Par CMS Francis Lefebvre Avocats, cabinet d’avocat d’affaires international
Deux ordonnances adaptent à la crise du Covid-19 le déroulement des procédures devant les juridictions administratives.
Les dispositions prévues sont de deux ordres : d’une part elles instaurent un moratoire applicable à la plupart des délais de procédure et de prescription ; d’autre part elles adaptent le fonctionnement des juridictions administratives.
Les deux ordonnances dont il est question sont les suivantes :
– l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 (https://cutt.ly/JuvzQf4) portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif telle que modifiée notamment par l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 ;
– l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (https://cutt.ly/PuvzPsN) relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, telle que modifiée notamment par l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire.
MORATOIRE RELATIF AUX DÉLAIS DE PROCÉDURES ET DE PRESCRIPTION
Le législateur délégué a tout d’abord prévu à l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 un moratoire en matière, notamment, de délais de prescription et de procédure, rendu applicable à l’ensemble des procédures des juridictions de l’ordre administratif par l’article 15 de l’ordonnance n° 2020-305 (à noter toutefois : cette ordonnance prévoit des dispositions spécifiques concernant le droit des étrangers et le droit électoral).
S’agissant de son champ d’application temporel, ce moratoire s’applique désormais aux délais censés expirer entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus, l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 ayant déconnecté la durée du moratoire en matière de délais de la durée de l’état d’urgence sanitaire, désormais prorogé par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.
S’agissant de son champ d’application matériel, ce moratoire s’applique aux délais relatifs à « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque » qui aurait dû intervenir pendant la période visée ci-dessus. En outre, « il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit » (article 2 de l’ordonnance n° 2020-306).
Typiquement, en matière administrative, sont notamment concernés les délais de prescription quadriennale des créances détenues sur les collectivités publiques, les délais de recours administratif ou contentieux, ou encore les délais d’appel ou de pourvoi en cassation. Devraient également être concernés les délais liés à l’instruction d’une affaire devant la juridiction administrative, prescrits par la loi et le règlement à peine d’irrecevabilité ou de désistement d’office (par exemple, devant le Conseil d’État, la production du mémoire complémentaire dans les trois mois suivant la requête sommaire (article R.611-22 du code de justice administrative).
En revanche, les délais de clôture d’instruction et les délais impartis par une mesure d’instruction émise par le juge aux parties sont prorogés en vertu de dispositions spécifiques de l’ordonnance n° 2020-305 et de l’ordonnance n° 2020-306 (cf. infra, point sur les mesures de clôture).
On peut s’interroger sur l’application du moratoire au délai d’un an issu de la jurisprudence Czabaj (CE, 13 juillet 2016, n° 387763) applicable en l’absence de mention des voies et délai de recours sur la décision contestée. En effet, le respect de ce délai n’est pas à proprement parler « prescrit par la loi ou le règlement » comme indiqué à l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 mais est issu de la jurisprudence administrative. Il serait toutefois étonnant que le moratoire ne joue pas dans de telles situations, et qu’un régime plus strict soit appliqué au requérant maintenu dans l’ignorance des voies et délais de recours qui lui sont applicables. Au demeurant, la jurisprudence prévoit elle-même que ce délai peut être modifié au regard de circonstances particulières, dont on conçoit mal qu’elles ne soient pas reconnues en l’espèce.
Se pose également la question de l’applicabilité du moratoire en matière de référé précontractuel, où le délai de 11 jours (ou 16 selon les modalités de notification) prévu par le code de justice administrative et le code de la commande publique correspond au délai préalable à la signature du contrat devant être respecté par le pouvoir adjudicateur ou le concédant après avoir fait connaître aux candidats évincés le rejet de leur offre – étant entendu que la signature du contrat a pour effet de rendre irrecevable le référé pré-contractuel. Notons à cet égard que l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (https://cutt.ly/8uvzCn9) (portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19) est susceptible d’avoir une influence, dès lors qu’elle prévoit des adaptations des procédures de mise en concurrence pouvant conduire à décaler les délais de remise d’offre et donc le choix du titulaire du contrat (sur cette ordonnance, voir notre article : « Covid-19 : ordonnance commande publique, une gestion de l’extrême urgence (https://cutt.ly/Juvl537) »).
De manière plus générale, les délais contractuels qui ne sont pas prévus par la loi ou le règlement, ne sont pas couverts par le moratoire ainsi que le précise le rapport au président de la République (https://cutt.ly/EuvzcB7) relatif à l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020. Une telle exclusion est évidemment problématique pour les délais prévus aux différents CCAG pour la transmission d’un mémoire en réclamation à compter de la naissance du différend. Là encore, il conviendra sans doute de se tourner vers les dispositions prévues par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (https://cutt.ly/Nuvzp3O) relative aux contrats publics.
