer le loyer tant qu’il ne peut jouir de la chose louée, peu important à cet égard la clause de non responsabilité invoquée par le bailleur. »

Mais il s’agissait là d’une mesure d’exécution forcée contrée et non d’une décision visant à décharger le preneur de son obligation de payer le loyer à partir de la reprise autorisée de son activité.

Il semblerait que le Tribunal Judiciaire de PARIS ait cherché à rendre une décision visant à calmer les errances judiciaires annoncées. En effet, le 25 février 2021, le Tribunal Judiciaire de Paris rejette ce moyen argué en dehors d’une mesure d’exécution forcée et diffuse de surcroît un communiqué daté du même jour (une première dans le cadre judiciaire !) pour en affirmer toute la force du raisonnement :

« L’article 1719 du Code civil relatif à l’obligation de délivrance du bailleur n’a pas pour effet d’obliger le bailleur à garantir au preneur la chalandise des lieux loués et la stabilité du cadre normatif, dans lequel s’exerce son activité ; Dès lors, le locataire ne contestant pas que les locaux lui permettent d’exercer l’activité à laquelle ils sont contractuellement destinés, et le trouble de jouissance, dont il se prévaut, du fait de la fermeture administrative de son commerce, entre le 15 mars et le 11 mai 2020, imposée par les mesures législatives et réglementaires de lutte contre la propagation de l’épidémie de la covid-19, n’étant pas garanti par la bailleresse, le locataire n’est pas fondé à exciper, au soutien de sa demande de restitution des loyers payés sur cette période, de l’inexécution par le bailleur, pendant cette même période, de ses obligations de délivrer les locaux loués et de garantir leur jouissance paisible. »

ANTICIPATION DES CONTENTIEUX

Les preneurs ne sont donc plus enclins à soulever le manquement à l’obligation de délivrance et restent redevables des loyers fixés pendant la période de fermeture administrative.

Ce dernier jugement constitue certainement une première pierre aux débats judiciaires à venir devant la Cour d’Appel, voir la Cour de Cassation. Il importe dès lors de rester attentif à la suite de cet épisode judiciaire qui opposera immanquablement bailleurs et preneurs.

La diffusion d’un communiqué rédigé par la juridiction le même jour vise certainement à affirmer fermement la position judiciaire que l’on voudrait voir adopter par les parties dans les multiples batailles judiciaires à venir entre bailleurs et preneurs de locaux commerciaux ; l’institution cherchant manifestement à restreindre les nombreuses saisines à venir.

Et c’est là que cette décision donne un élément clé pour anticiper ces nombreux contentieux, affirmant haut et fort l’appréciation de la bonne foi dans le cadre de la relation contractuelle des baux commerciaux, invitant les parties à envisager au préalable une négociation de la sortie de crise dans un cadre de bonne foi.

La juridiction affirme en effet que les parties doivent exécuter le contrat de bonne foi (principe découlant de l’article 1104 du Code Civil applicable à toutes relations contractuelles) et précise qu’en cas de circonstances exceptionnelles, elles doivent adapter les modalités de leurs obligations respectives ; ce qui suppose en l’espèce que le bailleur doit faire des propositions d’aménagement du paiement du loyer… et que le preneur doit y répondre.

En l’espèce, le preneur n’avait pas donné suite à des propositions d’aménagement reçues du bailleur… il est donc condamné à payer l’intégralité des loyers sur la période de confinement.

Cette décision rappelle que les parties sont tenues d’échanger de bonne foi, ce qui n’est certes pas nouveau, en tirant des conséquences sévères à l’encontre du contractant qui n’aurait pas donné suite à une proposition d’aménagement.

Il est donc impératif que les bailleurs et preneurs échangent d’ores et déjà sur les modalités de sortie de crise sanitaire et anticipent les contentieux judiciaires par la négociation, faute de voir leur recours judiciaire réduit à néant au titre de la mauvaise foi.

Ces négociations à initier permettront dès lors aux parties de tenter d’éviter les errements judiciaires et les incertitudes des décisions à venir s’agissant de la partie sur qui va peser les conséquences financières de la fermeture administrative des locaux concernés par les ordonnances dites COVID.

L’avocat est en mesure d’assister utilement les parties dans ces négociations et de préparer dans l’intérêt de toutes les parties le jour d’après COVID.

Me Virginie Bonnerot Avocat au Barreau de REIMS Avocat diplômé en Droit Des Contrats