Avec l’explosion du télétravail, nos réseaux tiendront-ils ?

Une des conséquences du cloisonnement lié au Covid-19 est sans conteste la montée en puissance du recours au télétravail. Nous avons interrogé plusieurs acteurs du monde des réseaux et des télécommunications pour faire le point sur les contours de cette situation inédite.

Le Journal du palais. Tout d’abord, dites-nous si, à votre niveau, l’épidémie à bouleversé votre activité : y-a-t-il eu une augmentation des demandes d’interventions ? Réseau saturé, question sur la sécurité des données…

Nicolas Guillaume, pdg de Netalis, opérateur de solutions numériques B2B, basé à Besançon. Cela n’a rien changé sur l’exploitation du réseau Netalis, tout au plus nous avons décalé tout ce qui n’était pas urgent et nous nous concentrons sur les demandes de nos clients (création notamment de réseau privé virtuel, permettant de créer un lien direct entre des ordinateurs distants) auprès de notre support technique basé à Besançon et en télétravail désormais. Nos interconnexions sont très largement surdimensionnées dans toute la région pour rejoindre notre cœur de réseau à Lyon et Paris. Nous avons sensibilisé nos clients à la protection des données en télétravail, notamment en lien avec les guides édités par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) que l’on trouve sur son site.

Florine Sutorius de la direction de la communication d’Orange Grand Nord Est. La capacité des réseaux a bien tenu, en particulier pour l’internet, la TV malgré une croissance des usages. Le trafic voix mobile a fortement augmenté et a été multiplié par deux, tout comme la visioconférence et on estime que le volume des messageries internet comme WhatsApp a été multiplié par cinq. Cette forte hausse est liée pour l’essentiel à un report important du trafic habituellement fixe vers le mobile. Depuis le 16 mars, nous observons un trafic soutenu sur la data mobile et fixe mais qui reste inférieur à la charge que notre réseau est habitué à supporter lors d’évènements à très forte audience (match de foot à grande visibilité, Game of Thrones…).

Jérôme Richard, directeur général de Réseau Concept à Dijon. La situation sanitaire a peu modifié notre activité, dans la mesure où tous nos clients étaient en capacité de télétravailler sur les serveurs hébergés et infogérés dans nos centres informatiques. Pour la plupart, des collaborateurs télétravaillaient déjà de leur domicile, de chez leurs propres clients, pendant leur déplacement… Tout était prêt pour déployer le télétravail à toute ou partie des entreprises clientes. Nos deux principales fonctions ont été de : généraliser ces accès à distance sécurisés et de les monitorer.

Depuis la mise en place du confinement, nous enregistrons une augmentation (très) faible de la consommation de nos ressources, de quelques pourcents, dans la mesure où le nombre d’utilisateurs varie très peu. D’autre part, dans le cadre de notre plan de continuité d’activité, nous augmentons nos ressources dès que leur utilisation dépasse les 35 % de leur capacité. Actuellement, nous en sommes très loin. De même, durant cette période critique, nous sommes considérés comme un Opérateur d’importance vitale (OIV) et à ce titre nous pourrions bénéficier de ressources supplémentaires en priorité. Ce qu’à ce stade nous n’avons pas sollicité. Sur la question de la sécurité, depuis la création de l’entreprise, en 1995, nous appliquons les référentiels métiers I.T.I.L. et ISO 27001 afin de protéger l’exploitation de l’informatique de nos clients. Depuis l’entrée en vigueur du confinement, nous avons enregistré une multiplication des tentatives d’intrusion et de perturbation de nos services. Nos équipes veillent et nous préservons l’intégrité de nos centres informatiques et de l’exploitation de nos clients.

Avec les contraintes de distanciation, comment intervenez-vous, le pouvez-vous encore ?

Florine Sutorius. Orange souhaite prioriser ses interventions techniques pour servir l’intérêt général et le bon fonctionnement des services publics (hôpitaux, service de santé, collectivités locales, services d’urgence…) et des personnes isolées et fragiles. D’une manière générale, on s’efforce d’abord d’intervenir sur le réseau, en ligne, pour diminuer la nécessité de contacts avec les clients, puis le technicien appelle le client pour s’assurer du bon rétablissement. S’il s’avère nécessaire d’aller chez les clients, la décision est prise au cas par cas avec le manager. Un appel préalable du client permet d’évaluer les risques et d’informer le client des mesures d’intervention en sécurité et d’obtenir l’accord du client. Après évaluation du risque, les techniciens peuvent utiliser un masque anti-projections (dit de type «chirurgical»), pour eux même et pour le client s’il n’en est pas lui-même doté. Sur sites spécifiques ou clients prioritaires, le technicien est équipé d’EPI (masque de protection respiratoire individuel de type FFP2 et lunettes), ou d’EPI fournis par l’entité qui le reçoit sur place vu lors de l’appel préalable.

