Olivier RollandAgent de liaison

Le nouveau directeur de la plateforme de recherche Toulouse White Biotechnology (TWB) a beau être un chimiste diplômé et chevronné, il s’est toujours refusé à devenir un mandarin de sa discipline pour cultiver plutôt l’interdisciplinarité.

Ne dites surtout pas d’Olivier Rolland qu’il vient de l’industrie pétrolière : car bien que passé par les divisions carburants de Total ou de Boeing, le nouveau directeur de Toulouse White Biotechnology (TWB) estime, lui, venir « de la bioéconomie ». Chimiste de formation, sa carrière professionnelle commence en 2010 au centre de technologie de Michelin, en banlieue de Clermont-Ferrand, où il a « eu la chance d’avoir un manager qui était assez visionnaire sur les aspects bio-technologiques. Et moi ça m’intéressait de comprendre comment on pouvait développer de nouvelles voies de production, par exemple pour des réactifs chimiques ». Et surtout « de diversifier et de sécuriser les approvisionnements en matières premières pour produire du caoutchouc synthétique, dans un contexte de risque international » sur les récoltes de caoutchouc naturel – car il est arrivé que les hévéas en Amérique latine soient dévastés par un champignon. Mais la véritable spécialité d’Olivier Rolland, ce n’est ni le pneu ni le caoutchouc… mais les biocarburants.

Autrement dit, les carburants fabriqués à partir de productions végétales comme la canne à sucre, le colza ou encore le maïs. Lesquels, vous vous en rappelez peut-être, ont connu un fort regain d’intérêt à partir de 2010, car devenus soudain éventuellement très compétitifs vis-à-vis des produits pétroliers. « À l’époque, beaucoup d’entreprises se sont lancées dans la biotechnologie, et en particulier dans les biocarburants, parce que le prix du baril de pétrole était aux alentours de 100 ou 120 $ ; et les projections qui étaient faites par les grandes sociétés pétrolières l’amenaient à 150 $ et plus ». Seulement voilà, quelques années plus tard, le prix du baril du pétrole est redescendu à un niveau entre 50 et 60 $, faisant des biocarburants des produits désormais difficilement compétitifs ; sachant qu’aujourd’hui, ce type de carburant est « au minimum 1,5 fois plus cher que le pétrole, soit environ 120 $ du baril », reconnaît Olivier Rolland. Pourtant, selon lui, on aurait tort de donner les carburants alternatifs pour morts et enterrés. D’abord parce que, du fait de la réglementation européenne, l’essence ou le diesel que nous prélevons chaque jour à la pompe en contient déjà ; en revanche, « substituer tout le carburant fossile par le bio-carburant, ça, ça me paraît impossible ! » D’autant qu’aujourd’hui, « on voit bien qu’il y a une incitation à développer les moteurs électriques dans les véhicules routiers. Et effectivement, à condition qu’on puisse obtenir de l’électricité d’origine durable » – donc pas comme en Pologne, où elle est produite grâce à des centrales à charbon – « sur un périmètre de ville, la voiture électrique semble faire plus de sens. Par contre, vous aurez toujours besoin d’une haute densité énergétique, autrement dit de carburants liquides, pour transporter des marchandises ou des personnes sur de longues distances. Et donc c’est là que, à mon avis, les biocarburants ont du sens, notamment dans l’aviation », explique celui qui, justement, a travaillé cinq ans chez Total, puis deux ans chez Boeing, sur cette question.

Évidemment, dès que le nom de Total surgit, on retient un sourire en coin, surtout s’il s’agit d’écologie et de limitation des gaz à effet de serre. « Mon épouse était loin d’être ravie que je rejoigne Total, tous comme certains amis », concède facilement Olivier Rolland. D’un côté en effet, il y a Total, son image, et son business – pas forcément reluisants. Mais de l’autre, ajoute aussitôt le jeune homme, « il y avait ces gens de la business unit Énergies nouvelles, et qui étaient là depuis peu chez Total. La chance que nous avons eue, c’est que nous travaillions comme dans une start-up au sein de Total, “isolée” dans le sens où on avait vraiment de l’indépendance, tout en ayant les moyens de Total ». Mais n’était-ce pas du greenwashing de la part du pétrolier ? « Honnêtement, je ne pense pas, car celui qui a lancé Énergies nouvelles, c’était Christophe de Margerie, le PDG de Total ; il avait une vraie vision sur cette question. Il a vu les défis du réchauffement climatique, les enjeux qui y étaient liés ; je pense qu’il a vu aussi la responsabilité qu’y avait Total, et il s’est engagé dans les énergies nouvelles ». Et s’y est tenu, souligne Olivier Rolland, même lorsqu’après que Total ait acheté plus de 50 % des parts du leader de l’énergie solaire SunPower, le dumping des industriels chinois sur les panneaux photovoltaïques en 2013 ait fait chuter le cours de l’action. Résultat : aujourd’hui, la compagnie pétrolière française « est l’un des leaders de l’énergie solaire ».

