Automobile : 2020, année du diesel ?

Benjamin BUSSON et Francis BARTHOLOME

Francis Bartholomé, président du Conseil national pour les professions de l’automobile était l’invité fil rouge du débat animé par Benjamin Busson, rédacteur en chef des Petites Affiches Matot Braine.

Les invités du Club ForumEco ont débattu, en présence de Francis Bartholomé, président du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA) des nombreux sujets connexes à celui de le la voiture : économie, emploi, formation, transition énergétique, fiscalité… Les angles d’approche ne manquaient pas.

Après avoir connu une grave crise, en 2008-2009, l’industrie de l’automobile s’est vaillamment relevée et connaît depuis cinq ans environ une bonne croissance : les constructeurs automobiles ont mis en service au total 2,2 millions de voitures neuves l’an dernier en France.

410 000 SALARIÉS DANS LE SECTEUR

« Lors de la crise de 2009, il y a eu une relance forte de la part de l’État, notamment à l’initiative de Luc Chatel, alors secrétaire d’État chargé de l’Industrie et de la consommation. Cette crise a marqué profondément le marché car l’ensemble des professionnels n’avait pas renouvelé les contrats de formation professionnelle. On a senti pendant quelques années, beaucoup de difficultés dans la capacité à générer de l’emploi », relate Francis Bartholomé, président du Conseil national des professions de l’automobile, organisme qui représente pas moins de 135 000 entreprises et 410 000 salariés, soit un des premiers secteurs de l’économie française.

Si la filière est repartie à la hausse, elle rencontre néanmoins aujourd’hui, comme la majorité des secteurs de l’industrie, des problèmes de recrutement. « Il y a des professionnels qui arrêtent leur activité, car ils n’ont pas assez de salariés. » Ce sont pourtant 60 000 jeunes qui sont formés chaque année aux métiers de l’automobile. « Le sujet est aujourd’hui de séduire et de promouvoir l’attractivité de la filière, on a des métiers qui méritent qu’on les mette en avant. » Car l’automobile est une filière d’emploi avec plus de 72% de salariés en CDI. « Au niveau national, on considère qu’il nous manque à peu près 30 000 personnes », souligne Francis Bartholomé. « Il nous manque en premier lieu des carrossiers en ce qui concerne la branche des véhicules industriels, même si on se donne les moyens de financer nous-même les formations dont on a besoin. »

Le problème, selon le président du CNPA, n’est donc pas tant la formation que le recrutement. « On a créé cette année, des cellules de recrutement. On a par exemple fait appel à Autorecrute.» Dans les organismes de formation interprofessionnels, comme Alméa, le principal frein au recrutement est le manque de communication des métiers de la filière. « L’image de l’automobile est à moderniser. Il y a un problème d’image de l’apprentissage et de l’automobile en général. Les organismes de formation sont en conséquence soumis à la concurrence, avec l’Éducation nationale, mais aussi avec les marques. Il y a aussi, les soucis de mobilité des jeunes et de proximité des formations avec les entreprises partenaires », insiste la directrice d’Alméa, Corinne Grosse. C’est pourquoi, l’approche globale, avec les collectivités et les institutions reste primordiale pour Francis Bartholomé.

Les métiers de l’automobile sont aussi en pleine mutation, avec l’arrivée de « nouvelles plates-formes cannibales concernant les auto-écoles », pointe le président du CNPA. Les auto-écoles représentent un coût non négligeable pour les apprentis- conducteurs, laissant la place à de nouvelles offres, dématérialisées et moins onéreuses. « Ce qu’on oublie, c’est que lorsqu’on baisse les coûts on perd aussi de l’emploi. Ces plates-formes ont des travailleurs indépendants et payent moins de charges qu’une auto-école qui emploie des salariés. On a vu Uber avec les taxis, aujourd’hui on voit ça avec les GAFA qui sont aux portes de nos affaires. »

METTRE LE SERVICE AU COEUR DES PROPOSITIONS

Pour voir les choses positivement, Francis Bartholomé reconnaît que cette nouvelle concurrence pousse les professionnels à se réinventer et à s’améliorer. « Pour les métiers de services, au delà de nos syndicats, la meilleure défense est de s’adresser directement aux clients, à travers le service que l’on propose. »

Des idées sont à l’étude pour permettre au consommateur de s’y retrouver dans les différentes offres, comme « pourquoi pas un guide Michelin des professionnels qui seraient notés selon leurs services », prenant en exemple les Taxi G7 parisiens, qui face au bulldozer Uber « ont été obligés de revoir leur façon de fonctionner. Il faut être irréprochable dans la qualité de service. »

