Au 1er avril, le Brexit ne fera plus rire personne…

En créant son comité de pilotage du Brexit (Brexit Steering Committee), Adhex s’est doté d’un outil apte à rassurer ses clients.

Alors qu’on s’achemine vers une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord, difficile pour beaucoup d’entreprises d’anticiper la bonne attitude à adopter. À Chenôve, Adhex s’est confronté très tôt à un dossier d’une rare complexité, mais vital.

Il y a encore deux mois, personnes n’aurait imaginé un tel scénario. Pas même les Britanniques. C’est pourtant bien un « hard Brexit» (une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord) qui se dessine. Un vrai saut dans l’inconnu sur les deux rives de la Manche, une perspective face à laquelle beaucoup d’acteurs économiques oscillent entre flou total et accès de panique. L’anticipation n’a pas partout été de mise. Un reproche qu’on ne peut pas faire à Adhex. L’entreprise, basée à Chenôve, spécialiste des adhésifs et notamment très impliquée auprès de l’industrie automobile a mis en place, il y a déjà plusieurs mois, une cellule consacrée au Brexit (Brexit Steering Committee ou comité de pilotage du Brexit), à ses éventuelles conséquences, et aux moyens de les atténuer, en fonction de différents cas de figure. Une cellule qui, très clairement, s’est aujourd’hui positionnée dans la perspective d’un « hard Brexit ».

FORMALITÉS DOUANIÈRES

Pour comprendre les contraintes qui peuvent se poser à une entreprise telle que celle-ci, qui compte d’importants clients outre-Manche, et qui réalise 70 % de son chiffre d’affaires à l’export, il faut déjà aborder les choses sous l’angle des formalités douanières, comme le rappelle Isabelle Leu-Faugières, directrice des achats et administration des ventes au sein d’Adhex : « Depuis 2014, nous sommes certifiés Opérateur économique agréé (OEA) par les douanes. Cela nous confère un niveau d’expertise assez élevé, nous permet de gagner du temps, de l’argent. Nous travaillons pratiquement tous les jours avec la Direction régionale des douanes. Tout est parti de ce niveau d’expertise en interne. Très vite, à la mi-2018, nous avons compris que nous allions être impactés directement. On a vite perçu l’importance du flux douanier. Nous avons beaucoup de clients et de fournisseurs au Royaume-Uni. Aujourd’hui, nous faisons environ 10 déclarations douanières par jour. Nous nous sommes dit que le Brexit pouvait multiplier ce chiffre par trois. Si nous n’avions pas été certifiés OEA, nous n’aurions peut-être pas eu la même conscience du risque ». L’anticipation sur ces points est une donnée de base chez Adhex : l’entreprise est inscrite auprès des douanes dans tous les clubs d’expertise afin d’obtenir l’information sur les changements, le plus rapidement possible. L’administration des douanes a d’ailleurs mis sur pied un club Brexit auquel Adhex a rapidement adhéré.

« Notre priorité, poursuit Isabelle Leu-Faugières, avec notre Brexit Steering Committee, a été de réfléchir à la structuration de l’information et la coordination vers nos clients, de nos fournisseurs vers nous, et surtout de former nos équipes de commerciaux ». Ainsi, une fois par mois, le comité se réunit durant deux heures, avec la direction commerciale, les approvisionneurs, l’administration des ventes, la logistique. Un point est fait à chaque fois sur les évolutions politiques du Brexit et sur ce que ces évolutions impliquent. Et dieu sait si, ces dernières semaines, le dossier n’a pas été avare en revirements ! En novembre dernier Adhex, dans sa démarche anticipatrice, a été rattrapée par certains de ses clients, dont Nissan UK, qui a décidé de créer le même type de comité. Un point positif pour parler le même langage autour de cette problématique. Tous les jours, Adhex travaille avec ses clients et ses fournisseurs britanniques, sur la négociation de trois critères essentiels : l’Incoterm (voir encadré), les délais et le règlement Reach.

