Élu en janvier 2017 président national des Dirigeants commerciaux de France, Jean Muller porte le projet Horizon 2020 de transformation de la fonction commerciale. Celui qui est aussi le directeur général délégué commerce et développement de JC Decaux en détaille les perspectives et attentes.
La transformation de la fonction commerciale est à la base de votre projet et de votre action à la tête du mouvement des DCF…
Toutes les entreprises sont aujourd’hui mobilisées et concentrées sur leur transformation digitale. Et chaque directeur commercial se demande comment adapter son approche commerciale et son cycle de vente aux nouveaux processus d’achat. La transformation commerciale est effectivement un sujet central ; la réussir est un enjeu pour chaque dirigeant. Nos membres souhaitent renforcer leur expertise ; voilà pourquoi nous avons cette exigence d’accompagner chacun dans cette mutation.
Comment répondre à la nécessité de développer ce que vous appelez l’intelligence commerciale ?
Par la recherche académique, l’enseignement et la formation. Ce jeudi 24 janvier – nous l’avions annoncé, mais cela devient une réalité, et c’est une première – les Dirigeants commerciaux de France créent une chaire d’études et de recherche. Le thème de cette chaire mise en place avec l’emLyon Business School est « la transformation de la fonction commerciale à l’ère du numérique ». Ou en le disant autrement : the future of sales. Des enseignants-chercheurs, en lien avec des directeurs commerciaux et en partenariat avec cinq grandes entreprises mécènes, vont approfondir ce sujet. Mais il y a d’autres objectifs qui mobilisent aujourd’hui les Dirigeants commerciaux de France, comme la valorisation de la fonction commerciale.
Cette valorisation passe par le lancement des DCF Awards ?
Nous fêterons en 2020 les 90 ans de notre mouvement. Les DCF Awards – Trophées de la performance commerciale – dont la première cérémonie nationale de remise des prix se tiendra à Paris à l’occasion de cet anniversaire, en seront le point d’orgue. La France souffre fortement d’un déficit de culture commerciale. Cela se traduit notamment par une méconnaissance de l’intérêt de nos métiers. 150 000 postes de commerciaux restent non pourvus chaque année dans notre pays. C’est un véritable drame économique et social. Ces emplois pourraient être une des réponses au chômage de masse que connaît la France et qui atteint 8,9 % – alors qu’en Allemagne, on est quasiment au plein-emploi, avec un taux inférieur à 4 % (3,3 %). Un autre chiffre qui nous différencie de nos voisins allemands est celui du déficit de notre commerce extérieur. Il dépasse les 65 Mds€, alors que l’Allemagne est en excédent budgétaire et exporte plus qu’elle n’importe. Cela s’explique en partie par ce déficit de culture commerciale. L’engagement du mouvement des DCF depuis 1930 – date de sa création – est de continuer à faire évoluer les mentalités. Une des missions de notre mouvement est de sensibiliser, d’alerter sur le rôle-clé de la fonction commerciale et de faire en sorte que nos métiers soient mieux connus et mieux valorisés.
Comment remédier à ce déficit d’image ?
Il y a malheureusement toujours des a priori. Peut-être un peu moins aujourd’hui qu’auparavant. Mais on peut relier les deux observations. D’un côté la transformation de la fonction commerciale et de l’autre côté sa valorisation. La façon dont on va développer et faire du commerce dans l’avenir doit permettre d’attirer les meilleurs talents. Le temps où il fallait pousser les produits est derrière nous. Aujourd’hui, vendre, c’est co-créer des solutions à forte valeur ajoutée. Nous sommes dans une autre démarche. Les transactions s’automatisent, le client a accès à toutes les sources d’information… On estime que lors d’une transaction, le client dispose, grâce à Internet, de 20 fois plus d’informations que son fournisseur ! La création de valeur se fait de plus en plus par le développement de services personnalisés. On constate des déplacements de la valeur des produits vers les services connexes, ce qui rend le métier beaucoup plus passionnant que par le passé.
C’est ce que vous définissez comme l’intelligence commerciale ?