S’agissant de ses effets, le moratoire proroge le délai concerné pour la durée qui était légalement ou réglementairement impartie mais dans la limite de deux mois, étant précisé que ce nouveau délai ne commence à courir qu’à partir du 24 juin 2020.
Ainsi, à titre d’exemple, un délai de recours contentieux, un délai d’appel ou un délai de pourvoi en cassation de droit commun (c’est-à-dire des délais de deux mois en principe) supposés expirer le 1er avril, expireront le 24 août prochain à minuit.
En revanche, un délai d’appel en matière de référéliberté (15 jours en vertu de l’article L.521-3 du code de justice administrative) supposé expirer le 1er avril, expirera dans un délai de 15 jours à partir du 24 juin prochain.
À noter qu’une disposition spécifique est prévue s’agissant des mesures de clôture d’instruction intervenues entre le 12 mars et le 23 mai 2020 inclus. Il est ainsi prévu que les instructions concernées sont prorogées de plein droit jusqu’au 23 juin inclus, à moins que ce terme ne soit reporté par le juge (article 16 de l’ordonnance n° 2020-305).
De la même manière, les délais impartis aux parties par une mesure d’instruction pour produire un mémoire ou une pièce et expirant entre le 12 mars et le 23 juin 2020 sont prorogés de plein droit jusqu’au 24 août 2020 inclus. Toutefois, le juge ou l’autorité compétente peut modifier ces mesures, ou y mettre fin, lorsqu’elles ont été prononcées avant le 12 mars 2020 (cette disposition est issue du 1° de l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-306).
Dans ces deux cas – clôtures d’instructions et mesures d’instructions — lorsque l’urgence ou l’état de l’affaire le justifie, le juge peut fixer un délai plus bref que celui résultant de ces dispositions. Son ordonnance mentionne alors que celui-ci ne s’applique pas à la date ainsi fixée.
Enfin, l’adaptation des délais de procédure concerne également le juge, lorsqu’un délai pour statuer lui est imparti. Ainsi, lorsqu’un tel délai court ou a couru en tout ou partie entre le 12 mars et le 23 mai 2020 inclus, le point de départ est reporté au 1er juillet 2020, sauf exceptions prévues en matière de droit des étrangers et en matière électorale s’agissant des recours liés aux élections municipales de mars 2020 (article 17 de l’ordonnance n° 2020-305, telle que modifié par l’article 1 de l’ordonnance n° 2020-405 du 8 avril 2020 portant diverses adaptations des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif).
ADAPTATION DU FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES
Le titre 1er de l’ordonnance n° 2020-305 prévoit par ailleurs diverses mesures pour adapter le fonctionnement des juridictions administratives à la crise sanitaire. Ces mesures dérogatoires au code de justice administrative s’appliqueront en principe jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire (c’est-à-dire, sauf prorogation, jusqu’au 10 juillet 2020 inclus) (article 2).
Il s’agit en particulier de mesures permettant :
– d’adapter la composition des formations de jugement : recours à des magistrats issus d’autres juridictions administratives (entre tribunaux administratifs et cours administratives d’appels) ou à des magistrats honoraires ; possibilité pour des magistrats ayant le grade de conseiller de statuer par ordonnance ;
– de faciliter le déroulement des audiences à distance (possibilité pour les magistrats de siéger à distance, usage de moyens de communication audiovisuels et téléphoniques, possibilité de communiquer les pièces par tous moyens, et de publier le rôle des audiences sur le site internet de la juridiction) et à huis clos ;
– d’alléger certaines obligations procédurales : possibilité de statuer sans audience par ordonnance motivée pour l’ensemble des référés et sans audience publique pour les sursis à exécution ; absence de lecture publique obligatoire de la décision, généralisation de la possibilité de dispense de conclusions du rapporteur public, obligation allégée de signature des décisions.
Enfin, il nous semble important de relever que la notification de la décision juridictionnelle à l’avocat fera courir le délai de recours – dans les conditions définies par le moratoire – sans qu’il soit besoin d’une notification à partie (article 13). En l’absence d’avocat, la notification peut être effectuée par tout moyen (article 1 de l’ordonnance n° 2020-405 du 8 avril 2020 portant diverses adaptations des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif ).
Ces adaptations sont certes significatives, mais elles n’ont pas pour autant vocation à suspendre les grands principes de la procédure administrative contentieuse (respect du contradictoire, de l’égalité des armes, impartialité…) dont les requérants devraient toujours pouvoir revendiquer l’application.