Alerte aux retards de paiement !

Alors que leur nombre explose, Christophe Nobilet, dirigeant de GESTION CREDIT EXPERT, société parmi les leaders français du recouvrement de créances et du conseil en credit management, fait le point sur la question.

Pour quelle raison le credit management est-il si important en cette période ?

Notre mission est d’augmenter la trésorerie des entreprises et de réduire leur risque de crédit clients. Nous sommes, en ce sens, un facilitateur de l’économie, l’huile dans les rouages en somme, notamment dans le domaine du crédit inter-entreprises. Lorsqu’une entreprise vend un produit ou un service et accorde des délais de règlement à 45 ou 60 jours, elle fait crédit à ses clients parce qu’elle a confiance en leur capacité, à terme, de payer leurs factures. Or, on voit bien que la crise a pour effet immédiat de geler une partie des paiements. C’est dramatique, parce que cela grippe un peu plus encore l’économie, puisque toute entreprise est dépendante à la fois de ses clients et de ses fournisseurs.

Que dites-vous à vos clients ?

Nous insistons sur la responsabilité sociétale de chaque agent économique et la nécessité d’honorer ses engagements, c’est-à-dire de payer ses factures, que cet agent soit un particulier, une entreprise privée ou publique, une association, etc. Si chaque agent économique honore ses engagements, alors l’économie sera un petit peu moins grippé et repartira un peu plus facilement quand la période de confinement sera terminée.

Vous redoutez l’effet domino sur l’ensemble de l’économie ?

Oui, et le gouvernement l’a bien compris, il a d’ailleurs mis en place un comité de crise sur les délais de paiements. Depuis un mois, on se rend compte en effet qu’un certain nombre d’entreprises protègent leur propre cash en arrêtant de payer leurs fournisseurs et ce faisant, elles précipitent les difficultés de ces derniers, parce que le cash, c’est l’oxygène des entreprises. Sans vouloir faire de mauvaise comparaison, les malades infectés par le virus ont besoin de plus d’oxygène que d’habitude, les plus atteints sont même placés sous respiration artificielle. Pour les entreprises, c’est la même chose. L’oxygène, c’est le crédit inter-entreprises qui doit fonctionner normalement, les entreprises doivent payer normalement leurs factures. C’est aussi le cas des particuliers qui doivent honorer leurs dettes. La respiration artificielle, ce sont les aides financières mises en place par l’État.

Celles-ci ne sont qu’un complément et ne doivent pas être utilisées comme un substitutif. En clair, ce n’est pas parce que les entreprises bénéficient d’une aide qu’elles peuvent se permettre de ne plus payer leurs fournisseurs. Au contraire, c’est parce qu’elles en bénéficient qu’elles peuvent honorer leurs engagements en accélérant éventuellement le paie- ment de leurs factures.

Que pensez-vous du plan de soutien de l’État ? Suffira-t-il ?

Les entreprises peuvent bénéficier d’aides financières pour pallier le manque à gagner induit par la baisse brutale d’activité, mais cela ne suffira pas. Il faut que les entreprises reprennent une activité normale, qu’elles paient leurs fournisseurs et se fassent payer par leurs clients. Le crédit inter-entreprises, en temps normal, représente près de 40 % du financement des entreprises en France contre deux tiers pour le crédit bancaire. C’est environ 600 milliards d’euros par an, c’est colossal. S’il n’y a plus cet apport très important de financement, nous irons vers des situations encore plus difficiles.

Parmi les mesures mises en place, le chômage partiel est une aide financière immédiate, puisque l’État rembourse 84 % des salaires nets aux entreprises qui maintiennent ainsi les emplois. C’est bien, mais cela a un effet pervers, dans la mesure où des entreprises qui pourraient maintenir un certain niveau d’activité sont finalement encouragées à mettre leurs salariés au chômage partiel pour bénéficier de cette aide financière immédiate.

L’autre levier mis en place par le gouvernement pour venir en aide aux entreprises, à l’exception du fonds de solidarité qui peut bénéficier aux indépendants et aux TPE, ce sont les prêts garantis par l’État (PGE). Autrement dit : des dettes. On propose aux entreprises de s’endetter pour faire face à une situation de manque à gagner. C’est un peu curieux ! Cela a également un effet pervers dans la mesure où, dans trois ou six mois, voire un an, les entreprises devront rembourser ces prêts. Or, les entreprises dont l’activité aura été très durement et durablement réduite auront des difficultés à rembourser cette dette. Il est donc probable que les mesures prises par le gouvernement ne suffiront pas et qu’un plan de relance succède au plan de sauvetage. Nombre d’entreprises, qui auront réussi à survivre à la crise sanitaire, ne connaîtront pas une reprise rapide et significative ; il est très probable qu’elles ne réussiront pas à payer leurs dettes au moment et il sera alors souhaitable que le plan de relance soit très ambitieux.

Comment, dans ce contexte, adaptez-vous vos méthodes ?

Nous pratiquons notre métier comme d’habitude, sauf que ce que nous faisons est plus important, plus critique, plus vital, plus urgent que dans des circonstances normales. Nous encourageons les entreprises à récupérer leur cash, à se faire payer les factures exigibles.