L’intelligence commerciale (IC), c’est le leitmotiv des DCF. Il constitue la clé du succès pour que toute entreprise puisse réussir. L’intelligence commerciale est la conjugaison de trois compétences complémentaires et singulières. D’un côté l’expertise métier ; ce que l’on appelle le savoir. Le client a aujourd’hui accès à toutes les sources d’informations. Et le commercial doit maîtriser un haut niveau d’expertise. Il doit être le conseil d’un client expert. C’est indispensable. Le deuxième pilier de l’IC est le savoir-faire. Ce que nous appelons l’efficience opérationnelle. C’est l’ensemble des techniques et tous les processus de vente, qui sont malheureusement peu ou pas enseignés dans nos écoles et nos universités. Ils permettent pourtant de comprendre les marchés, d’être capable de les cibler, de les segmenter. J’y ajoute l’ensemble des techniques qui permettent d’adresser le client. C’est ce que l’on appelle le processus commercial, le processus de vente, le cycle de vente, duquel est bâti le processus de management. Ce sont des compétences spécifiques qu’il faut aujourd’hui maîtriser. Mais cela ne suffit pas. Il y a une dernière dimension qui, de mon point de vue, va prendre de plus en plus d’importance dans la relation commerciale : c’est l’intelligence émotionnelle. C’est-à-dire l’empathie, la capacité des commerciaux d’interagir et d’être en connexion avec le client. L’adjonction de ces trois compétences constitue l’intelligence commerciale qui, de mon point de vue, est aujourd’hui nécessaire et indispensable pour développer la performance des entreprises.
Cela passe par la formation des jeunes ?
Depuis toujours, les DCF sont mobilisés auprès des jeunes. Nous avons un protocole d’accord avec le ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Nous proposons chaque année depuis 57 ans le concours national de la commercialisation. Il vient d’être rebaptisé « DCF Challenge » pour coller à l’air du temps, avec une dynamique plus moderne. L’épreuve n’est plus individuelle mais collective. Elle intègre des serious games et fait appel aux nouvelles technologies. Ce challenge marque notre volonté de faire perdurer nos actions de sensibilisation auprès des lycéens et des étudiants.
Cette année, la finale est organisée au Cap d’Agde…
En effet, la finale nationale aura lieu en mai dans la station héraultaise. Pour notre mouvement, cette région – désormais Occitanie par la fusion de ses deux associations régionales Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées – a toujours été une région active pour les DCF. Il est aussi sympathique pour les étudiants qui concourent de se dire qu’ils auront l’opportunité de faire une finale au printemps dans une région de France attractive.
Avez-vous un constat sur l’impact du mouvement des gilets jaunes sur l’activité commerciale ?
Certaines entreprises sont bien sûr directement impactées par ce mouvement. S’il est trop tôt pour établir un bilan et tirer des conclusions précises, on peut mesurer avec ce conflit combien la France est un pays a-économique. 10 % seulement des Français bénéficient aujourd’hui d’un enseignement économique ! Nos entreprises sont des acteurs de la micro-économie — qui doit être mieux comprise, comme la macro-économie doit être mieux expliquée. Ainsi, nos concitoyens disposeraient d’une sensibilité sur les évolutions économiques beaucoup plus développée. Peut-être serait-on davantage unis pour faire face aux défis du monde qui nous entoure. Ce n’est pas la seule explication à cette crise, qui a également des origines variées, mais je pense qu’il est important de créer une connaissance collective de l’économie et des enjeux économiques qui sont devant nous et que nous devrons affronter, et qui peuvent aussi se révéler comme autant d’opportunités pour la France et ses citoyens. Les Dirigeants commerciaux de France – mouvement totalement apolitique composé par autant de chefs d’entreprise et d’entrepreneurs que de salariés – doivent porter un message positif. Bien sûr, cette crise nous inquiète, mais il faut aussi que l’on œuvre à une réconciliation. L’erreur serait d’opposer l’économique et le social. Ils vont de pair, on ne peut les opposer. Et l’on doit faire en sorte de créer les conditions économiques d’un bien-être social. Aux DCF, nous sommes des humanistes. C’est en cela que l’on espère que cette crise trouve un épilogue. Dans tous les cas, les DCF sont et seront comme toujours force de propositions.
Propos recueillis par Daniel Croci de L’Hérault Juridique & Économique pour RésoHebdoEco www.facebook.com/ resohebdoeco