Argonne : la reconquête de la ruralité

Stéphane Betoulle, professeur à l’Université de Reims et directeur adjoint de SEBIO, a expliqué son projet de bilan écotoxicologique des étangs du domaine de Belval. (Photo : Agathe Cèbe)

En France, quinze Zones Ateliers labellisées par le CNRS portent une attention particulière au socio-système LTSER (Long Term Socio-Ecological Research). Une recherche sur le long terme pour répondre aux questions essentielles de l’écologie, des changements fondamentaux de la ruralité et de leurs enjeux sociétaux. L’Argonne souhaite en faire partie.

Plus que jamais, la recherche universitaire s’oriente vers une attention toute particulière au développement durable et aux territoires ruraux. À l’université de Reims Champagne-Ardenne, cette recherche se concentre sur quatre pôles : AEBB (Agro- sciences, Environnement, Bio-technologie et Bio-économie), sciences numériques de l’ingénieur, santé et sciences humaines et sociales. « Nous avons cette volonté de décloisonner la recherche », explique Olivier Dupéron, vice-président de l’Université de Reims, « Nous y mettons plus de moyens, nous dialoguons entre les disciplines, mais une question subsiste : où se situe la rencontre entre le territoire réel et le territoire institutionnel ? ». La recherche universitaire peut alors, dans cette optique, devenir un réel outil de politique publique du territoire. Ainsi, l’Argonne a rapidement convaincu les chercheurs par son environnement rural préservé et par son ouverture : « Nous avons pu co-construire ce projet en lien étroit avec les habitants », ajoute Olivier Aimont, président de l’association Argonne-PNR. Un travail participatif, donc, pour une étude de faisabilité soutenue et impliquée à de nombreux égards.

QUATRE PROJETS EN COURS

Dans le cadre de ce projet de Zone Atelier labellisée par le CNRS en Argonne, un groupe d’enseignants chercheurs ont montré leur intérêt commun pour ce territoire et ont ainsi souhaité structurer un travail commun. Avant de candidater officiellement en mars 2020, quatre projets ont été lancés sur le terrain et donnent déjà quelques directives de recherche particulièrement encourageantes. Le premier projet, mené par Stéphane Betoulle, professeur à l’Université de Reims et directeur adjoint de SEBIO (Stress Environnementaux et BIOsurveillance des milieux aquatiques), travaille sur un bilan écotoxicologique des étangs du domaine de Belval. Il s’agit d’évaluer les effets des changements globaux sur les écosystèmes aquatiques, à travers l’observation des phénomènes, des analyses par biopsies liquides et le développement d’outils d’investigation de la faune sauvage.

Le second, mené par Françoise Lasserre-Joulin, maître de conférences à l’Université de Lorraine et membre du LAE (Laboratoire Agronomie et Environnement), souhaite répondre à la problématique de la limitation des pesticides par la régulation naturelle des ravageurs de cultures dans l’écosystème. Le paysage de l’Argonne, par ses étendues de culture, permet une vaste investigation qui passe notamment par le renforcement de la biodiversité en zone agricole.

Le troisième projet est mené par Jon Marco Church, maître de conférences à l’Université de Reims et membre du centre de recherche en aménagement et géographie politique HABITER. Il travaille à l’amélioration de la gouvernance des régions environnementales. L’Argonne est, selon le chercheur, un exemple parfait « d’exploration de concepts politiques circulaires » : « le processus de gouvernance est indissociable d’un projet de Zone Atelier : il s’agit de faire des recherches, à notre échelle, pour améliorer le monde à plus grande échelle », explique-t-il. Un cercle vertueux fondamentalement entretenu par l’initiative en Argonne.

Enfin, le quatrième projet est mené par Rémi Helder, ingénieur de recherche à l’université de Reims et responsable du CERFE (Centre de Recherche et de Formation en Éco-éthologie) et interroge l’Argonne en tant que voie verte de la faune sauvage. Ce projet considère cette région naturelle comme une voie de déplacement majeure de la faune et donc comme un axe essentiel d’analyses pour observer la diversité génétique des espèces.

DES ENJEUX MULTIPLES

Au-delà de ces projets, de nombreuses actions et finalités transversales sont observées. La recherche des Zones Ateliers n’a pas vocation à tourner autour de leurs seuls sujets d’investigation. Il s’agit, en effet, d’intégrer les populations et les politiques publiques dans le processus. Avec en moyenne 10 habitants/km2, le territoire a dévoilé une population très impliquée dans la recherche, « notamment grâce à leur connaissance du terrain, en donnant l’autorisation d’entrer sur certaines parcelles privées et en collectant les échantillons à destination des laboratoires », énumère Rémi Helder.

Cet échange de savoirs intègre le cercle vertueux et éthique des Zones Ateliers, considérant que les questions ne peuvent avoir de réelle réponse sans construction conjointe des investigations et sans transfert des résultats d’analyse. « Nous accordons une importance majeure à la pérennité de l’observation, notamment par le stockage des échantillons, comme les biopsies liquides », explique Stéphane Betoulle. « Nous aimerions créer une bio-banque de données et d’échantillons, en partenariat avec le Centre de Ressources Biologiques de Champagne- Ardenne ».

UN AGENDA DE DÉFIS

Avec une date prévisionnelle de dépôt des candidatures auprès du CNRS fixée à mars 2020, la création de la Zone Atelier en Argonne a déjà mobilisé 40 enseignants- chercheurs autour de 14 disciplines différentes. Les quatre projets occupent une dizaine de laboratoires du Grand Est et cinq organismes de recherche travaillent en grande entente et en étroite collaboration. De nombreuses actions transversales sont aussi planifiées, comme des publications d’ouvrages collectifs ou des colloques, à l’instar de celui qui s’est déroulé le 4 septembre sur la Foire de Châlons et qui a réuni les principaux acteurs du projet au long cours. Parmi eux, des élus qui attendent de cette Zone Atelier une réaction aux grands changements climatiques, afin de faire de meilleurs choix politiques, notamment en agriculture, sur le long terme.

Véritablement enjoués par la solidarité et le travail en commun instauré par la Zone Atelier, élus, chefs d’entreprises locales et exploitants agricoles s’entendent sur la possibilité de raviver l’attractivité de certaines zones rurales vouées à disparaître. Des perspectives nouvelles, donc, et des échéances proches.

EN CHIFFRES : les zones ateliers CNRS en France

15 Zones Ateliers labellisées par le CNRS
13 en métropole
2 en outremer
1500 personnes impliquées
230 doctorants
120 établissements partenaires
309 projets financés