Autisme : former le marché de l’emploi

Gabrielle Blinet, directrice générale de Specialisterne.

Specialisterne, acteur mondial sur l’inclusion professionnelle des personnes autistes, qui vient de s’installer à Toulouse, déploie une méthode de recrutement atypique.

Inclure davantage dans le marché du travail des salariés neuroatypiques reste une question sensible en France. Tandis que dans certains pays, l’emploi des personnes autistes progresse – en exemple, sur 2 000 personnes autistes en Angleterre, 15 % avaient un emploi à temps plein rémunéré en 2015 – dans l’Hexagone, en 2021, le chantier n’en est encore qu’à ses balbutiements. De fait, sur 650 000 personnes touchées par le spectre de l’autisme, soit 1 % de la population, le taux de chômage atteint 90 %. Or, si 30 % d’entre elles ne peuvent pas vivre de manière autonome, 70 % peuvent travailler dans un milieu ordinaire.

Face à ce constat et à la non-valorisation de l’apport des personnes autistes dans le système économique, la mission de Spécialisterne, acteur mondial de l’inclusion professionnelle des personnes autistes, installé depuis mars dans le quartier de Compans Caffarelli, est double : créer des opportunités d’emploi pour les personnes autistes et mettre en lumière leur avantage concurrentiel. « Leur particularité cognitive représente une source de richesse pour l’entreprise, relève Gabrielle Blinet, directrice générale et cofondatrice de Specialisterne France, figure active de la neurodiversité, au côté de Pascale Marchal basée, elle, à Paris.

AVANTAGE COMPÉTITIF

À la question de savoir ce qui peut faciliter l’intégration des personnes autistes sur le marché de l’emploi, Gabrielle Blinet répond sans détour : « L’objectif est de ne pas aller dans les discours préconçus, le chemin de pensée habituel des chefs d’entreprises qui réfléchissent beaucoup en termes de compensation et voient nécessairement une personne autiste comme un élément qui ralentit l’activité du groupe. Au contraire, si on mélange des personnes autistes et non autistes, ça peut être une plus-value pour les équipes. Par exemple, cela fluidifie la communication du groupe car les collègues doivent supprimer l’implicite de leur communication et s’exprimer clairement ». Aussi, l’autisme peut apporter un réel avantage compétitif. « En intégrant des autistes dans son équipe, l’aéroport de Copenhague a augmenté son taux de détection d’objets dangereux dans les bagages grâce à leurs pensées visuelles », souligne la directrice.

Specialisterne joue ainsi un rôle d’intermédiaire pour mettre le pied à l’étrier des futurs salariés neuroatypiques. « Nous agissons comme un cabinet de recrutement. Les entreprises qui souhaitent avoir un axe RSE consacré à la diversité cognitive font appel à notre service. Nous évaluons pour eux des personnes autistes correspondant à un poste comme l’informatique, la comptabilité, l’administratif, etc. » Pour trouver les talents, ces deux femmes s’appuient sur leur réseau tels que des associations de famille, des associations d’adultes autistes, le secteur de l’emploi, l’enseignement supérieur et les réseaux sociaux. Nonobstant, c’est un travail de longue haleine.

MÉTHODE DE RECRUTEMENT DÉPOSÉE

L’entretien traditionnel centré davantage sur la motivation, où le candidat est également jugé sur sa capacité à communiquer, n’est pas adapté aux personnes neuroatypiques qui ne parviennent pas à se mettre en avant. « C’est ce qui explique en partie un taux de chômage très élevé. C’est pourquoi, nous utilisons une méthode de recrutement particulière pour évaluer les forces des personnes autistes ». Le duo a ainsi vocation à déployer sur le territoire national et plus largement francophone un modèle de recrutement qui fait le succès et la renommée de Specialisterne, créée au Danemark en 2004, et qui réunit 12 autres antennes réparties sur les cinq continents. La méthode, développée initialement par le fondateur Thorkil Sonne, propose une approche spécifique qui se déroule sur plusieurs semaines. « Il s’agit dans un premier temps de bien comprendre l’environnement, en termes d’exigences du poste et des interactions sociales, puis d’identifier les candidats potentiels. Ensuite, nous évaluons les compétences avec un ensemble d’exercices concrets espacés sur plusieurs semaines qui permet d’identifier les compétences techniques et les habilités sociales comme la gestion du stress, les frustrations, les réactions lors d’imprévus. S’ensuit la sensibilisation des futurs collègues et managers car chaque personne autiste est différente selon son âge, son sexe, etc. Enfin, nous mettons en place un suivi avec un job coach que ce soit pour le salarié ou l’employeur », détaille-t-elle.

Depuis 2004, l’ensemble du réseau a recruté 10 000 per-onnes autistes dans le monde entier pour des grands groupes tels Danone, KPMG, le secteur des banques et assurances, etc., « essentiellement en CDI, avec un taux de maintien dans l’emploi qui atteint 95 % ».

L’antenne toulousaine, qui a bénéficié d’un soutien financier du Crédit Coopératif, de France Active, du fonds d’investissement Inco et de la Société coopérative de développement et d’entraide – mais dont le montant reste secret –, établit actuellement différents devis pour de grands groupes dans les secteurs aéronautique, spatial, technologique, etc. Elle délivre aussi diverses formations destinées aux étudiants qui représentent un vivier de futurs managers. « Mon ancienne école d’ingénieurs, l’Enseeiht, a été notre premier client. Nous avons permis à 400 étudiants de mieux comprendre la neurodiversité au travail ». Quid du choix de la Ville rose ? « J’y vis depuis 10 ans, et en tant que créatrice de la série de vidéos La Beauté de la neurodiversité au travail, je sais que les dirigeants toulousains sont ouverts à la question. »

L’équipe devrait s’agrandir d’ici un an principalement avec des profils de job coach « qui nécessitent de bien connaître le milieu de l’autisme et celui de l’entreprise ». Les dirigeants pourront ainsi bénéficier d’un savoir-faire avant-gardiste sur ce secteur de niche. « Si les choses progressent, il faut cependant continuer à mettre des mots justes sur l’autisme, à sensibiliser tous les publics pour changer la donne et, en parallèle, mieux accompagner les personnes neuroatypiques. En termes de scolarisation, seulement 30 % des enfants autistes sont scolarisés en France contre 80 % au Canada. Beaucoup de progrès restent à faire », conclut-elle.