Accompagnement de la rénovation énergétique : les architectes se font entendre

Pour atteindre les objectifs des accords de Paris, il resterait 16,9 millions de logements à rénover d’ici 2050 en France.

Les architectes alertent sur les manques du rapport Sichel sur la rénovation énergétique publié fin mars. Ils redoutent une inefficacité technique et financière ainsi que des risques pour les usagers.

S’il veut proposer une rénovation énergétique « massive, simple et inclusive des logements privés », le rapport remis par Olivier Sichel (directeur général délégué de la Caisse des dépôts et directeur de la Banque des Territoires) fait réagir les professionnels de la construction.

En tête des sceptiques, les architectes pointent même un élément très précis du rapport qui prévoit la création d’un nouvel acteur : « l’accompagnateur ». « Le gouvernement émet l’hypothèse de créer un accompagnateur des travaux », explique l’architecte rémoise Laure-Anne Geoffroy, Vice-présidente de l’Union Nationale des Syndicats Français d’Architectes (UNSFA). « Cette notion d’accompagnement est nécessaire. Elle apporte une réponse efficace pour répondre aux objectifs des accords de Paris (voir ci-dessous) ».

En effet, le gouvernement constate que le rythme actuel de réalisation de son programme de rénovation énergétique des logements n’atteindra pas ses objectifs conformément aux échéances fixées dans les accords de Paris, soit à l’horizon 2050. Bien décidé à massifier le plus rapidement possible ces opérations, le gouvernement a pris conscience que cette accélération passait aussi par la mise en place d’incitations en direction des ménages. Incitations financières mais aussi en terme d’accompagnement. Car les ménages peinent encore à se lancer dans ce processus et il faut impérativement les accompagner pour déclencher le passage à l’acte vers les travaux de rénovation.

EVITER LES OPPORTUNISMES

« Nous partageons ces constatations mais la méthode proposée semble comporter des failles importantes. La notion d’accompagnateur, par exemple, telle que présentée dans le rapport, est très floue », souligne Laure-Anne Geoffroy, qui est également présidente de l’UNSFA Marne. Les architectes craignent en effet que l’accompagnement puisse être confié à des acteurs non qualifiés voire à des « opérateurs opportunistes » qui créeraient des entreprises dans la seule optique de se positionner sur ce marché, avec les risques que cela comporte. Pour illustrer leurs propos, les architectes émettent une comparaison avec les dispositifs de rénovation thermique et les nombreuses entreprises qui se sont engouffrées sur le créneau pour bénéficier des subventions publiques sans toujours proposer des travaux de qualité en contre-partie. Sans un meilleur cadrage préalable, les architectes craignent que la notion d’accompagnateur soit dévoyée au détriment de l’affectation des subventions mais aussi des usagers qui risqueraient d’être floués par des opportunistes mal intentionnés.

« Globalement nous sommes évidemment favorables aux dispositifs d’incitation à la rénovation », note pour sa part Dominique Hautem, le président de la Capeb Marne. Le représentant des artisans du bâtiment craint cependant que l’approche proposée par le rapport soit trop administrative et ne prenne pas en compte les contraintes du terrain. « On ne voudrait pas que ce dispositif débouche sur un cahier des charges global obligeant les clients à effectuer uniquement de gros travaux. Nous proposons la création d’un audit global, gratuit, dans lequel le client peut choisir quels travaux il veut effectuer », insiste le président qui craint qu’une uniformisation de l’offre débouche sur les dérives enregistrées avec les isolations à 1 euro, à savoir des travaux mal réalisés, coûteux pour la collectivité et finalement sans réel effet sur la facture énergétique.

APPROCHE GLOBALE DES TRAVAUX

Au sujet de la notion d’accompagnateur, les artisans sont eux aussi favorables à la création d’un tel statut, à condition qu’il soit bien encadré : « Le sujet des aides est tellement complexe, avec de nombreux interlocuteurs différents et des subventions ponctuelles, que les artisans ont parfois du mal à suivre. L’arrivée d’un accompagnateur peut les aider dans leur quotidien. Il est important que cet accompagnateur soit présent pour faire du conseil, de l’audit et de la formation. Mais il ne doit pas préconiser des travaux obligatoires ou imposer le choix d’une entreprise, qui doivent rester à l’appréciation du client », poursuit Dominique Hautem, qui considère qu’en la matière, les architectes sont sans doute les mieux placés pour accompagner les clients.

« Nous considérons que nous disposons de toutes les compétences pour faire cet accompagnement, hormis peut-être sur la partie financement, pour laquelle nous pourrions être formés », note Laure-Anne Geoffroy. « Concernant les travaux, les architectes sont formés pour cela. Nous ne sommes pas les seuls à pouvoir être accompagnateurs, mais les architectes sont sans aucun doute qualifiés : nous avons bénéficié de six ans d’études financées par l’Etat pour maîtriser la complexité des travaux de rénovation. Les architectes sont soumis à une déontologie protectrice pour le client maître d’ouvrage et, au-delà des compétences techniques, cela assure une garantie de responsabilité incomparable ».

Les professionnels insistent également sur leur approche globale des travaux : « L’architecte se préoccupe de la santé de l’habitant, mais aussi de la durabilité technique du patrimoine. Il apporte l’ensemble de son expertise à ses clients, répond à une obligation de conseil et engage sa responsabilité. Qu’en sera-t-il des « accompagnateurs » aux missions, compétences et responsabilités inconnues ? », interroge Laure-Anne Geoffroy. Le sujet s’avère en effet primordial dans la perspective des objectifs élevés fixés par les accords de Paris. Le rapport Sichel sera intégré à la Loi sur le Climat qui devrait être discutée par les parlementaires en mai. Les architectes comptent désormais bien se faire entendre pour affiner et préciser la notion d’accompagnement dans les décrets d’application de cette loi.

580 000 LOGEMENTS À RÉNOVER PAR AN !

Selon l’UNSFA, pour atteindre les objectifs des accords de Paris (diviser par 4 les émissions des gaz à effet de serre), en 2016, on recensait 17 millions de logements à rénover au niveau BBC rénovation en 34 ans, avec un rythme de 500 000 logements par an. Cinq ans plus tard, en 2021, seulement 100 000 logements environ auraient atteint les objectifs de rénovation, il resterait donc 16,9 millions de logements à rénover en 29 ans. « Soit une moyenne de 580 000 logements par an », estime le syndicat. « Le budget à affecter à ces rénovations est de l’ordre de 700 milliards d’euros soit une moyenne de 25 milliards par an de travaux. Mais pour atteindre ces objectifs en 29 ans, il faut passer de 20 000 logements/ans à un rythme de croisière de 900 000 logements/an, puis redescendre à 20 000 logements/an, soit en période de croisière entre 35 à 40 milliards d’euros annuels de travaux. Aujourd’hui les 560 000 entreprises artisanales du bâtiment génèrent un chiffre d’affaires annuel de 84,5 milliards d’euros. Il faudrait donc, à court terme, augmenter la capacité des entreprises de 45% ! »