Agents publics, bientôt tous contractuels ?

Mathieu Touzeil-Divina.

Par Mathieu Touzeil-Divina, directeur de l’axe Transformation(s) du service public à l’Institut Maurice Hauriou et président du Collectif L’Unité du Droit

Après de premiers échanges fructueux lancés le 24 septembre dernier à la faculté de droit de l’université Toulouse 1 Capitole entre spécialistes de droits du travail et des fonctions publiques, deux laboratoires de droit privé (CDA) et public (IMH) de cette même institution académique, avec le soutien de l’association Collectif L’Unité du Droit (dont l’un des objets est précisément l’analyse des influences et confluences réciproques relatives au(x) droit(s) des travailleurs publics et privés, quatre conférences vont également avoir lieu entre octobre 2019 et janvier 2020 avec – toujours – pour support et objet les évolutions induites par le vote de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de « transformation de la fonction publique ». La prochaine de ces conférences aura lieu – salle Gabriel Marty – sur le site de l’Arsenal de 17 heures à 19 heures le 22 octobre 2019. Son thème sera : « aujourd’hui agents publics, demain tous contractuels ? » et fera intervenir, sous la modération du professeur Mathieu Touzeil-Divina, trois intervenants : deux enseignants-chercheurs de droit public et privé : Emmanuel Aubin (professeur à l’université de Poitiers) et Morgan Sweeney (maître de conférences à l’université Paris Dauphine) ainsi qu’un magistrat administratif, Amaury Vauterin, premier conseiller près le tribunal administratif de Nantes.

C’est effectivement la mesure « phare » de la loi du 6 août 2019 que d’accélérer le processus dit de contractualisation des fonctions publiques ce qui, nécessairement, à terme, va modifier le statut des agents publics ainsi que le nombre de fonctionnaires proprement dits. Reviendrait-on alors comme avant le premier statut de la fonction publique (loi du 14 septembre 1941) à la théorie des « fonctionnaires contractuels » comme l’a soutenu – lors de la précédente conférence du 24 septembre 2019 – l’un des porteurs de ce cycle (cf. Touzeil-Divina Mathieu, Évolution dramatique et révolution mathématique : la négation du service public et le retour au « fonctionnaire contractuel en ligne 1 ).

Concrètement, le verrou statutaire de l’article 3 de la loi n° 83-634 statutaire (modifiée) du 13 juillet 1983 a-t-il été contré, ou ne sommes- nous que sur une pente accentuée (mais non révolutionnée) du recours au contrat ? Selon ledit article (également à l’art. 41 de la loi statutaire du 26 janvier 1984 pour la seule fonction publique territoriale), les « emplois civils permanents » (de l’État, des collectivités et de leurs établissements) sont occupés (et non ont vocation à l’être) par des fonctionnaires (et non par des contractuels). Des exceptions se sont pourtant multipliées à ce principe depuis la fin des années 1990 et – désormais – ces exceptions vont peut-être devenir la règle sans que l’énoncé du principe ait été touché. Ces exceptions amplifiées (touchant désormais aux emplois de direction et à tous les emplois publics des établissements publics étatiques mais aussi des communes de moins de 1 000 habitants ou des EPCI de moins de 15 000 âmes) vont-elles «tuer» le statut ?

Cette contractualisation « en marche » ne modifie-t-elle pas – outre les conditions de recrutement et de travail des agents publics – la nature même des services publics impactés ? En recrutant pas contrat, en effet, ne touche-t-on pas aux principes de continuité, d’égalité et de neutralité des services publics désormais conduits à être – notamment – beaucoup plus politisés dans leurs recrutements ? Que deviendra-t-il par suite du principe du recrutement par concours dont la thèse de Marcel Sibert (Le concours comme mode juridique de recrutement de la fonction publique, Paris, éditions Rousseau) soulignait en 1912 l’importance – alors que les recrutements d’agents publics explosaient sous ses yeux – par l’instauration d’un modus operandi égalitaire et le plus objectif possible – c’est-à-dire le plus respectueux de l’art. 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ? Selon l’auteur en effet, les recrutements contractuels directs, au contraire, faisaient triompher le népotisme, la subjectivité et les passe-droits : « un recrutement des fonctionnaires basé (…) sur l’intrigue, la faveur et l’arbitraire, [et non] sur le mérite des postulants ».

Par ailleurs, la « contractualisation » opérée n’est-elle perceptible que par le biais de l’emploi contractuel (de droit public mais aussi de droit privé) ou n’est-ce pas la méthode contractuelle elle-même qui a fait sa révolution dans et par l’emploi public ?

Qu’en est-il alors de la situation sinon du « statut » de ces agents contractuels dont le nombre va aller croissant dans les collectivités publiques ? Quelle y est – en particulier – la place qui sera faite aux CDI de droit public face aux fonctionnaires, véritablement statutaires ? Sont- ils conduits à devenir des sous-fonctionnaires ou des fonctionnaires « Canada Dry » comme l’un des intervenants les a qualifiés ? Les intervenants, spécialistes de droits du travail et des fonctions publiques débattront de l’ampleur de ce phénomène, en présence d’un grand « témoin-praticien », magistrat administratif.