« Sur l’Incoterm aujourd’hui, poursuit la représentante d’Adhex, nous fonctionnons avec le Delivery at place (DAP) qui fait que nous payons tout jusqu’à la destination de la marchandise. Demain, en cas de « hard Brexit”, il y aura un bureau de douane, et on passerait donc sur un Incoterm de type Delivery duty paid (DDP), qu’on utilise déjà pour les livraisons hors UE. Cela signifie que nous prenons tout en charge jusqu’à la destination, mais qu’en plus s’ajoutent le paiement des taxes douanières et de l’avance de TVA. C’est ce qui risque fort d’arriver au 1er avril, à la sortie officielle du Royaume-Uni de l’UE. Les clients nous disent « pas de problème, vous allez nous livrer en DDP” mais ce n’est pas aussi simple. Adhex n’a pas de bureau au Royaume-Uni, pas de représentant fiscal sur place et nous ne pourrons donc pas avancer la TVA locale. Je dis donc aux client que nous devons renégocier ces Incoterms. Le contrat se trouve remis à plat… » Deux solutions se font jour : soit l’entreprise reste en DAP mais le client prend à sa charge l’avance de TVA, soit elle passe sur un autre Incoterm, dit Free Carrier (FCA) qui impose au client de venir chercher à Chenôve, siège d’Adhex, sa marchandise et Adhex ne prend alors en charge que les formalités douanières export. C’est la solution la moins compliquée dans le cadre d’un Brexit sans accord.

VERTIGE

Vous suivez toujours ? Face à cette situation et à la prise de conscience des nouvelles responsabilités qui vont leur incomber, certains clients ou fournisseurs britanniques sont pris d’un vertige, quand d’autres ne semblent pas encore avoir pris la mesure du bouleversement qui s’annonce. « On conseille d’ors et déjà à nos clients britanniques d’anticiper sur mars leurs besoins pour les deux premières semaines d’avril, car on s’attend à des blocages de transports. Certains gros transporteurs nous ont déjà averti qu’ils n’allaient pas prendre le risque d’avoir des camions bloqués plusieurs jours à la frontière sur cette période ». Le règlement européen Reach (Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques) est un autre critère à prendre en compte par Adhex dans le cadre d’un « hard Brexit ». Il recense des substances dont l’entrée est réglementée sur le territoire de l’UE. Elles doivent impérativement être enregistrées en cas d’introduction sur le territoire de l’Union. « Chacun de ces enregistrements coûte environ 200.000 euros, précise Isabelle Leu-Faugières. C’est un critère qui régule très fortement le marché chimique européen. Le Royaume-Uni était inclus dans Reach, nous avons dans ce pays de gros fournisseurs chimistes qui nous livrent tous les mois. Avec un « hard Brexit”, ces produits deviennent des importations, qui, du coup devront aussi se soumettre à l’obligation coûteuse d’enregistrement, sous peine d’interdiction d’entrée… C’est juste fou ! »

De ce fait, Adhex risque de voir se limiter son panel de fournisseurs et devra se tourner, à terme, vers d’autres chimistes situés sur le territoire de l’UE afin d’échapper à cette logique très coûteuse d’enregistrement. « On voit, à travers la question de Reach que le Brexit, c’est un peu la partie émergée de l’iceberg. En dessous, il y a toute une économie qui sera impactée ».

N’oubliez pas les Incoterms…

Incoterm est la contraction de l’expression anglaise International commercial terms. Ce terme désigne les obligations réciproques du vendeur et de l’acheteur dans le cadre d’un contrat d’achat/vente international. Ils sont mis en place tous les dix ans et ceux actuellement en vigueur datent de 2010. De nouveaux seront donc mis en place au 1er janvier 2020. Un facteur de changement supplémentaire à prendre en compte dans la dynamique du Brexit…