Nous avons adopté depuis le 16 mars le mode de fonctionnement d’une cellule de crise parce que le temps est encore plus précieux qu’avant. Ainsi, aux entreprises qui se disent : « j’ai le temps. Mon client me paiera quand il pourra, je ne veux pas endommager ma relation commerciale », nous expliquons que la question ne se pose pas en ces termes. Il s’agit d’une urgence vitale : il faut encaisser les sommes dues sans délai, sans quoi cela peut avoir un effet sur la survie même de l’entreprise à court terme. La majorité de nos clients le comprend très bien. Ceux qui le comprennent un peu moins bien parfois, ce sont les débiteurs, les clients de nos clients qui sont soit des professionnels, soit des particuliers. Certains sont dans des difficultés telles que, de toute façon, ils ne peuvent pas payer. D’autres ne sont pas forcément en difficulté mais profitent malheureusement de la situation pour gagner du temps. Il faut faire preuve à leur égard de la plus grande des pédagogies et leur expliquer qu’ils ont un rôle économique et social, une responsabilité sociétale ; qu’ils doivent honorer leurs engagements même s’ils estiment que, pour l’entreprise à laquelle ils doivent de l’argent, cela ne représente pas un montant majeur, pris isolément. Le problème, c’est que, lorsque toutes ces sommes s’ajoutent les unes aux autres, cela finit par faire des flux très importants qui ne circulent plus. Enfin, il y a une catégorie d’entreprises qui le comprend et joue parfaitement le jeu. Non seulement, elles paient les factures dues à leurs fournisseurs mais y mettent un point d’honneur. Dans un contexte où tout s’est figé, l’incertitude domine. Ce qui génère un comportement d’attentisme, voire de protectionnisme, chacun gardant son cash en attendant les jours meilleurs.

Quelle tendance domine ?

Ceux qui profitent de la situation restent heureusement minoritaires. L’attentisme est moins de mise qu’il ne l’a été lors des deux premières semaines de confinement qu’on pourrait comparer à une sorte d’uppercut économique. C’était tellement énorme et improbable que cela a inhibé beaucoup de comportements. Au bout de six semaines, il y a un net mieux. On ne peut pas parler de reprise parce que cela n’a pas de sens, mais le ralentissement est un peu moins fort. On sent que les gens reprennent un peu le dessus psychologiquement. Ils se disent que la crise est passagère, que les choses vont reprendre un cours normal, même s’il reste un certain nombre d’inconnues pour les semaines et les mois qui viennent. Le gouvernement a frappé très fort en prenant ces mesures de sauvetage de l’économie qui étaient tout à fait indispensables. Mais encore une fois, elles ne suffiront pas. Il faudra des mesures très fortes de relance.

Des mesures de quel ordre ?

La principale crainte, c’est que la reprise soit très lente et très peu rigoureuse, c’est-à-dire que les ménages ne reprennent un mode de consommation normal que dans six mois ou un an, voire un an et demi. Et pour les entreprises, le danger, c’est qu’elles ne renouent avec des politiques d’investissement que dans 18 mois, voire deux ou trois ans. C’est le pire scénario, mais il est plus que probable. On s’achemine, en l’état des mesures connues, vers une reprise qui ne se fera pas avant les 18 ou 36 prochains mois.

Les mesures de relance, que le gouvernement devra prendre, devront favoriser une accélération de ce temps-là pour que la reprise, qui ne se fera que sur la base d’un regain de confiance tangible des ménages et des entreprises en matière de consommation et d’investissement, se fasse en un an maximum et non pas trois. Cela nécessitera des dispositifs très forts, de type annulations de charges, peut-être des annulations massives de dettes ou leur transformation en dettes perpétuelles…

Êtes-vous confiant ?

La crise est brutale pour tout le monde. Cependant, elle n’excuse pas tout, ne permet pas tout et certainement pas des comportements égoïstes et court-termistes. L’économie est une succession de rouages et les agents économiques sont interdépendants. Le particulier qui profite de l’occasion pour ne pas payer ses factures commet une erreur importante ; l’entreprise qui profite de la situation pour geler le paiement des factures de ses fournisseurs, également ; et l’entreprise qui ne maintient pas son activité alors qu’elle pourrait le faire en partie commet elle aussi une erreur. Et tous ces mauvais comportements ont un impact global sur l’économie.

39% DES PME SUBISSENT DES RETARDS DE PAIEMENTS

Une enquête de la CPME à propos de l’impact du Covid-19 sur l’activité des TPE-PME, réalisée auprès de plus de 3 400 chefs d’entreprise et publiée le 16 avril, révèle que deux entreprises sur cinq (39 %) subissent des retards de paiements. 37 % des entrepreneurs annoncent ainsi pâtir de retards de paiement de leurs clients privés et 16 % de leurs clients publics. Dans le même temps, seules 48 % des entreprises interrogées indiquent régler toutes les factures à la date prévue, 36 % admettent reporter le paiement d’une partie d’entre elles et 16 % ont reporté le règlement de l’ensemble de leurs factures, invoquant la fermeture de l’entreprise, l’absence de chiffre d’affaires, des retards de paiement ou un manque de trésorerie.

Une tendance confirmée par un comité de crise sur les délais de paiement. Crée le 23 mars dernier et co-animé par Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises et Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit, ce comité de crise a pour mission de mesurer la détérioration des délais de paiement et d’agir sur les comportements anormaux recensés avec l’appui des organisations professionnelles. Il traite plus particulièrement les signalements qui impliquent les grandes entreprises ayant un impact structurel sur l’économie française. Selon ce comité, les incidents se multiplient : lors de la semaine du 30 mars, ceux-ci ont triplé par rapport à la même période en 2019 pour atteindre un montant d’environ 270 M€. En parallèle, le nombre de sollicitations et de médiations adressées au médiateur des entreprises chaque semaine a été multiplié par 10.