Absorber n’est pas purger

Lorsqu’une société commet un manquement pouvant faire l’objet de sanctions pénales ou judiciaires ou administratives, avant d’être absorbée par une autre société et d’être dissoute, la société absorbante peut-elle être condamnée pour les manquements antérieurement commis par l’absorbée ?

La réponse est oui. Dit autrement, dans un groupe de société, la dissolution-absorption d’une filiale ne permet pas « d’effacer » les conséquences de comportements prohibés.

Cela a été jugé pour plusieurs types de fautes, et l’exception qui existait en matière pénale vient de disparaitre depuis un arrêt du 25 novembre 2020 de la chambre criminelle de la cour de cassation.

Pour des faits de pratiques restrictives de concurrence (ex-art 442-6 Code devenu L442-1 du code de commerce, telle une rupture brutale de relations commerciales)

Prenant acte de la mutabilité des formes juridiques dans lesquelles s’exerce l’activité économique, et dans un souci d’efficacité de la sanction pécuniaire, la chambre commerciale juge depuis plusieurs années que le principe de continuité économique prévaut sur celui de la personnalité des peines (Com. 21 janvier 2014 n°12-29166 ; Cons. constitutionnel, décision n°2016-542, QPC du 18 mai 2016 ; CEDH 1er octobre 2019 n°37858/14 : « Du fait de cette continuité d’une société à l’autre, la société absorbée n’est pas véritablement  » autrui  » à l’égard de la société absorbante »).

La 2ème chambre civile a également jugé fondée la condamnation de la société absorbante à assumer la liquidation d’une astreinte pour des faits commis par la société absorbée antérieurement à la fusion-absorption (infraction à la règlementation en matière d’ouverture de magasins, Civ.2ème 1er septembre 2016, 15-19.524).

Pour des faits de pratiques anti-concurrentielles (entente)

Là encore, la solution est motivée par les principes de continuité économique et d’efficacité du droit (Com. 28 février 2006 n° 05-12138).

Pour des manquements boursiers ou fiscaux punissables par le juge administratif

La société absorbante peut être condamnée pour des faits de la société absorbée commis avant la fusion absorption (CE, 6 juin 2009 n°299203 pour les délits boursiers ; CE, 23 juin 2014 n°352290 pour les délits fiscaux, et voir CE, 22 novembre 2000 n°207697 ; CE, 30 mai 2007 no 293423 ; CE, avis, 3et 8ss-sect., 4 décembre 2009 no 329173 ; CE, 17 juillet 2013 n° 352989, 356523 et 360706, CE, 9 avril 2014 n° 359913 ; CE 23 juillet 2014 n°359902).

Pour des faits constitutifs de délits pénaux

La Chambre Criminelle vient de juger que la société absorbante peut être condamnée pour un délit commis avant l’absorption par la société absorbée (Crim. 25 novembre 2020 n°18-86.955).

Elle « écarte dorénavant l’analyse de l’opération de fusion-absorption consistant à assimiler la dissolution de la société absorbée au décès d’une personne physique».

Auparavant, elle jugeait le contraire, sur le fondement du principe constitutionnel de personnalité des peines, et de la lettre de l’article 121-1 du Code pénal, qui désigne la « personne morale », entité juridique, et pas l’« entreprise », entité économique (Crim. 20 juin 2000, n° 99-86.742; Crim. 14 octobre 2003, n° 02-86.376 ; Crim. 18 février 2014, n° 12-85.807 ; Crim. 25 octobre 2016 n° 16-80.366 ; Crim. 7 janvier 2020 n°18-86.293).

Son revirement était attendu, en raison de la jurisprudence précitée de la CEDH de fin 2019, et de celle de la Cour de Justice de l’Union Européenne ayant déjà jugé en ce sens sur le fondement de la continuité économique constatée entre les deux sociétés et de la nature d’une « fusion » au sens de la directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978 (CJUE 5 mars 2015 aff. 343/12).

Cependant, la portée de cette décision est limitée aux fusions de sociétés par actions (SA, SAS, SNC, rentrant dans le champ de la directive de 1978 précitée, voir § 35 et 37 de l’arrêt) -avec dissolution de l’absorbé- conclues après le 25 novembre 2020 (§39), et ne peut entrainer le prononcé que de peines d’amende et de confiscation envers la société absorbante (pas de dissolution ou d‘interdiction d‘exercer une activité). Par ailleurs, celle-ci peut invoquer tous les moyens de défense qu’aurait pu invoquer l’absorbée (§37).

Par ailleurs, l’exception de la fraude à la loi est consacrée dans un tel cas : la société absorbante encourt une responsabilité « pleine et entière » (toutes les peines pénales peuvent être prononcées) lorsque l’opération de fusion- absorption (même antérieure au 25 novembre 2020) a eu pour but de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale (§ 41).

Notez que, même avant son revirement, la chambre criminelle jugeait que lorsque la société absorbée a été déclarée coupable avant l’absorption, la société absorbante peut être condamnée à des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le délit (Crim. 28 février 2017 n°15- 81469).

Créancier de la société absorbée

Ces jurisprudences sont cohérentes avec un autre arrêt récent, par lequel la cour de cassation a jugé -pour la première fois- que le créancier d’une société absorbée, envers lequel la fusion-absorption de celle-ci a été déclarée inopposable, peut valablement pratiquer une saisie-attribution sur les comptes bancaires de la société absorbante, sauf si celle-ci prouve que ces comptes ne contiennent pas de fonds provenant de l’absorbée (Com. 7 octobre 2020 n°19- 14.755, motivée par le risque d’utilisation de la fusion afin « de faire disparaître la société caution absorbée et faire obstacle à l’action du créancier sur les actifs ainsi transmis »).

Grégory de Moulins-Beaufort Avocat associé Richelieu Avocats (Paris-Reims-Laval)

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