Entre 2012 et 2017, Olivier Rolland passe ainsi sa vie en Californie, à San Francisco, où il est en charge du partenariat stratégique conclu par Total avec Amyris, une start-up spécialiste en biologie synthétique qui crée le premier biocarburant à base de sucre pour l’aviation. « On a développé ce biocarburant du laboratoire jusqu’à l’avion, et nous avons même obtenu l’une des certifications les plus difficiles à obtenir après celle des médicaments, l’approbation de l’ASTM (American Society for testing and materials) pour voler avec ce type de carburant dans l’aviation civile. Aujourd’hui, celui-ci existe, et est même venu à Toulouse » puisqu’il constituait 10 % du carburant de la navette Toulouse-Paris d’Air France entre 2014 et 2015. En 2017, le chimiste passe chez Boeing, où il devient directeur de la stratégie pour le carburant durable. Plus précisément, son nouveau métier consiste à trou- ver des modèles économiques pour financer la production de biocarburants pour l’aviation. Car plus que le défi technologique, le prix de ces derniers pose un challenge qu’il faut absolument résoudre. L’avantage, c’est que les cultures nécessaires à la fabrication du carburant laissent des résidus agricoles qui peuvent être valorisés. Par exemple, « quand vous fabriquez un kg de biodiesel à partir de colza, vous produisez environ 1,2 kg de protéines végétales qui peut être utilisée pour l’alimentation animale. Au Brésil, la plupart des moulins qui permettent de broyer et d’extraire le sucre de la canne font de la coproduction d’éthanol. Ils ont donc la possibilité de produire un tiers de sucre et deux tiers d’éthanol, ou l’inverse, selon les besoins du marché » explique Olivier Rolland.

Lequel semble d’autant plus légitime à son nouveau poste de directeur de TWB que, bien qu’étant un chimiste diplômé et accompli, celui-ci parle et raisonne souvent en termes économiques. Héritage sans nul doute de ses années passées chez Total et Boeing, mais pas seulement : de son propre aveu, ce fils de pharmaciens – père dans un laboratoire pharmaceutique, mère en officine – n’a jamais voulu faire uniquement de la recherche. « D’autant que je savais que si j’allais dans le monde académique, j’allais m’enfermer dans mon domaine, alors que j’ai toujours voulu en sortir, parce que j’aime être à l’interface entre d’autres sciences, comme la biologie. Aussi, je ne pense pas que j’aurais pu être chercheur-enseignant car ce qui m’intéresse, depuis longtemps, ce n’est pas d’être un expert ; mais de savoir comment je peux assembler différentes briques technologiques pour répondre à un besoin du marché. C’est pour cela que, depuis longtemps, j’ai voulu aller dans le monde industriel, pour utiliser la chimie et les autres sciences pour créer des produits et de la performance… »

Une méthode qu’il a d’ailleurs pratiquée lors de ses années américaines chez Total, intégrant des ingénieurs et scientifiques français aux équipes du projet alors que, contrairement aux usages locaux, ceux-ci n’étaient pas des spécialistes experts d’un domaine en particulier. « On me l’a fait souvent remarquer, mais trois ans après, les Américains étaient plutôt reconnaissants que nous ayons amené ce genre de profils généralistes, car ils permettent de faire le lien entre différentes disciplines et de faire dialoguer des gens ». Aussi, en tant que nouveau responsable de TWB, Olivier Rolland se défend d’être celui qui mettra le pied dans la porte au profit des start-up du secteur des biocarburants ; mais affirme vouloir simplement « faire croître et pérenniser la plateforme de recherche » initiée par Pierre Monsan, cette « belle réussite à l’interface entre le public et le privé, dont le succès tient à l’écosystème qui a été créé entre laboratoires de recherche, industriels, start-up, investisseurs et institutionnels, pour comprendre les besoins des industriels en matière de recherche et adapter cette dernière, très en amont, afin de répondre à ces besoins ».


Parcours

Naissance à Paris
Diplôme d’ingénieur chimiste de l’École supérieure de chimie, physique, électronique (CPE) de Lyon
Doctorat en chimie de l’université Toulouse 3 Paul-Sabatier
Entre chez Michelin
Travaille chez Total
Directeur de la stratégie pour le carburant durable chez Boeing
Directeur de TWB