Il faut dire que l’automobile, dans le contexte actuel de soucis de l’environnement mais aussi politique, avec la campagne des élections municipales, est un véritable enjeu. Un phénomène de carbashing a ainsi vu le jour. « Le comportement des consommateurs évolue car aujourd’hui beaucoup utilisent des voitures de société. Dans les années 90, deux achats sur trois étaient des achats coup de cœur. Aujourd’hui, c’est un sur trois. Dans les grandes agglomérations, entre le trafic et la pollution aux particules fines, le diesel est devenu la nouvelle cible, et, le diesel-gate avec Volkswagen n’a pas arrangé les choses. »

Devant l’importance des questions de mobilité, le Conseil national des professions de l’automobile a édité un Livre blanc et propose 34 solutions. « Le CNPA appelle de ses vœux un dialogue avec l’ensemble des décideurs publics pour venir compléter ce travail, en débattre et rechercher collectivement les solutions permettant de répondre de manière adaptée à l’ensemble des enjeux et des défis de notre société. C’est par une pluralité des solutions, par l’innovation, l’incitation que nous ferons évoluer les comportements des usages pour une mobilité raisonnée et responsable », est il indiqué en préambule de l’ouvrage. « Il y a un droit pour tous à la mobilité, et nous insistons sur le fait que nous ne voulons pas plus de voiture mais mieux de voiture », signale Francis Bartholomé. Le but est donc de réfléchir sur les différentes innovations automobiles, développer les voitures décarbonées, électriques ou à hydrogène mais aussi supprimer petit à petit les véhicules les plus polluants. « La prime à la conversion marchait bien et faisait marcher toute une filière, mais pour des raisons budgétaires, elle a été stoppée », regrette le chef de fil des métiers de l’automobile.

LA R&D POUR TROUVER DES SOLUTIONS

Et à rebours de l’ambiance générale, Francis Bartholomé prédit 2020 « comme l’année du diesel ». « Il faut bien voir qu’entre un véhicule essence et un diesel, il y a 20 à 30 % d’écart de consommation. Et avec les filtres dernière génération, on élimine 97 à 98 % de particules fines. » Car pour beaucoup, l’électrique a encore de nombreux freins, dont l’autonomie, le prix mais aussi la problématique du recyclage des batteries au lithium. « Rouler avec 700 kg de batterie pour 450 km d’autonomie, il y a encore beaucoup à faire pour arriver à une voiture optimale.» Quant aux voitures à hydrogène, si elles peuvent parcourir 650 km sans recharge, elles coûtent très cher à produire. La clé réside alors dans la recherche et le développement des biocarburants. « Pour produire de l’éthanol, on a beaucoup moins d’impact que pour produire de l’essence », souligne Yvon le Henaff, président du pôle IAR. « Diester industrie sort aussi un carburant à 85 % de dérivé d’huile végétale ». Le pôle IAR a aussi signé un pacte avec le président de la Région, « qui a annoncé qu’il faisait cadeau pratiquement des boîtiers flexibles à qui veut, c’est un geste fort à l’heure actuelle. » Il y a donc un aspect aussi bien environnemental qu’économique.

« On sent qu’il y a des solutions techniques mais qu’on avance en fonction de la fiscalité », déplore Christian Brethon, responsable du Medef et de l’UIMM Marne. « On a la technique mais il y a aussi les questions de bonus malus », acquiesce Francis Bartholomé, pour qui « l’État a faussé les règles du jeu en commençant à augmenter considérablement les malus dont la captation n’allait pas dans un équilibre vers les bonus mais allait vers le budget de l’État ! »Pour les constructeurs, ces évolutions relèvent du casse-tête. « On n’est plus sur des malus à 2 000 euros mais 12 000, donc nous, concessionnaires, nous stockons des véhicules que les clients vont acheter au Luxembourg ! » tempête Mohamed Nedati, concessionnaire de l’enseigne Motors Légend à Epernay. « Je vends des véhicules de plus de 50 CV, soumis d’office à 8000 euros de taxe que la voiture ait 15 ans ou pas. » Les marges des concessionnaires se sont fortement réduites et doivent répercuter sur le financement. « Est ce que c’est au vendeur de voitures de faire des financements ? », s’interroge-t-il par ailleurs. « Nous avons largement de quoi répondre à une évolution du parc roulant, car l’automobile rapporte 75 milliards d’euros par an, à l’État ! » rappelle Francis Bartholomé.

Yvon le Henaff, Président du pôle IAR « Pour produire de l'éthanol, on a beaucoup moins d'impact que pour produire de l'essence »

Mohamed Nedati, Dirigeant de Motors Legend « On n’est plus sur des malus à 2 000 mais 12 000 euros »

Christian BRETON, Président du MEDEF Marne « On sent qu'il y a des solutions techniques mais qu'on avance en fonction de la fiscalité »

Corinne Grosse, Responsable d’Alméa formation « L’image de l’automobile est à moderniser, il y a un problème d’image de l’apprentissage »