Nicolas Guillaume. En réalité, la plupart de nos interventions habituelles se font toutes à distances sur nos équipements. Les interventions sur nos équipements télécoms structurants sont à ce stade gelées et reprendront une fois la crise terminée. Si nos fibres optiques venaient à être touchées par un incident, malgré l’arrêt de chantiers de BTP, nous serions néanmoins tout à fait en mesure d’intervenir dans un délai raisonnable.

Jérôme Richard. Nos équipes techniques interviennent à 99% à distance toute au long de l’année, 24 heures/24 et 7 jours/7.

Sur la sécurité liée au télétravail, quels conseils pouvez-vous donner, quelles mesures doivent-être prises ?

Nicolas Guillaume. Les entreprises doivent responsabiliser les usages comme dans n’importe quelle situation de mobilité. Cela passe par l’utilisation d’un VPN, un strict contrôle des usages sur le PC professionnel dans le respect réglementaire, et là encore, par la prise de connaissance des guides édités gratuitement par l’ANSSI pour avoir une excellente hygiène de sécurité informatique.

Jérôme Richard. En plus de l’indispensable réseau VPN, la sécurité, en particulier au télétravail, passe ensuite et principalement par l’application de mesures de bon sens, par exemple ne jamais communiquer son mot de passe, ne jamais ouvrir un courriel suspect, d’une personne étrangère…

Florine Sutorius. Pour bien organiser ses connexions depuis chez soi, voici quelques conseils à retrouver sur https://bienvivreledigital.orange.fr/vie-perso/les-gestes-simples-pour-optimiser-sa-connexion-durant-le-confinement

Sinon, pas d’inquiétude pour nos clients s’ils doivent télétravailler ou bien passer plus de temps à la maison et regarder davantage de contenus durant la journée, notre réseau est dimensionné pour tenir la charge. Nous leur conseillons néanmoins de privilégier la connexion Wifi.

Le cloud est-ce la solution la plus fiable, est-ce la seule ? Quid des réseaux locaux, de la redondance ?

Nicolas Guillaume. Le Cloud est de toute évidence une formidable réponse à cette crise. Lorsque les équipes informatiques ne sont plus en mesure de maintenir physiquement dans l’entreprise des équipements, elles peuvent contrôler en revanche des applicatifs hébergés à distance ou leurs infrastructures situées dans des data centers qui gèrent bien cette crise. L’externalisation informatique et le Cloud vont connaître un boom ces prochains mois de toute évidence ! Mais il faudra des liaisons télécoms performantes dans l’entreprise et à domicile aussi pour se connecter à ces outils, la demande de nos clients va en ce sens incluant de fortes garanties de service. Les télécoms ne seront enfin plus le parent pauvre des budgets des entreprises et cette crise démontre l’intérêt de réseaux d’opérateurs fiables et performants.

Jérôme Richard. Le cloud ne répond que partiellement aux besoins de l’entreprise, car il concerne essentiellement les fichiers individuels et communs. De nombreuses applications, logiciels, ne sont pas encore accessibles dans le Cloud. Dans ce cas, il est nécessaire d’utiliser un accès à distance (TSE, RDP, Citrix…) pour les utiliser sur les serveurs de l’entreprise. Quand à la redeondance, elle est essentielle : Réseau Concept est connecté simultanément chez trois opérateurs, Orange et deux autres, ce qui permet lorsque l’un d’entre eux connait des difficultés d’utiliser les deux autres.

Sur la saturation des réseaux, y-a-t-il un vrai risque ?

Jérôme Richard. Sur les réseaux professionnels, non. Sur le réseau grand public, nous avons constaté des saturations depuis le début de cette crise sanitaire. Par exemple, nous avons remarqué qu’il était parfois impossible de contacter un interlocuteur par téléphone ou que la bande passante de sa connexion personnelle fibre optique ou de sa connexion 4G était quasiment nulle certain dimanche après-midi. Cette situation peut être pénalisant pour les télétravailleurs situés à domicile et qui utilisent essentiellement ce réseau grand public.

Nicolas Guillaume. Pour un opérateur comme Netalis orienté exclusivement sur le marché B2B, la question ne se pose pas : toutes les interconnexions sont prêtes pour encaisser d’importantes charges de trafic vers toutes les destinations »internet ». Nous ne maîtrisons pas en revanche la sortie de notre réseau si des serveurs d’hébergement sont saturés. Nous savons que chez des grands opérateurs, des problèmes sont apparus de façon très localisée.

Florine Sutorius. Le réseau ne s’affaiblit pas, même s’il est très sollicité. À noter que le réseau mobile est très utilisé en cette période exceptionnelle et peut parfois rencontrer des difficultés mais il n’y a pas de dysfonctionnement général et il suffit de réitérer un appel en cas de besoin. Enfin, il faut privilégier le wifi plutôt qu’à la 4G afin de ne pas trop solliciter les bornes locales.